Entre autoritarisme du Président et intolérance des médias

- Télécharger le rapport en .pdf La liberté de la presse aux prises avec un "dictateur" et des "putschistes" En janvier 2003, la situation de la liberté de la presse au Venezuela est des plus confuses. Depuis un mois, une importante partie de la presse privée apporte son soutien à une grève décrétée par l'opposition pour obtenir la démission du président Chavez. Diffusion de spots incitant à la désobéissance civile, retransmission d'appels au soulèvement de l'armée, diffusion de fausses informations… les principaux médias privés font en réalité plus que soutenir la grève, ils y participent à leur manière, au prix d'entorses aux principes les plus élémentaires de la déontologie. Huit mois plus tôt déjà, ils avaient approuvé un coup d'Etat ayant conduit au renversement, l'espace de quarante-huit heures, du président Chavez. Au cours de la grève générale de décembre 2002 et janvier 2003, les atteintes à la liberté de la presse se multiplient. Le nombre d'agressions contre les journalistes attribuées aux sympathisants du Président, déjà élevé, explose. Les sièges de plusieurs médias privés sont assiégés et des véhicules de chaînes de télévision sont brûlés. Quant à la presse publique, transformée en outil de propagande au service du Président, et aux médias communautaires, jugés progouvernementaux par l'opposition, ils sont ponctuellement la cible d'agressions. Fin janvier, la menace augmente. Pressentant les premiers signes d'essoufflement de la grève, Hugo Chavez utilise les excès commis par les médias pour lancer des représailles à leur encontre : un projet de loi sur leur "responsabilité sociale" fait l'objet d'une première approbation de l'Assemblée législative, des poursuites administratives sont lancées contre des chaînes de télévisions, des pressions fiscales sont exercées sur plusieurs médias d'opposition, le rétablissement du contrôle des changes menace l'approvisionnement en papier de la presse écrite… La polarisation atteint des sommets. Alors que l'opposition et les principaux médias privés accusent Hugo Chavez d'être un "dictateur" et de vouloir censurer la presse, ce dernier les accuse d'être des "putschistes" et des "traîtres". C'est dans ce contexte tendu que deux représentants de Reporters sans frontières se sont rendus à Caracas du 11 au 18 février 2003. Ils ont pu s'entretenir avec des journalistes, les directions et les services juridiques de médias privés, des journalistes de la presse publique, des journalistes de médias communautaires, des correspondants de la presse étrangère, le directeur de la Conatel (entité publique chargée de réguler les licences attribuées par l'Etat), et des membres de l'opposition. Reporters sans frontières regrette que ni le Président, ni aucun membre du gouvernement n'aient répondu à ses demandes d'entretien. Dans ce contexte de forte polarisation, la mission avait pour objectif de faire le point sur les atteintes à la liberté de la presse dénoncées par la presse privée tout en étant attentive aux excès des médias dénoncés par les partisans du chef de l'Etat. Une polarisation néfaste pour la liberté de la presse Le Venezuela a connu deux graves crises au cours des douze derniers mois : la tentative de coup d'Etat du 11 avril 2002 et la grève générale menée par l'opposition en décembre 2002 et janvier 2003. Ces deux crises révèlent l'extrême polarisation de la société vénézuélienne et ses graves conséquences sur la liberté de la presse : multiplication des violences contre les journalistes, fermeture de médias, restrictions d'accès à l'information publique… En parallèle, jamais les discours respectifs du gouvernement et de l'opposition, derrière laquelle se range la majorité des médias, n'auront été aussi intolérants, au point de recourir à la censure, ou de la cautionner. La tentative de coup d'Etat d'avril 2002 Le 11 avril 2002, l'opposition en est à son troisième jour de grève générale. Des centaines de milliers de personnes défilent dans la rue. Alors que le cortège décide de se diriger vers le palais présidentiel, des tirs éclatent dans la plus grande confusion provoquant la mort de vingt personnes et faisant plus de quatre-vingts blessés. Une fraction de l'armée annonce alors son ralliement à l'opposition et, dans la soirée, le Président est déposé. Pedro Carmona, président de Fedecámaras, l'association des chefs d'entreprise, est nommé à la tête du gouvernement de facto et annonce bientôt la dissolution de l'Assemblée législative et de la Cour suprême. Mais, dans la nuit du 13 au 14 avril, grâce à l'appui de forces loyalistes et après des manifestations réclamant son retour, Hugo Chavez revient au palais présidentiel. Les trois jours de cette tentative de coup d'Etat restent parmi les plus noirs de l'année pour la liberté de la presse. Dès les 8 et 9 avril, l'information est devenue un enjeu. Le gouvernement utilise à plus de trente reprises l'article 192 de la Loi sur les télécommunications qui lui donne le droit de réquisitionner l'antenne de l'ensemble des télévisions et radios. Selon un rapport de l'université catholique Andrés Bello (UCAB) de Caracas, intitulé "La crise d'avril et le droit à la liberté d'expression et d'information", il s'agissait vraisemblablement de "contrer" les informations diffusées par les chaînes privées qui couvraient alors largement la mobilisation de l'opposition. Le 11 avril, au moment même où, dans la rue, les troubles commencent, les chaînes de télévision sont obligées de diffuser un nouveau discours du Président. Elles tentent alors de retransmettre simultanément l'allocution présidentielle et la manifestation de l'opposition en partageant l'écran en deux. Immédiatement, Hugo Chávez annonce que le signal hertzien des principales chaînes, accusées d'"inciter à la violence", est coupé. Celles-ci poursuivent alors leurs retransmissions par satellite. Pendant ce temps, dans la rue, le photographe Jorge Tortoza, du quotidien Diario 2001, est mortellement touché par balles et une dizaine d'autres photographes ou cameramen sont blessés dans la plus grande confusion. Dans la soirée, après qu'une partie de l'armée s'est ralliée à l'opposition, le signal hertzien des chaînes privées est rétabli. En revanche, la chaîne publiqueVenezolana de Televisión (VTV), appelée encore Canal 8, est à son tour interdite. Des fonctionnaires dépêchés par le gouverneur de l'Etat de Miranda, Enrique Mendoza (opposition), mettent hors d'usage son système d'émission puis interdisent l'accès du bâtiment à ses employés les deux jours durant. Peu avant, Enrique Mendoza avait lancé : "Cette ordure de Canal 8 doit être suspendue." Bien qu'éphémère, le gouvernement de facto, installé dans la nuit du 11 au 12 avril, mène immédiatement la répression contre les médias jugés proches d'Hugo Chávez. Le 12 avril, l'agence publique Venpres est l'objet d'une tentative de perquisition. Trois médias communautaires sont également perquisitionnés (Radio Perola, TV Caricuao, Radio Catia Libre) et un quatrième (Catia TV) est encerclé pendant plusieurs heures et son accès bloqué. Soupçonné d'avoir tiré sur la foule, Nicolas Rivera, de Radio Perola, est arrêté le 12 avril et son domicile fouillé. Il est libéré deux jours plus tard après avoir été torturé. Le 13 avril, alors que les partisans d'Hugo Chávez sont descendus dans les rues de Caracas et que des rumeurs circulent sur le retour du Président, les chaînes de télévision privées diffusent des dessins animés et des feuilletons. Leurs directeurs ont par la suite expliqué qu'ils ne