Royaume-Uni : la première semaine d’audience d’extradition de Julian Assange a démontré l’absence de preuves dans le dossier d’accusation américain.

L’équipe de Reporters sans frontières (RSF), présente à Londres lors de la première semaine d’audience d’extradition du fondateur de Wikileaks Julian Assange, a noté que les Etats-Unis manquent de preuves pour étayer leur demande. RSF est préoccupée par l’état de santé de Julian Assange, et regrette qu’il ne puisse pas participer pleinement à l’audience cher il est confiné dans le box vitré.

RSF a mené une mission inédite de suivi des premières audiences d’extradition vers les Etats-Unis de Julian Assange, qui ont eu lieu du 24 au 27 février au tribunal de Woolwich Crown à Londres, et ont permis aux deux parties de présenter leurs arguments. Le secrétaire général de RSF, Christophe Deloire, le directeur de RSF Allemagne, Christian Mihr et la directrice du bureau RSF du Royaume-Uni Rebecca Vincent, ont suivi, à eux trois,  la totalité des débats. Des équipes RSF venues de Londres, Paris et Berlin, ont organisé le 23 février une action devant la prison de Belmarsh toute proche – où Assange est détenu. Le lendemain, elles se sont associées aux manifestations devant le tribunal.

 

L’audience était présidée par la juge Vanessa Baraitser. L’avocat britannique James Lewis représentait l’administration américaine, tandis que les avocats Edward Fitzgerald et Mark Summer assuraient la défense d’Assange. Les agents du gouvernement américain présents à l’audience n’ont pas pris la parole. Assange n’est pas venu à la barre, et ses tentatives pour prendre la parole depuis le box vitré où il est confiné, situé au fond de la salle, ont été interrompues par la juge: selon elle, l’accusé était   « bien représenté», il devait donc s’exprimer à travers ses avocats.

 

Les Etats-Unis reprochent à Julian Assange d’avoir publié sur Wikileaks, en 2010 et 2011, plusieurs centaines de milliers de documents militaires et de câbles diplomatiques confidentiels, qui lui avaient été transmis par le soldat américain Chelsea Manning.  Assange doit donc faire face à dix-huit chefs d’inculpation - dont dix-sept en vertu de la loi sur l’espionnage et un pour fraude informatique. L’ensemble des charges retenues contre lui pourraient lui valoir 175 ans de prison. De nombreux médias du monde entier ont repris le contenu des documents et publié des informations d’intérêt public sur l’action des Etats-Unis, notamment en Irak, en Afghanistan et à Guantanamo.

 

Or en écoutant l’argumentaire de l’accusation, RSF constate qu’en réalité,  les Etats-Unis ne possèdent aucune preuve qu’Assange aurait mis certaines de leurs sources  « en danger grave et imminent ». Les inculpations étaient fondées uniquement sur les « risques » qu’il leur aurait sciemment fait courir. L’accusation a aussi affirmé que la publication des documents avait provoqué la « disparition » de certaines sources, sans citer de cas concrets. Elle a aussi prétendu qu’Assange avait nui à la défense nationale des Etats-Unis, à l’action de leurs services de renseignement, et à leurs intérêts à l’étranger.

 

De leur côté, les avocats d’Assange ont fait valoir que ces accusations constituaient un abus de procédure, car le dossier était instruit à des fins politiques et dénaturait radicalement les faits. Ils ont rappelé que Wikileaks avait collaboré pendant des mois avec des grands médias internationaux pour expurger les documents secrets. Ils ont ensuite expliqué, qu’à la même période, l’un des médias partenaires (NT: Le Guardian)  avait publié un livre divulguant le mot de passe de la base de données contenant les documents non expurgés, ce qui avait permis à d’autres acteurs  d’y accéder et de les publier intégralement sur Internet. La défense a ensuite montré  qu’Assange avait informé la Maison Blanche et le Département d’Etat américain qu’une publication échappant à son  contrôle allait avoir lieu, et les avait exhorté à  prendre des mesures pour protéger les sources dont l’identité allait être révélée.

