RSF dénonce un “coup d’Etat” du gouvernement indien contre le Club de la presse du Cachemire

Au Cachemire, l'administration locale, pilotée par New Delhi et secondée par des forces paramilitaires, a envahi puis fermé les locaux du Club de la presse. Forte de plusieurs témoignages de journalistes sur place, Reporters sans frontières (RSF) exige la réouverture immédiate de ce lieu privilégié d'échanges et de défense de la liberté de la presse.

Officiellement, sa fermeture est définitive. Au nord de l’Inde, le Club de la presse du Cachemire (ou Kashmir Press Club, KPC), situé à Srinagar,  la capitale régionale, a fait l’objet d’un raid orchestré par les agents de l’administration locale, lundi 17 janvier. L’association, principale organisation de journalistes de la région a vu, par la même occasion, sa licence révoquée . 


L’opération a pris des allures de véritable putsch : jeudi 14 janvier, l’administration de l’Etat du Jammu-et-Cachemire (J&C), qui dépend du gouvernement central indien, annonce suspendre l'enregistrement de l’association. Le lendemain, plusieurs membres des forces paramilitaires, chargées du maintien de l’ordre dans la région, investissent les locaux du  KPC sans le moindre mandat, prétextant l’application d’un protocole lié à la Covid-19. 


Les soldats sont accompagnés d’un triumvirat de représentants de médias pro-gouvernement, Saleem Pandit, Zulfiqar Majid et Arshid Rasool, qui s’autoproclament nouveaux administrateurs du KPC. Les portes sont alors scellées et les journalistes interdits d'entrée.


Insulte aux journalistes


“Nous appelons le lieutenant-général du Jammu-et-Cachemire, Manoj Sinha, à rétablir immédiatement la licence du KPC et à ordonner sa réouverture, déclare le responsable du bureau Asie-Pacifique de RSF, Daniel Bastard. La fermeture de l’association est clairement la conséquence d’un “coup d’Etat” fomenté par l’administration locale, laquelle prend ses ordres auprès du Premier ministre Narendra Modi. Ce putsch qui ne dit pas son nom est une insulte du gouvernement indien à tous les journalistes qui essayent de faire leur travail dans la vallée du Cachemire, laquelle se transforme un peu plus, chaque jour, en trou noir de l’information.”


Ceux qui ont pris possession des lieux vendredi ont justifié l’opération  par la non-tenue des élections censées renouveler le conseil d'administration du KPC, initialement prévues le 19 juillet 2021. 


Mais, en réalité, c’est l’administration du J&C qui a empêché ce processus, en différant la réinscription du club de la presse comme association, une formalité nécessaire à la tenue des élections. Comme l’a rappelé le président sortant du club, Shuja ul-Haq, dans un communiqué, cette demande, que son bureau a formulée dès le mois mai 2021, n’a été considérée qu'il y a seulement deux semaines, le 29 décembre. 


Attaque féroce


C'est, finalement le mercredi 13 janvier que le bureau du KPC a pu se féliciter du “bon déroulement du processus de réenregistrement du club en vertu de la loi de 1860 sur les associations”, précisant que les élections pourraient par conséquent se tenir en février. Le lendemain, les paramilitaires indiens forçaient les portes du club pour en prendre possession.


Je peux dire en toute confiance que l’organe élu a pleinement honoré le mandat que les journalistes nous ont confié, rappelle le secrétaire général sortant du club, Ishfaq Tantray, interrogé par RSF. Nous avons travaillé avec professionnalisme et intégrité. La meilleure issue serait de restaurer le club et ses locaux, et permettre la tenue de nouvelles élections. Quiconque veut agir pour le bien des journalistes doit poursuivre cet objectif. Il faut que le bon sens l’emporte.”


A défaut de bon sens, l’auteur et journaliste Gohar Geelani, pour sa part, ne se fait guère d’illusion quant aux tenants et aux aboutissants de ce coup d’Etat : “Il a eu lieu en présence même des membres des forces gouvernemental, ce qui en dit long sur la crédibilité de ceux qui ont orchestré cette opération, explique-t-il à RSF. C’est l’une des attaques les plus féroces contre la liberté des médias au Cachemire. L’administration [du J&C] envoie un message clair : elle ne veut plus de média indépendant, mais de simples sténographes dociles.”


Sur le terrain, le choc au sein de la communauté des journalistes cachemiris est terrible : “J’ai l’impression d’avoir ni plus ni moins été expulsé de chez moi !, explique le journaliste indépendant Aakash Hassan. Le club de la presse était pour nous comme un abri, où nous pouvions nous retrouver et travailler, même dans les situations les plus critiques.”

 

Tuer toute forme de solidarité

 

Interrogé par RSF, il précise que les raisons qui se cachent derrière cette fermeture sont claires : le KPC était “une institution autonome qui assurait la protection des droits des journalistes dans la région, où les attaques contre les médias et les cas d’intimidations et de harcèlement de journalistes atteignent désormais des niveaux extrêmes. Nous empêcher d’avoir un espace comme le KPC, c’est un moyen de tuer dans l'œuf toute forme de solidarité entre journalistes qui pourrait émerger dans les moments les plus difficiles pour la liberté de la presse au Cachemire.”

 

Dernier exemple en date, le reporter Sajad Gul a été arrêté par des membres des forces paramilitaires indiennes dans la soirée du mercredi 5 janvier , pour avoir simplement publié une vidéo sur Twitter. Alors qu'un tribunal a accordé une libération sous caution le 16 janvier, il est, actuellement, toujours maintenu en détention. Le club de la presse s’était exprimé publiquement dès le 11 janvier pour demander la libération du journaliste.

 

Depuis l'abrogation de l'autonomie du Jammu-et-Cachemire, en août 2019, les atteintes à la liberté de la presse se multiplient dans la région, au point d’en faire un nouveau trou noir de l’information.

 

L’Inde se situe à la 142e place sur 180 pays au Classement mondial de la liberté de la presse établi en 2021 par RSF.

Publié le
Mise à jour le 19.01.2022