disposaient pas d'images et que leurs reporters ne pouvaient partir en reportage pour des raisons de sécurité. Ce mutisme a provoqué la colère des supporters du gouvernement. En fin d'après-midi, des dizaines d'entre eux manifestent devant le siège des chaînes RCTV, Globovisión et Venevisión, allant jusqu'à jeter des pierres sur la façade de RCTV. Selon Andrés Izarra, ce silence était volontaire. Producteur de RCTV, il déclare avoir reçu des instructions de sa direction pour passer sous silence les manifestations de partisans du président Chávez. "La consigne était zéro chavisme à l'écran", résume le journaliste. Les stations avaient d'ailleurs la possibilité de reprendre soit des images des chaînes internationales, telles que CNN, soit des informations des agences de presse internationales ou des correspondants étrangers qui n'ont jamais cessé d'informer sur les événements. Plus grave, la retransmission au Venezuela de la station colombienne Radio Caracol a été suspendue par son partenaire vénézuélien, une entreprise de télévision par abonnement, alors qu'elle couvrait le départ de Pedro Carmona, le président de facto. Enfin, dans une lettre ouverte datée du 23 mai 2002, José Gregorio Vásquez, vice-ministre du secrétariat à la Présidence de l'éphémère gouvernement de facto, affirme avoir organisé une réunion entre plusieurs patrons de presse et Pedro Carmona le 13 avril au matin. Selon José Gregorio Vásquez, il a alors été question des erreurs commises par le nouveau gouvernement. Puis "Gustavo Cisneros [président du Grupo Cisneros, deuxième groupe latino-américain de communication qui contrôle la chaîne Venevisión au Venezuela] a pris la parole pour demander au Président qu'il laisse entre leurs mains la politique de communication du gouvernement". Le contenu de ce document n'a jamais été démenti par les intéressés. A aucun moment cependant, contrairement à ce qu'affirme le président Chavez, la lettre de José Gregorio Vásquez ne laisse entendre que les directeurs des médias ont participé à la préparation du coup d'Etat. Le paradoxe est que ces derniers ont ainsi apporté une caution à un gouvernement qui, en à peine quarante-huit heures, a mené une répression plus sévère contre la presse jugée proche d'Hugo Chávez que ce dernier ne l'avait jamais fait contre la presse privée. La grève générale de décembre 2002-janvier 2003 Le 2 décembre 2002, l'opposition lance une nouvelle grève générale. Elle compte sur la cessation des activités de Petroleos de Venezuela (PDVSA), l'entreprise publique de production de pétrole qui fournit 80 % de ses devises à l'Etat, pour obtenir le départ d'Hugo Chavez. Retenant les leçons de la tentative du coup d'Etat, ni le gouvernement, ni l'opposition ne vont recourir aux mêmes extrêmes. Néanmoins, une fois encore, c'est un discours de confrontation qui va dominer dans les médias et les atteintes à la liberté de la presse vont se multiplier. Comme les précédentes, cette nouvelle grève fait l'objet d'une couverture commune aux chaînes de télévision privées. Travaillant en cartel, elles échangent leurs images pour mieux couvrir l'événement. Pour beaucoup, cette couverture a pris des allures de matraquage deux mois durant. Tous les après-midi, les chaînes diffusent sans discontinuer des informations sur la mobilisation. Elles donnent surtout la parole à l'opposition, diffusant simultanément chaque jour, en fin d'après-midi, la conférence de presse donnée par les leaders de l'opposition : Carlos Ortega, président de la Confédération générale des travailleurs du Venezuela (CTV), la plus importante confédération syndicale, Carlos Fernández, le nouveau patron de Fedecámaras (Pedro Carmona a quitté le pays après l'échec du coup d'Etat), et les responsables de la Coordinadora Democrática, la coalition de l'opposition qui regroupe partis politiques et organisations de la société civile. Certaines figures de l'opposition n'hésitent pas à appeler au soulèvement militaire. Les spots publicitaires commerciaux disparaissent des écrans. Selon Televén, il s'agissait d'une décision des entreprises elles-mêmes. Celles-ci auraient ainsi souhaité apporter leur soutien à la grève qui, de toute façon, avait provoqué la fermeture des magasins susceptibles de vendre leurs produits. Ils sont remplacés par ceux de la Coordinadora Democrática (CD) appelant la population à participer à des manifestations baptisées "Marche pour la démocratie" ou "La grande bataille", pour obtenir le départ du Président. Le spot "Pas un bolivar de plus" encourage la population à ne pas payer ses impôts. Un membre de la Coordinadora Democratica qui a requis l'anonymat a confié à Reporters sans frontières qu'il est arrivé aux chaînes de faire une "sélection" parmi ces clips proposés par l'opposition, écartant ceux qui paraissaient les moins virulents. La chaîne publique VTV n'a pas brillé non plus par sa modération pour contrer la propagande des chaînes privées. Selon l'agence Associated Press, elle a d'abord tenté d'ignorer la grève avant de diffuser des spots décrivant une opposition désorganisée et au bord de l'hystérie et qualifiant les leaders de la grève d'"idiots" et d'"enfants". La chaîne en a notamment diffusé un présentant des individus armés, membres présumés de l'opposition, avec pour commentaires : "Ce que cachent les chaînes conspiratrices", "Voilà la paix des putschistes", "Des fascistes en action". Les deux mois de grève générale se sont accompagnés d'une recrudescence des actes de violence contre la presse, tant privée que publique. Selon un rapport présenté fin février par une délégation de la presse privée devant la Commission interaméricaine des droits de l'homme (CIDH), une cinquantaine de journalistes ont été agressés ou menacés pendant cette période et six véhicules de presse ont été endommagés. Au total, une vingtaine de médias ont été la cible de manifestations de protestation. Très organisées, ces dernières ont parfois reçu expressément l'approbation du gouvernement. Les 9 et 10 décembre, dix-neuf médias de l'opposition, à Caracas comme en province, ont été simultanément les cibles de manifestations de protestation, parfois violentes. Diosdado Cabello, alors ministre de l'Intérieur et de la Justice, dénonce les intentions subversives présumées de l'opposition et commente : "Cette nuit, le peuple est dans la rue pour défendre ses valeurs et sa Constitution". La presse privée n'est pas la seule touchée. Le 9 décembre, une manifestation similaire se déroule devant VTV au cours de laquelle des coups de feu sont tirés contre la façade du bâtiment. Le 4 janvier, un inconnu circulant en voiture a ouvert le feu sur un groupe de personnes, réunies devant la radio publique Radio Nacional de Venezuela (RNV) pour lui apporter son soutien, faisant un blessé grave. Au moins sept journalistes de médias publics ou communautaires ont été agressés ou menacés entre le 2 décembre et le 2 février. Autre conséquence immédiate de la grève sur la liberté de la presse : l'adoption de mesures restreignant l'accès des journalistes à l'information publique. Le 11 janvier, la salle de presse du siège de la police judiciaire est fermée après que des journalistes ont couvert la conférence de presse d'un des militaires qui s'est proclamé "en désobéissance légitime". Pendant plusieurs jours, Hugo Chavez a interdit l'accès des journalistes des médias privés au palais présidentiel. Par ailleurs, plusieurs photographes et reporters de télévision ont été interpellés aux abords du palais présidentiel et contraints de détruire leurs images pour des motifs de sécurité.