 

« L’argumentaire de l’accusation ne nous a pas surpris, il confirme l’absence de preuves contre Julian Assange »,  a déclaré le secrétaire général de RSF, Christophe Deloire. « Les audiences  n’ont fait que conforter notre conviction qu’il a été pris pour cible parce qu’il a contribué à faire connaître des informations d’intérêt public. Nous appelons le Royaume-Uni à ne pas extrader Julian Assange aux Etats-Unis, à abandonner les charges retenues contre lui et à le libérer de toute urgence».

 

Pour sa part, la défense a rappelé que le traité d’extradition entre le Royaume-Uni et les Etats-Unis interdit les extraditions pour délit politique, ce qui serait le cas dans l’affaire  Assange. Elle a rappelé que ces droits étaient protégés par la loi anglaise, car ils constituaient un principe constitutionnel et étaient inscrits dans la Magna Carta. En outre, ils sont garantis par le droit international, notamment la convention européenne sur l’extradition, le modèle de traité sur l’extradition préconisé par les Nations Unies, et la convention d’Interpol sur l’extradition.

 

L’accusation a riposté en affirmant que le traité d’extradition de 2003 ne contenait aucune disposition interdisant l’extradition pour délit politique, et qu’en outre  les actions d’Assange ne pouvaient pas être considérées comme politiques selon la loi anglaise. Puis elle a argué que le traité n’ayant pas été intégré par le Parlement, aucun droit ne pouvait en être dérivé. A ce propos, James Lewis a remarqué que certains Etats étrangers seraient probablement surpris d’apprendre que les traités étaient sans valeur s’ils étaient seulement signés par le gouvernement britannique : la souveraineté parlementaire signifie qu’ils ne sont intégrés dans le droit national qu’après ratification par le Parlement.

 

Les observateurs de RSF ont été très alarmés par l’état de santé de Julian Assange, qui est apparu pâle et fatigué. L’accusé s’est plaint à plusieurs reprises de ne pas pouvoir suivre correctement le déroulement des audiences, ni communiquer facilement avec ses avocats depuis le box vitré où il est confiné. Le deuxième jour, son avocat a fait savoir que la veille, son client avait été maltraité à la prison de Belmarsh - fouillé au corps deux fois, menotté onze fois et changé de cellule cinq fois. En outre, ses dossiers juridiques ont été confisqués à son arrivée dans la prison. La juge a répondu que ces questions n’était pas de sa compétence.  Elle a aussi refusé que l’accusé soit assis à côté de ses avocats lors des futures audiences,  alors même que l’accusation ne s’y opposait pas.

 

« Nous demeurons très inquiets de l’état de santé de Julian Assange et de la façon dont il est traité,  a déclaré Rebecca Vincent, directrice du bureau Royaume-Uni de RSF. DE toute évidence, il allait mal, et avait des difficultés à participer à son propre procès. Les rapports sur les mauvais traitements qu’il a subis à la prison de Belmarsh sont alarmants, et il faut remédier à cette situation immédiatement. Nous appelons aussi le tribunal à autoriser Assange à s'asseoir aux côtés de ses avocats, comme le prévoient les normes internationales, et non par dans un box vitré comme un criminel violent. Il est très vulnérable, et ne présente aucune menace physique pour qui que ce soit. Ses droits garantis par  la convention européenne doivent être respectés ».

 

Deux brèves audiences de procédure sont prévues dans les prochaines semaines : une convocation le 25 mars au tribunal d’instance de Westminster, à laquelle Assange assistera via vidéo-conférence, et une audience au tribunal de Woolwich Crown le 7 avril, pour discuter de la gestion du dossier et de l’anonymat de deux témoins, à laquelle Assange devra assister en personne. Puis, à partir du 18 mai, les audiences sur le fond reprendront pour trois semaines à  Woolwich Crown.

 

Le Royaume-Uni et les Etats-Unis occupent respectivement le 33e et le 48e rang sur 180 pays dans le Classement mondial de la liberté de la presse 2019 de RSF.


Contact presse : Rebecca Vincent on [email protected] or +44 (0)207 324 8903.

Publié le
Mise à jour le 28.02.2020