Référendum au Kurdistan irakien : les médias au coeur des tensions régionales

Au lendemain de la tenue d’un référendum historique au Kurdistan irakien et face aux crispations internes et régionales que ce scrutin a provoqué, Reporters sans frontières (RSF) rappelle aux autorités du gouvernement régional l’urgence de protéger les voix critiques dans un contexte politique de plus en plus incertain.

Alors que le référendum du 25 septembre a ouvert une période de grande incertitude au niveau local, régional et international, RSF invite les autorités du gouvernement régional du Kurdistan (KRG) à préserver le pluralisme des médias et des opinions et à protéger les journalistes locaux et étrangers qui sont appelés à couvrir les différents événements de la région.


Il ne faut pas négliger le droit des populations d’avoir accès à une information libre et le droit d’exprimer des points de vue critiques sur des questions d’intérêt général, qui sont essentiels au débat démocratique” déclare Alexandra El Khazen, responsable du bureau Moyen-Orient de RSF, qui a répertorié une série de violations de la liberté d’informer le jour du référendum et dans les semaines qui ont précédé la tenue du scrutin, au Kurdistan, mais aussi des répercussions au-delà des frontières du Kurdistan.


Des médias visés


Le jour du référendum, lundi 25 septembre, le Conseil supérieur de la Radio et la Télévision Turc (RTUK) a en effet décidé de suspendre la diffusion de la chaîne pro-gouvernementale Rudaw TV via l’opérateur Turksat avant d’interdire également la diffusion des chaînes Kurdistan 24 et Waar TV jugées “dangereuses pour les intérêts nationaux turcs”.


Au Kurdistan même, quatre journalistes de la chaîne NRT TV à Erbil ont été empêchés de pénétrer dans trois bureaux de vote de la ville d’Erbil (dans les écoles Zhilwan, Qazi Mohamed et Barzani Namir). Ils n’ont pas pu non plus accéder à l’hôtel Rotana où votaient plusieurs personnalités politiques.


La chaîne NRT TV, dont le propriétaire Shaswar Abdulwahid a fait campagne contre le référendum, est dans le collimateur des autorités du PDK depuis 2015. En plus d’avoir été suspendue pendant huit heures la veille du scrutin, la chaîne a été la cible, ces dernières semaines, de plusieurs attaques et restrictions: le 20 septembre dernier, une équipe a été empêchée de couvrir l'arrivée du président à Suleimaniyeh. Le mois précédent, l’ouverture prévue d’un nouveau studio pour diffuser des programmes autour du référendum a provoqué un raid des forces de sécurité dans un des bureaux de NRT TV, dans le quartier de Ainkawa à Erbil. Cinq jours après, la chaîne a été suspendue pour une semaine dans toutes les villes de la région, suite à un ordre du ministère de la Culture. Enfin le 31 août dernier, des inconnus armés, pro-référendum, ont menacé les employés de chaîne à Duhok et déchiré une affiche de la chaîne.


En plus de NRT TV, les chaînes de télévision Roj News et KNN n’ont pas non plus été en mesure d’assurer la couverture de l’assemblée du président du KRG et chef du Parti Démocratique du Kurdistan (PDK), Massoud Barzani, à Kirkouk le 12 septembre dernier. Ces chaînes là, en plus de Payam TV, ont été empêchées de couvrir à plusieurs occasions des réunions officielles autour du référendum au Kurdistan ou encore des meetings organisés par la délégation du comité du référendum à Bagdad.


Des journalistes intimidés


Alors que le référendum a bénéficié d’une attention médiatique internationale importante, au niveau local, des journalistes ou activistes, dont la couverture de la campagne a été jugée critique, ont été la cible de pratiques d’intimidations de la part d’inconnus armés ou de forces.


Le 20 septembre dernier, Mohamed Wali, cameraman de la chaîne Roj News pro-PKK, a été arrêté et détenu pendant huit heures par les forces de l’ordre alors qu’il couvrait une protestation contre la visite de Barzani à Sulaymaniyah. Son matériel avait été confisqué durant sa détention.


Le 6 septembre dernier, le journaliste kurde issu de la communauté yézidie Ahmed Shingaly, a annoncé sur sa page Facebook que quatre hommes armés avaient cassé une vitre de sa voiture garée devant son domicile. Selon lui, cette attaque venait probablement en représailles à ses publications sur la communauté yézidie et ses critiques à l’encontre de la corruption du pouvoir et de certains officiels.


Le 31 août dernier, Hoshang Kareem, présentateur de télévision pour la chaîne Rega TV, affiliée au parti Communiste, s’est vu menacé de mort en direct par un individu, qui s’est présenté en tant que membre d’une unité d’élite des peshmergas, dont il avait pris l’appel lors de son programme politique quotidien intitulé en kurde “Votre opinion”.


Le 14 août dernier, le journaliste critique et activiste partisan de la campagne du “Non au référendum”, Sherwan Sherwani, a annoncé sur sa page Facebook qu’il était menacé et recherché par les forces de l’ordre et qu’il se cachait désormais.


Le 11 juillet dernier, Ibrahim Abbas, journaliste freelance et ancien employé du bureau de presse de Massoud Barzani viré l’an dernier et devenu récemment très critique à l’encontre des autorités, notamment la personne du Premier Ministre Nechirvan Barzani, s’est fait tabasser par des inconnus armés à Erbil. Trois mois auparavant, il avait été brièvement arrêté par les forces de sécurité à Erbil et menacé en raison de ses publications notamment sur les réseaux sociaux.


En juin dernier, une centaine de journalistes et activistes ont publié et signé une déclaration pour critiquer la mise en place du référendum dans un contexte sécuritaire, économique et politique dégradé redoutant également ses répercussions au niveau national, régional et international. Le référendum était effectivement interdit par la Cour Suprême irakienne, contesté par des Etats comme la Turquie, l’Iran, la Syrie et les Etats Unis, mais aussi par le Conseil de Sécurité des Nations Unis.


L’Irak figure à la 158ème place du Classement 2017 sur la liberté de la presse établi par Reporters sans frontières.

Publié le
Mise à jour le 28.09.2017