La responsabilité de l'Etat

En 2002, le recours à la violence contre la presse s'est nettement accru et a pris de nouvelles formes. Encouragées par le discours virulent du président Chávez contre les médias, les agressions le sont aussi par l'impunité dont bénéficient leurs auteurs. Leur caractère systématique et dans certains cas, prémédité, conduit à s'interroger sur le degré de responsabilité des autorités dans leur exécution. Les partisans du président Chávez multiplient les agressions Les violences contre la presse visent en premier lieu les journalistes de médias privés. Les actes de violence contre la presse par des partisans du chef de l'Etat sont bien antérieurs à la tentative de coup d'Etat d'avril 2002. La première agression recensée par Reporters sans frontières remonte au 1er mai 2000. Pour la première fois, quatre journalistes travaillant pour trois médias privés sont pris à partie par des supporters d'Hugo Chávez lors d'une manifestation de soutien au Président. Depuis cette date, les agressions contre la presse par des sympathisants du gouvernement se sont multipliées pour atteindre des proportions alarmantes. Reporters sans frontières a relevé plus d'une centaine d'actes de violence, d'intimidation ou de menace en 2002, un chiffre sans précédent. Le rapport présenté fin février 2003 par des représentants de la presse privée devant la CIDH fait même état de 215 agressions recensées depuis 1999, dont la quasi-totalité est survenue en 2002 et début 2003. Le plus souvent, les journalistes sont conspués, menacés, agressés ou voient leur matériel volé par des sympathisants du gouvernement alors qu'ils couvrent des manifestations où partisans et opposants du Président s'affrontent. En 2002, les sièges des médias sont à leur tour devenus des cibles. Au total, sept attentats à l'explosif ont été perpétrés au cours de l'année contre des médias de l'opposition, dont trois contre la seule chaîne Globovisión. Chaque fois, il s'agissait d'engins de faible puissance. Au cours de la même année, les manifestations devant les bureaux des médias aux cris de "Dites la vérité" se sont multipliées. Ce type d'opération a débuté le 7 janvier 2002, avec le siège du quotidien El Nacional. Plusieurs de ces manifestations ont tourné à de véritables actes d'intimidation lorsque les manifestants ont volontairement bloqué l'accès de médias ou fait usage de violence. La presse de Caracas n'est pas la seule visée. En province, le quotidien El Siglo, (Etat d'Aragua) affirme avoir été assiégé à quatre reprises par des "chavistes" entre avril et décembre 2002. Selon la direction du journal, le 5 décembre, après avoir lancé des pierres contre les vitres des bureaux, les assaillants ont brûlé des pneus dans la rue et fait usage d'armes à feu, blessant deux employés du journal. Les locaux ont ensuite été perquisitionnés sans mandat par des agents de la DISIP (police politique) qui ont saisi du matériel et confisqué les armes des vigiles, pourtant en règle. Au cours des derniers mois, douze de ses véhicules ont par ailleurs été abîmés, voire mis hors d'usage, par des jets de pierres. La prise à partie des véhicules des médias est en effet devenue une pratique courante. Les attaques répétées du président Chavez contre la presse
Pour de nombreux observateurs, le premier responsable de ces agressions est Hugo Chávez et son discours virulent contre la presse. "Traîtres", "putschistes", "oligarques", "saboteurs", "fascistes", "terroristes", sont quelques-uns des termes utilisés par celui-ci pour désigner la presse et l'opposition. Cette attitude n'est pas nouvelle. Dès 1999, le chef de l'Etat critiquait les titres des journaux qu'il considérait comme inexacts ou injustes à l'égard de son gouvernement. Sa cible privilégiée a toujours été les directeurs des médias, accusés d'être des "ennemis du peuple" et d'orchestrer une "conspiration médiatique" contre son gouvernement. Des attaques qui ont pris parfois des tournures personnelles. Le 23 octobre 2001, le président Chávez n'a pas hésité à affirmer que Miguel Henrique Otero, directeur du quotidien El Nacional, était "indigne" de son père, Miguel Otero Silva, qui avait fait du quotidien un journal de gauche de référence. Pour lancer ses attaques, Hugo Chavez dispose d'une tribune privilégiée : son émission "Alo Presidente", diffusée chaque dimanche sur les médias publics VTV et RVN. Fin janvier 2003, selon une étude de l'entreprise de communication Nelson Rivera & Asociados, sur un total de 136 émissions, le Président a critiqué la presse dans 133 d'entre elles. Il a également fréquemment recours aux "cadenas", les réquisitions d'antenne des médias audiovisuels autorisées par l'article 192 de la Loi des télécommunications. Il peut ainsi apparaître quand il le souhaite à l'antenne des chaînes de télévision privées qui lui sont pourtant hostiles. Selon une enquête de l'entreprise AGB Panamericana, qui mesure l'audience des chaînes, le Président a utilisé 357 fois ce système entre le 2 février 1999 et le 12 février 2002. Enfin, la rhétorique présidentielle contre la presse est largement reprise par les médias publics. Début février 2003, quelques jours après la fin de la grève générale, un spot diffusé par la chaîne d'Etat VTV demandait : "Pensez-vous que les saboteurs méritent un châtiment ?", alors qu'un autre dénonçait "l'irresponsabilité de la Coordinadora Democrática et de ses médias". Plus encore que la presse privée, la chaîne publique est accusée de ne donner la parole qu'au seul secteur qu'elle défend : le gouvernement. Pour beaucoup, jamais elle n'a été un tel outil de propagande aux mains du gouvernement en place. Pour sa part Venpres, l'agence de presse publique, s'est illustrée le 13 mars 2002, avec la publication d'un article accusant Ibéyise Pacheco, directrice du quotidien Así es la Noticia, Patricia Poleo, directrice du journal El Nuevo País, et José Domingo Blanco, de Globovisión, connus pour être critiques du gouvernement, d'être des "narcojournalistes". L'article insinuait qu'ils étaient payés par les cartels de la drogue pour salir la réputation du gouvernement. En marge des médias publics, des campagnes de diffamation ou de dénigrement contre des journalistes sont menées aussi bien dans la presse proche du Movimiento Quinta Republica (MVR), le parti du Président, que sur Internet ou dans la