Régulation européenne des plateformes numériques : de grâce, encore un effort pour protéger le droit à l’information !

Le projet européen de législation sur les services numériques est entré dans la dernière phase de discussion entre les institutions européennes. Reporters sans frontières (RSF) appelle les négociateurs à s’entendre sur un texte ambitieux, à même de garantir, autant qu’il est encore possible, le droit à l’information des citoyens.

Les projets européens de législation sur les services numériques (Digital Services Act, ou DSA) et sur le marché numérique (Digital Market Act, ou DMA) apportent des avancées sans précédent à la régulation des entités systémiques de l’espace numérique. Le devoir de vigilance imposé aux plateformes, la protection de la liberté d’opinion, les garanties du respect de la liberté d’expression en particulier vont dans la bonne direction, mais de manière insuffisante.


RSF regrette que des sujets essentiels ne soient pas traités dans ces deux textes, en particulier l’exigence de neutralité politique, idéologique et religieuse des plateformes, la nécessité de mettre en place des mécanismes de promotion de fiabilité de l’information ou la garantie de l’indépendance des régulateurs nationaux. Les obligations de transparence des algorithmes sont beaucoup trop lacunaires.

 

La négociation finale se déroule désormais au sein du “trilogue”, qui réunit les représentants du Conseil, de la Commission et du Parlement européen. Elle doit permettre d’apporter encore des améliorations au texte dans le périmètre limité du projet.

 

“La négociation qui vient de s’ouvrir entre les institutions européennes (le “trilogue”) fournit une occasion majeure de protéger le droit à l’information des citoyens au sein de l’Union européenne, souligne le secrétaire général de Reporters sans frontières (RSF), Christophe Deloire. Les propositions de RSF sont sur la table, nous appelons les négociateurs à faire preuve de l’ambition qu’impose cette régulation sans précédent. Les progrès sont à portée de main”.

 

Protéger la liberté d’opinion en garantissant le droit à l’information fiable

 

RSF appelle le trilogue à garantir dans le DSA le droit à l’information au sein de l’Union européenne. L’organisation a proposé tout au long des discussions que le DSA oblige les plateformes à promouvoir les sources d’information fiables dans leurs systèmes de référencement et fils d’actualité (principe de due prominence). La Journalism Trust Initiative élaborée par RSF et consacrée par une norme du Centre européen de normalisation, offre une telle solution.


Cette obligation n’est pas prévue à ce stade par le DSA. Le principe de la promotion des sources d’informations fiables est inclus dans le Code de bonnes pratiques sur la désinformation, outil de co-régulation prévu par le DSA en cours de négociation entre les plateformes, des acteurs de la société civile (dont RSF) et la Commission. Mais l’adhésion aux principes du Code est laissée à la libre appréciation des plateformes, ce qui en réduit considérablement la portée et celle du DSA puisque le Code servira à l’évaluation du respect par les plateformes de leur devoir de vigilance consacré par le DSA. La cohérence commande donc d’inclure l’obligation de promotion des sources d’information fiables dans le DSA lui-même.


Garantir le droit à la liberté d’expression conformément aux normes internationales

 

RSF appelle le trilogue à renforcer les garanties pour la liberté d’expression des citoyens comme le préconise le Parlement européen. Certains amendements du Parlement constituent des avancées pour réguler les suppressions de contenus par les plateformes elles-mêmes ou en application des demandes des États : la possibilité pour les plateformes de supprimer des contenus considérés illégaux serait plus strictement encadrée ; les droits de recours des utilisateurs seraient renforcés, en particulier la garantie du droit à un recours effectif devant un juge indépendant. Les plateformes pourraient résister à des injonctions d'États de supprimer des contenus qui ne seraient pas conformes au droit à la liberté d’expression tel que prévu par la Charte des droits fondamentaux de l’UE, et pourraient former des recours contre ces injonctions. 

 

Renforcer le devoir de vigilance des grandes plateformes

 

RSF appelle le trilogue à renforcer le devoir de vigilance des grandes plateformes comme le préconise le Parlement européen. L’organisation demandait que les “risques systémiques” posés par les grandes plateformes, en particulier sur le débat démocratique, soient mieux identifiés et que leurs obligations pour remédier à ces risques soient renforcées. 

 

Les amendements adoptés par le Parlement vont dans ce sens : ils affinent la définition de ces risques, et ils obligeront les plateformes à évaluer l’impact de leurs propres systèmes (leurs algorithmes, leur business models, les “caractéristiques intrinsèques” de leur service, etc.) sur l’espace public, et à prendre des mesures mieux détaillées pour y remédier.  


Le Parlement a adopté d’autres amendements qui permettent de garantir un niveau élevé de protection des citoyens dans l’espace numérique comme le renforcement des obligations de transparence des plateformes ou la préservation du droit au cryptage. RSF appelle le trilogue à suivre le Parlement européen en adoptant ses amendements.

Publié le
Mise à jour le 15.02.2022