rue. Vendu sur un stand du MVR devant l'Assemblée nationale, le journal Fuerza-Punto 4 reprend les déclarations de la députée Iris Varela (MVR) accusant Gustavo Cisneros, le patron du groupe contrôlant la chaîne Venevisión, d'être lié aux narcotrafiquants. Un autre titre dénonce une presse privée "infiltrée par la CIA". Sur la Plaza Bolivar, lieu de rassemblement privilégié des partisans du Président à Caracas, une affiche présente les photos de cinq directeurs de médias en invitant "le peuple" à reconnaître "les ennemis de la patrie". Sur Internet, un site([http://geocities.com/contragobernanza/individualidades2.htm)] demande pour sa part aux "ennemis publics" du gouvernement de quitter le pays étant donné qu'il existe à leur encontre "des ressentiments populaires hors de contrôle des autorités". Suit une longue liste dans laquelle figurent plusieurs dizaines de journalistes et de médias. Ce type de campagne circule également par e-mail. Des agressions encouragées par l'impunité
"Les agressions contre les journalistes sont encouragées par l'impunité totale dont bénéficient leurs auteurs", constate Andrés Cañizales, représentant à Caracas de l'Institut presse et société (Instituto Prensa y Sociedad, IPYS), une association latino-américaine de défense de la liberté de la presse basée à Lima (Pérou). Pour ce dernier, Hugo Chavez est le premier responsable de la situation en laissant faire les agresseurs. Sur le terrain, ces derniers savent qu'ils peuvent compter sur la passivité bienveillante des forces de l'ordre. Cette complicité peut même se révéler active. Le photographe Angel Véliz, du quotidien Impacto, publié à Anaco (Etat d'Anzoategui), rapporte qu'il était maintenu par un membre de la Guardia Nacional pendant que des partisans présumés du gouvernement le frappaient. Pour l'organisation vénézuélienne de défense des droits de l'homme Provea, vingt agressions contre la presse, sur les soixante-deux recensées par l'organisation entre octobre 2001 et septembre 2002, ont été le fait d'agents de l'Etat. Plusieurs journalistes ont ainsi été blessés par balles lors de la dispersion de manifestations. Au 7 avril 2003, aucun responsable d'une agression contre un journaliste n'a encore été condamné. L'enquête sur la mort de Jorge Tortoza, tué le 11 avril 2002, est toujours dans sa phase préliminaire. Bien qu'il existe des images des auteurs supposés des tirs, des sympathisants présumés du gouvernement, aucun suspect n'a été arrêté. Pour les défenseurs du gouvernement, l'absence d'enquête n'est pas imputable à Hugo Chavez car la police et la justice seraient en réalité contrôlées par l'opposition. Une thèse jugée inexacte par Carlos Correa, de l'association Provea, et Liliana Ortega, directrice de Cofavic, une autre association de défense des droits de l'homme. Pour cette dernière, les autorités ne montrent aucune volonté d'enquêter sur les agressions. Y compris sur la trentaine de cas de journalistes ou directeurs de journaux pour lesquels la CIDH a demandé au gouvernement d'enquêter et de prendre des mesures de protection. Une situation dénoncée le 10 mars 2003 par l'organisme interaméricain qui déplore le "climat de peur" créé par l'impunité. Les rédactions ont été contraintes de prendre en charge leur sécurité et celle de leurs reporters. Gilets pare-balles et masques à oxygène sont fournis à ces derniers lorsqu'ils couvrent des manifestations. Marta Colomina, la très polémique présentatrice de la chaîne Televén, est protégée par un garde du corps payé par sa station. Elle affirme être parfois suivie par des véhicules suspects, sans plaque d'immatriculation. A Globovisión, un important dispositif de sécurité a été adopté pour éviter la répétition des dommages provoqués par les manifestations qui se sont tenues devant la chaîne ou par les attentats à l'explosif qui l'ont visée. A Barquisimeto (Etat de Lara), Promar TV, une station sous contrat avec Globovisión, a choisi de retirer ses logos de ses véhicules. Les reporters recourent aussi à la ruse. Certains n'hésitent pas à porter le béret rouge des parachutistes, signe de reconnaissance des partisans d'Hugo Chavez, ancien parachutiste, pour pouvoir couvrir les manifestations de soutien au Président ou infiltrer les rangs des groupuscules violents. Un photographe a confié à Reporters sans frontières qu'il disposait d'une carte de presse avec une fausse identité afin de ne pas être identifié comme travaillant pour un média assimilé à l'opposition. Des actions préméditées
L'aspect organisé et prémédité des agressions et manifestations dirigées contre la presse privée invite à s'interroger sur la responsabilité de l'Etat dans leur réalisation. Selon Teodoro Petkoff, directeur du quotidien Tal Cual, une chose est sûre : on ne peut plus parler de simples débordements d'individus zélés. Les manifestations devant les sièges des médias sont préparées. Selon un responsable du quotidien El Nacional, les personnes venues manifester devant le journal le 7 janvier 2002 sont arrivées en bus et venaient de la municipalité de Libertador, à Caracas, dirigée par Freddy Bernal, du MVR (le parti au pouvoir). La direction du quotidien El Siglo, de Maracay, signale qu'à trois reprises, les manifestants venus protester devant ses locaux sont eux aussi arrivés dans des bus. Certains quartiers sont de fait interdits à l'opposition et aux professionnels de la presse privée. Citée par la revue colombienne Gatopardo, Lina Ron, figure des milieux populaires et sympathisante notoire du président Chavez, explique : "Je ne peux laisser passer personne (dans le centre). Les contre-révolutionnaires ont seulement le droit de défiler dans l'est de la ville et nulle part ailleurs. Cet endroit est notre territoire". "Je suis systématiquement suivi et surveillé dès que je suis dans les rangs des chavistes", affirme un photographe qui a requis l'anonymat. Avec un collègue, il affirme que les agresseurs fichent les reporters et connaissent ainsi parfaitement l'identité de leurs victimes. Le 20 juin 2002, au cours d'une manifestation d'opposants au gouvernement, Marcos Rosales, un agent des services de renseignements militaires (DIM), est identifié par une journaliste alors qu'il s'est infiltré dans les rangs des journalistes pour prendre des clichés de ces derniers et des manifestants.

La presse privée : quelle responsabilité ?

L'augmentation dramatique des agressions contre les journalistes en 2002 coïncide avec une radicalisation du discours de la majorité de la presse privée contre le Président. Un constat qui conduit à s'interroger sur la responsabilité des médias dans la situation actuelle de la liberté de la presse, même s'il est entendu que rien ne saurait justifier le recours à la violence à leur encontre. La presse privée choisit l'opposition
Le 4 décembre 2001, le Bloque de Prensa Venezolano (BPV), une organisation qui réunit les directeurs de trente-huit journaux, annonce qu'il participera à la première grève générale en suspendant la publication de ses titres. La grève est prévue le 10 décembre par l'opposition, alors incarnée par Fedecamaras, l'association des chefs d'entreprise, et la Confédération générale des travailleurs du Venezuela (CTV). Depuis, la majorité des titres du BPV ont de nouveau suspendu leur publication les 9 avril, 21 octobre et 1er et 2 décembre 2002, lors de nouvelles grèves. Dans un communiqué publié en février 2003, cette organisation assume sans complexe ce rôle d'opposant en appelant les citoyens à se joindre à sa "croisade" pour la défense des libertés. Deux exceptions de taille dans cet engagement contre le Président : les quotidiens Ultimas Noticias et Panorama, qui comptent parmi les plus forts tirages. Les principales chaînes de télévision privées se sont également engagées dans l'opposition. Maria Ines Loscher, du service juridique de la chaîne Venevisión, explique que, légalement, la chaîne ne pouvait pas suspendre ses émissions et qu'elle a donc choisi de soutenir la grève des mois de décembre 2002 et janvier 2003 en lui apportant une très large couverture. Les relations entre la presse et le président Chávez n'ont pourtant pas toujours été mauvaises. Celui-ci a d'abord été un personnage attirant pour les médias au lendemain de sa tentative de coup d'Etat, en février 1992, le gouvernement de l'époque cherchant à censurer les informations qui le concernaient. Hugo Chávez est arrivé au pouvoir avec le soutien du quotidien El Nacional et, dans une moindre mesure, de la chaîne Venevisión, la plus importante des stations privées. D'ailleurs, la participation, en 1999, de plusieurs journalistes à son gouvernement puis au groupe parlementaire qui le soutenait à l'Assemblée constituante, semblait sceller une alliance avec plusieurs médias. Parmi ces journalistes, Alfredo Peña, ancien directeur du quotidien El Nacional, est nommé secrétaire à la présidence avec rang de ministre, et Carmen Ramia Otero, la femme du directeur du même quotidien, devient directrice du bureau central de l'Information, chargé des relations du chef de l'Etat avec la presse. Le premier, devenu le premier maire "métropolitain" de Caracas en juillet 2000, une fonction créée par le Président, s'est depuis converti en l'un de ses plus farouches opposants. La seconde est restée à peine quelques semaines à son poste. La rupture entre Hugo Chávez et la presse est consommée après l'adoption, en novembre 2001, de ce qu'on appellera les "quarante-neuf décrets-lois". Ces derniers renforcent l'intervention de l'Etat dans l'économie, en remettant en cause la propriété privée sur la terre et la privatisation annoncée de Petroleos de Venezuela (PDVSA). Cette législation est qualifiée de "totalitaire" par le BPV alors que, pour les partisans du gouvernement, les propriétaires des médias ont surtout réagi comme une "oligarchie" dont les intérêts seraient menacés. Les directeurs de la presse sont également exaspérés par la répétition des agressions contre les reporters ou le recours abusif aux "cadenas". A la mi-2002, les pertes pour les médias audiovisuels provoquées par ces dernières étaient estimées à 450 millions de dollars. La presse se méfie d'un militaire qui, après avoir été l'auteur d'un coup d'Etat manqué en 1992, n'hésite pas à lancer qu'il restera au pouvoir jusqu'en 2021… Elle est échaudée par des décisions telles que la nomination à la tête du parquet, en décembre 2000, dans des conditions contestées, d'Isaias Rodríguez, jusqu'alors vice-président de la République. Une décision susceptible de remettre en cause l'indépendance du pouvoir judiciaire. Enfin, la presse est tentée d'entrer dans l'opposition par la quasi-disparition des partis politiques traditionnels, discrédités par quarante ans de partage de pouvoir et balayés lors de l'élection qui a porté Chavez à la présidence fin 1998. La Coordinadora Democrática, coalition de partis de l'opposition et d'organisations de la société civile, n'a vu le jour qu'en juillet 2002. Avec Fedecamaras et la CTV, la presse incarne de fait l'opposition. Elle rentre ainsi dans une logique de confrontation avec un Président qui, depuis le début de son mandat, la traite en adversaire et va être, du coup, encore plus fondé à le faire. D'autant que, dans leurs propos, ces médias vont tomber dans des excès et une intolérance similaires à ceux du gouvernement. Les excès de l'"antichavisme" Dans sa hâte de discréditer le gouvernement, les principaux médias privés en sont venus à relayer de fausses informations, faute de les avoir vérifiées. Le 9 janvier 2003, Juan Fernández, président de l'organisation Gente del Petróleo, qui participe à la grève générale, annonce qu'un employé de PDVSA est mort lors d'un incendie survenu deux jours plus tôt dans une raffinerie que le gouvernement tentait de faire tourner malgré la grève. L'information est reprise dans plusieurs médias. Le 12 janvier, Alirio Carresquero, l'employé en question, apparaît aux côtés du président Chavez dans son émission "Alo Presidente". Déjà, en mars 2002, le quotidien El Nacional avait repris du site analitica.com une interview supposée du journaliste français Ignacio Ramonet dans laquelle ce dernier, considéré comme un proche d'Hugo Chávez, se disait en rupture avec le Président. Le lendemain de sa publication, dans un message adressé au directeur de analitica.com, l'auteur de l'interview, un certain Emiliano Payares Guzman, "étudiant mexicain", révélait avoir fabriqué de toutes pièces l'entretien dans le cadre d'une "étude sur le manque de rigueur de la presse caribéenne". El Nacional a immédiatement publié un correctif. Les principaux médias privés sont accusés de donner la parole essentiellement à l'opposition. "Depuis quelque temps, la liste des personnes à interviewer n'est plus discutée, elle est fournie par la direction de la rédaction", regrette un journaliste d'une radio privée qui précise cependant qu'il parvient encore à "s'arranger" pour ouvrir son micro à qui il l'entend. "Pour Phil Gunson, correspondant des hebdomadaires The Economist et Newsweek et du quotidien Miami Herald, les interviews de leaders de l'opposition s'apparentent à "des sessions de massages mutuels où intervieweur et interviewé sont d'accord". "Le débat public est tombé au niveau zéro, celui de l'insulte", commente Emilio Arrojo, de l'agence espagnole EFE. Selon Nora Uribe, ministre de l'Information et de la Communication, le Président est souvent traité de "fou", d'"incompétent", d'"assassin", de "criminel" et de "voleur". Les partisans de Chavez sont qualifiés de "hordes chavistes" et les "cercles bolivariens", les organisations de base favorables au Président, sont rebaptisés "cercles de la terreur", en raison des violences commises par les plus extrémistes d'entre eux. Le 12 février 2003, dans son émission "La Noticia" (Televén), dans laquelle elle commente l'actualité, Marta Colomina qualifie les députés de la majorité de "ridicules" et le gouvernement de "farcesque", et dénonce la "révolution de pacotille" menée par ce dernier. Mais, selon l'universitaire Pablo Antillano, le plus grave n'est pas là, il est dans la pratique de "cartelización", en clair, la décision des chaînes de couvrir ensemble un événement. "Cette pratique remet gravement en cause la pluralité de l'information", affirme ce spécialiste des médias. Les chaînes se partagent les lieux à couvrir afin d'être présentes partout, puis s'échangent les images. Elles mettent en place une programmation commune en diffusant les mêmes images et en adoptant le même planning. Encore une fois, c'est sur Internet que l'on retrouve le discours le plus radical de l'opposition. La logique y est la même que sur les sites progouvernementaux : la diabolisation et la criminalisation de "l'ennemi". Un site([http://mx.msnusers.com/ESCUALIDOSNIUNPASOATRAS)] a publié ainsi un photomontage représentant Chávez en diable. Un autre, reconocelos.com ("reconnaissez-les.com"), demande à la population de mettre au ban de la société les personnalités jugées proches du gouvernement. Parmi elles, onze journalistes "qui font honte à la profession en se convertissant en porte-parole du dictateur". Les internautes sont invités à laisser leurs commentaires. L'un d'entre eux invite ceux qui le souhaitent à aller protester par un concert de casseroles, les fameux "cacerolazos", sous les fenêtres d'Eleazar Diaz Rangel, directeur du quotidien Últimas Noticias, dont il donne l'adresse. Un respect sélectif de la liberté de la presse L'intolérance contenue dans le discours de la presse privée va se prolonger par des agressions contre des journalistes de la presse progouvernementale ou considérée comme telle. Ces actes, assimilables à des débordements, n'ont pas le caractère systématique et organisé des agressions contre la presse privée. Jesús Romero Anselmi, le directeur de VTV, également épinglé sur reconocelos.com, a ainsi été victime, fin janvier 2003, à son domicile, d'un concert de casseroles de la part de militants de l'opposition. Plusieurs journalistes de VTV ou de RNV ont eux aussi été pris à partie lors de manifestations. Le 19 novembre 2002, Zaida Pereira et Eduardo Escalona, journaliste et reporter de VTV, ont été agressés sur la place Francia de Altamira, occupée par des militaires qui se sont déclarés "en désobéissance légitime". A trois reprises, en 2002, des partisans de l'opposition ont manifesté devant les locaux de la chaîne de télévision publique qu'ils accusent de faire le jeu du Président. Des journalistes de médias communautaires, gérés par des communautés d'habitants, le plus souvent à l'échelle d'un quartier, ont également été victimes de violences, à l'image de Maite Moreno et Narka Moreno, deux reporters de la chaîne Catia TV, agressées le 2 février 2003, lors d'une collecte de signatures organisée par l'opposition. Ces médias se sont nettement développés depuis l'arrivée au pouvoir de Chavez et l'adoption, en août 2000, de la Loi sur les télécommunications qui ouvre la porte à leur légalisation. En outre, selon Ricardo Márquez, responsable de Catia TV, sa station a également reçu une subvention du gouvernement pour faciliter son lancement. Lors d'une rencontre avec les représentants de Reporters sans frontières, plusieurs directeurs de médias privés n'ont pas caché leur hostilité à l'égard de cette presse qu'ils jugent inféodée au président Chavez. Une hostilité partagée. Pour Thierry Deronne, de la télévision communautaire Teletambores, les médias privés sont des "médias criminels, englués dans la propagande politique et les campagnes de haine sociale et raciale". Le paradoxe est que la presse privée, qui se pose dans le même temps en défenseur de la liberté de la presse face au Président, ne verrait pas d'un mauvais œil la fermeture de ces médias. Un article publié en septembre 2002 par le quotidien El Nacional souligne que la plupart des radios communautaires sont illégales et rappelle que, dans ce cas, la loi prévoit "la fermeture de la radio, la saisie du matériel et l'incarcération du responsable". Dans une moindre mesure, la presse internationale est également devenue une victime de ce climat d'intolérance. Depuis que les chaînes internationales ont couvert le retour du Président au pouvoir le 13 avril 2002, la presse étrangère est mal vue par les secteurs les plus radicaux de l'opposition. Ses relations avec plusieurs médias privés se sont encore dégradées lors de la grève générale des mois de décembre 2002 et janvier 2003. D'une façon générale, la presse de l'opposition reproche à la presse internationale de ne pas comprendre la situation vénézuélienne et de présenter Chavez comme le représentant des pauvres en butte aux secteurs conservateurs. Plusieurs correspondants étrangers se sentent pris à partie par l'opposition qui souhaiterait les voir soutenir sa cause. Une impression qui tourne au malaise lorsque des journalistes de médias privés critiquent la couverture des événements par la presse internationale. Un journaliste qui travaille pour CNN confie avoir caché le logo de la chaîne sur son véhicule pour éviter les problèmes. Emilio Arrojo, responsable de l'agence EFE, explique qu'il a été victime de deux alertes à la bombe début janvier 2003, après que Leopoldo Castillo, animateur de l'émission "Alo Ciudadano" diffusée sur Globovisión, avait déclaré qu'une dépêche de son agence affirmait que les manifestations de l'opposition étaient menées par des "hiérarques". "EFE n'a jamais écrit cela", précise Emilio Arrojo. Le 21 février 2003, reprenant une méthode des partisans du gouvernement, une soixantaine de militants de l'opposition ont intercepté un véhicule de l'Agence France-presse. Aux cris de "Vous êtes Français, vous du (quotidien français Le) Monde, vous êtes avec Chávez", ils ont secoué le véhicule et empêché ses deux occupants d'en sortir. Fin décembre 2002, Le Monde avait publié un éditorial selon lequel les partisans de l'opposition "n'ont jamais supporté qu'un petit officier, issu du peuple et métis indien, vienne perturber le jeu d'une classe dirigeante aux traditions oligarchiques".

Nouvelle offensive du gouvernement contre la presse

Le 20 janvier 2003, alors que la grève générale commence à s'épuiser, trois chaînes de télévision sont informées que des procédures administratives ont été ouvertes à leur encontre par le ministère de l'Infrastructure (Minfra), qui gère l'attribution des fréquences, pour avoir diffusé des images "incitant à la rébellion" ou des informations "fausses, trompeuses ou tendancieuses". Le lendemain, le gouvernement instaure le contrôle des changes qui lui donne de fait la possibilité d'empêcher la presse écrite de se fournir en papier à l'étranger. Quinze jours plus tard, un projet de loi sur "la responsabilité sociale" des médias audiovisuels est adopté en première lecture. Il permet de retirer leur licence aux chaînes qui ne respecteraient pas certains critères de programmation pour les émissions réservées aux enfants. Une fois convaincu de l'échec de la grève, Hugo Chávez a ainsi lancé une vaste offensive contre la presse. Le rapport de force ayant changé, le chef de l'Etat s'est appuyé sur certains excès de la presse privée pour justifier plusieurs démarches à son encontre. Le 23 janvier, devant ses partisans, il donne le ton : "Si nous devons prendre la mesure la plus grave qu'il soit, nous le ferons, nous retirerons (aux chaînes de télévision) leur licence pour qu'elles cessent de retransmettre ce qu'elles retransmettent." Des procédures administratives contre les "quatre cavaliers de l'apocalypse" Bien avant la fin de la grève générale, les autorités ont cherché le moyen de faire pression sur la presse privée. Le 6 janvier 2003, le procureur général de la République annonce qu'un recours a été introduit contre les chaînes qui n'auraient pas respecté les horaires consacrés à la programmation pour enfants en raison de leur couverture spéciale de la grève. Par ailleurs, entre le 12 décembre 2002 et le 8 janvier 2003, au moins douze plaintes sont présentées contre ces mêmes stations par de simples particuliers agissant à titre personnel ou en tant que représentants d'associations, pour des motifs similaires. Bientôt, le ton se durcit contre Globovisión, RCTV, Televén et Venevisión, les quatre principales chaînes commerciales surnommées les "quatre cavaliers de l'apocalypse" par le Président. Globovisión, RCTV et la chaîne régionale Televisón Regional de Táchira (TRT), le 20 janvier, puis Televén, le 30 janvier, et enfin Venevisión, le 5 février, sont informées qu'elles font l'objet de procédures administratives. Il est reproché aux chaînes de télévision d'"inciter à la rébellion et au non-respect des institutions et autorités légitimes", "de diffuser des informations fausses, trompeuses ou tendancieuses", "de porter atteinte à la réputation et au nom de personnes ou d'institutions", d'encourager "la subversion de l'ordre public et social"… Elles sont également accusées de ne pas respecter les horaires de programmation pour enfants ou d'avoir incité à commettre des délits, tels que ne pas payer ses impôts ou manifester dans des zones décrétées interdites. Les chaînes de télévision auraient violé le Règlement des radiocommunications, le Règlement partiel sur les transmissions par la télévision et la Loi sur les télécommunications. Une législation jugée "contraire au libre exercice de la liberté d'expression" par Eduardo Bertoni, le rapporteur spécial pour la liberté d'expression de l'Organisation des Etats américains. Le plus souvent, les charges sont fondées sur le contenu des spots politiques de l'opposition. Certains sont incriminés pour avoir accusé le Président de faire "des voyages incessants ou d'attaquer l'Eglise" et d'être "le seul responsable" de tant "d'impunité, d'anarchie et d'ingouvernabilité". Il est également reproché aux chaînes la diffusion de déclarations de membres de l'opposition, comme celle du juriste Hermann Escara qui affirmait : "Le peuple doit sortir dans la rue demain (…) C'est un appel au peuple, mais c'est aussi un appel aux militaires." Après le dépôt de ces recours, c'est le ministre de l'Infrastructure qui doit trancher, avant fin juin. Il peut demander une amende ou encore la suspension des chaînes, voire la révocation de leur licence. Les défenseurs de la liberté de la presse s'inquiètent. Le ministre de l'Infrastructure, Diosdado Cabello Rondón est un proche du Président et serait partisan d'une ligne "dure" au sein du gouvernement. Andrés Cañizales, de l'IPYS, souligne qu'il a été nommé au poste de ministre de l'Infrastructure le 14 janvier 2003, juste avant l'annonce des poursuites administratives. Il pourrait avoir été désigné pour mener la répression. Les chaînes de télévision avaient quinze jours ouvrables pour présenter leur défense. Pour Televén, le ministre de l'Infrastructure n'est compétent ni pour lancer de telles actions, ni pour imposer des sanctions aux médias. Selon la chaîne, la Loi sur les télécommunications ne lui en donne pas le pouvoir. Le service juridique de la chaîne demande l'annulation des poursuites. Il fait également valoir que les images incriminées constituaient des informations. Televén souligne enfin que certaines des images dont on lui reproche la diffusion n'ont pas été retransmises par la chaîne. A Venevisión, on affirme que les textes que l'on prétend appliquer à la station ne sont plus en vigueur et que la chaîne est passible de poursuites uniquement sur la base de la Loi sur les télécommunications adoptée en août 2000. Venevisión demande également l'annulation des poursuites. La presse écrite menacée par le rétablissement du contrôle des changes Le 21 janvier 2003, le gouvernement vénézuélien a suspendu la vente de devises et un contrôle des changes a été institué le 5 février. Dorénavant, toutes les opérations de change doivent être autorisées par la Commission d'administration des devises (Cadivi) instituée par les autorités. A sa tête, le président Chávez a nommé un capitaine en retraite qui avait participé à ses côtés au coup d'Etat manqué de février 1992. Dès le 4 février, le chef de l'Etat a prévenu qu'il n'y aurait "pas un dollar pour les putschistes". "Participer à un coup d'Etat et demander des devises est un contresens", a déclaré pour sa part le ministre du Commerce, Ramon Rosales. La plupart des journaux et magazines, qui importent leur papier, se sentent menacés. D'autant que, lors de la présidence de Jaime Lusinchi (1984-1989), le contrôle des changes avait été utilisé par le gouvernement pour contrôler la presse. Plus récemment, Rafael Caldera, président de la République de 1994 à 1999, l'avait également utilisé contre le quotidien El Impulso. Lors d'une conférence de presse donnée à Washington le 26 février, Nora Uribe, la ministre de la Communication, a tenté de rassurer, affirmant que "le gouvernement ne refusera pas de devises aux médias". Cependant, début avril, aucun quotidien n'avait encore reçu l'autorisation d'acheter des dollars. Et le papier ne figure pas dans les listes de produits rendues publiques par le Cadivi et pouvant faire l'objet de ventes de devises. Selon Miguel Henrique Otero, directeur du quotidien El Nacional, compte tenu de leurs réserves de papier, certains journaux pourraient être forcés de cesser leur parution à partir du mois de mai 2003. La presse écrite n'est pas la seule à être menacée. Les médias audiovisuels qui achètent des programmes et du matériel à l'étranger pourraient être également affectés. Rien n'est au-dessus du droit des enfants ? Une semaine après l'établissement du contrôle des changes, l'Assemblée législative adopte en première lecture, à une courte majorité, la Loi de responsabilité sociale des radios et télévisions. L'objectif affiché de la loi est d'adapter la programmation audiovisuelle au jeune public. Cette loi, initialement appelé Loi des contenus, est à l'étude depuis juin 2001. En consultation avec "la société civile", une première version a été élaborée par la Conatel, une entité chargée de réguler les licences et placée sous la tutelle du ministère de l'Infrastructure (Minfra). Mais le texte soumis à l'approbation de l'Assemblée législative comporte plusieurs modifications qui semblent autant de réponses au comportement des médias pendant la grève générale. Dans son éditorial du 12 février, Teodoro Petkoff, directeur du quotidien Tal Cual, dénonce l'approbation d'une loi "sans le nécessaire degré de consensus social et politique qu'exige un sujet qui met en jeu un droit de l'homme aussi fondamental que la liberté d'expression". Comme lui, de nombreux observateurs dénoncent un texte qui constitue une mesure de représailles contre les chaînes de télévision qui, plus que la presse écrite, se sont montrées partiales pendant la couverture de la grève. La loi classe le langage et les images à caractère violent et sexuel en plusieurs catégories. Elle différencie ainsi les images à contenu sexuel "éducatif" des images à caractère sexuel "modéré", "fort" et "pornographique". Selon leur classification, ces images seront diffusées pendant l'une ou l'autre des trois tranches horaires définies par la loi : un horaire "protégé" (entre 6 heures et 20 heures) au cours duquel les enfants doivent pouvoir regarder seuls la télévision ; un horaire "supervisé" (entre 5 heures et 6 heures et entre 20 heures et 23 heures), pendant lequel les mineurs sont surveillés par leurs parents ; et un horaire adulte (entre 23 heures et 5 heures du matin). Le non-respect des tranches horaires est frappé d'amendes dont l'importance varie selon que les infractions sont "légères", "moyennes", "graves" ou "très graves". Pour Jesse Chacón, directeur général de la Conatel, rien n'est au-dessus du droit des enfants. Parmi les infractions jugées "très graves" figurent des éléments sans lien apparent avec l'objet de la loi tels que la diffusion d'images qui "promeuvent, font l'apologie ou incitent au non-respect de l'ordre juridique en vigueur" ou "empêchent ou entravent l'action des services de sécurité et du pouvoir judiciaire nécessaire pour garantir le droit à la vie, à la santé et à l'intégrité des personnes". Un article a été ajouté à la version originelle qui interdit "la diffusion de messages qui promeuvent, font l'apologie ou incitent au non-respect des institutions et autorités légitimes telles que les parlementaires, le président et le vice-président de la République, les ministres (…)". La violation de cet article est considérée comme "très grave". Il a été introduit "à la demande de la société civile", précise Jesse Chacón. Cet ancien lieutenant de l'armée avait été chargé de prendre le contrôle de la chaîne publique VTV lors du coup d'Etat militaire manqué de novembre 1992, le second de l'année après celui auquel avait participé Hugo Chávez en février. La loi prévoit des amendes pour les médias fautifs, la suspension de leur licence, voire son retrait. Un Institut national de radio et télévision (INRT) est créé pour surveiller son application. A sa tête, le conseil de direction peut prononcer des amendes, mais la suspension ou le retrait de la licence à un média reste la prérogative du ministre de l'Infrastructure. La suspension intervient après trois condamnations pour "infraction grave" en moins de cinq ans. Après deux suspension en moins de trois ans, le média risque le retrait de sa licence. Dans sa première version, la majorité des membres du conseil de direction de l'INRT devait être désignée par des organismes représentant la société civile. Dans la version soumise à l'approbation de l'Assemblée, sur onze membres, cinq sont nommés par le Président et le gouvernement, trois par l'Assemblée législative et les trois derniers membres par des "comités d'usagers de la radio et télévision" et les "producteurs nationaux indépendants", deux institutions censées représenter la société civile mais qui n'existaient pas jusqu'alors. Pour les médias, ce changement fait clairement de l'INRT une institution politique et non plus technique. Après l'adoption en première lecture, le 13 février, de la Loi de responsabilité sociale des radios et télévisions, celle-ci doit maintenant faire l'objet d'une seconde lecture, avec approbation article par article. Signe que les esprits ne se sont pas encore calmés, Iris Valera, une députée du MVR considérée comme radicale, a proposé, mi-mars, que les sessions parlementaires sur cette question se tiennent dans le quartier 23 de enero, bastion des partisans du Président situé au nord-ouest de Caracas. Pressions administratives et fiscales En janvier et février 2003, d'autres actes ou mesures contre des médias ont été pris ou annoncés par les autorités. Le 23 janvier, un technicien des bureaux de Venevisión sur l'île de Margarita est arrêté pour avoir interféré dans la retransmission d'une "cadena" du Président pendant 90 secondes. L'employé de la chaîne, Igor Aranzazu, a expliqué qu'une erreur de manipulation l'avait conduit à diffuser le son d'une manifestation de l'opposition sur les images de l'allocution présidentielle. Menacé de quatre ans de prison pour avoir interrompu, "avec intention de nuire", la prestation d'un service de communication, il a finalement été libéré près d'un mois plus tard. Le 10 février, dans une lettre signée de Jesse Chacón, Globovisión a fait l'objet d'une sommation de la Conatel lui demandant de se conformer à "l'obligation (pour les chaînes de télévision) de prévoir une programmation de trois heures minimum spécialement destinée aux mineurs, entre 15 heures et 20 heures". Jusqu'alors, Globovisión, chaîne d'information continue, n'avait jamais diffusé de programmes pour enfants, sans encourir pour autant d'observations des autorités. Le lendemain, suite à un contrôle fiscal initié en novembre 2001, la Conatel exige de la chaîne le paiement de 150 millions de bolivars (environ 96 000 euros) pour le non-règlement de près de 51,6 millions de bolivars (32 000 euros) de taxes. A cette somme s'ajoutent 48,9 millions de bolivars (30 000 euros) d'intérêts de retard et une amende de 55,2 millions de bolivars (34 000 euros). "Nous ne lui devons pas un bolivar, à ce petit gouvernement", a déclaré, en réaction, AlbertoFedericoRavell,directeur de Globovisión. Pour ce dernier, il s'agit d'une décision politique. Avant le début de la grève, Hugo Chávez avait annoncé que plusieurs médias, dont il n'avait pas précisé le nom, avaient des dettes importantes envers le fisc. Le 13 février, le Service national intégré de l'administration fiscale (Seniat) demande au Collège des journalistes (Colegio Nacional de Periodistas, CNP) de lui fournir le nom, numéro de registre et adresse de l'organisation ainsi que des informations (nom, numéro de pièce d'identité, adresse) sur l'ensemble de ses membres. Le Seniat n'a pas fourni d'explication sur les motivations de sa demande. C'est la première fois que le CNP, qui a fréquemment dénoncé les atteintes à la liberté de la presse de la part de partisans du gouvernement, est l'objet d'une telle demande. Début mars, le Seniat a annoncé l'ouverture d'une enquête sur les impôts que devraient payer les chaînes de télévision pour la diffusion de spots politiques pendant la grève générale. Les enquêtes devront notamment établir si leur diffusion a été gracieuse. Dans ce cas, les chaînes devront s'acquitter des impôts sur les donations. Lors d'une conférence de presse, Trino Alcides Díaz a nié toute "politisation" de cette démarche et a précisé que celle-ci devrait s'étendre ensuite aux journaux et aux radios. Conclusion
La situation de la liberté de la presse est devenue des plus délicates depuis que la majorité de la presse privée a pris ouvertement parti contre le gouvernement. Bien que ce soit son droit le plus indiscutable, les excès auxquels son parti pris l'a conduite fragilisent la liberté de la presse. Parce que aux yeux du Président et de ses partisans, cela ne peut que justifier un peu plus les agressions, pourtant inacceptables, à l'encontre de journalistes. Parce que, depuis la fin de la grève, le Président s'appuie sur le discrédit de la presse pour mener une offensive à son égard qui remet gravement en cause la liberté de la presse. Parce qu'il est arrivé enfin que le discours de cette presse provoque occasionnellement des agressions contre des représentants de la presse progouvernementale ou internationale. Les légitimes appels des principaux médias privés au respect de la liberté d'expression sont discrédités par ses prises de position intolérantes à l'égard des chaînes ou radios qui ne partagent pas ses choix politiques, d'autant qu'elle a été amenée à cautionner la fermeture de certains d'entre elles. A noter que la chaîne publique est tombée dans les mêmes excès, voire pire. Ses dérives sont-elles plus excusables parce qu'elle serait moins écoutée et qu'elle fait figure de David contre les Goliath que sont les chaînes privées ? Son statut de chaîne publique ne lui donne-t-il pas, au contraire autant, voire plus, d'obligations vis-à-vis des Vénézuéliens? Mais la principale responsabilité dans la dégradation de la situation de la liberté de la presse revient au président Hugo Chávez et à son gouvernement. Non seulement les déclarations du chef de l'Etat n'ont pu qu'encourager les nombreuses agressions de journalistes de la presse privée, mais le caractère organisé de celles-ci tend à démontrer qu'il s'agirait même d'une politique délibérée et planifiée, et non plus de simples débordements. En tant que Président, Hugo Chávez a pourtant le devoir de s'assurer que les médias bénéficient d'une protection, de veiller à ce que des enquêtes sur les agressions de journalistes soient menées et que leurs auteurs, quel que soit le camp politique auquel ils appartiennent, soient jugés. Le chef de l'Etat se comporte en réalité comme un chef de clan. Le recours fréquent aux "cadenas" a transformé cette procédure tout à fait légitime qui permet à un Président de s'adresser à la Nation en cas de circonstances exceptionnelles en un outil de communication aux mains d'un homme politique. L'adoption d'un projet de loi sur la responsabilité sociale des médias doit faire l'objet d'un vaste consensus. En faisant du gouvernement le juge de son application, le projet proposé peut se transformer en un moyen de contrôler la presse, surtout s'il prévoit la fermeture des médias en cas d'infraction. Condamnables en soi, de telles dispositions apparaissent d'autant plus dangereuses dans un contexte de polarisation extrême entre médias et gouvernement. Recommandations

Reporters sans frontières recommande à l'Etat vénézuélien :

- Concernant les agressions de journalistes :
de condamner sans équivoque toute agression de journalistes,
- de tout mettre en œuvre pour que des enquêtes soient menées sur ces agressions afin d'identifier et de juger leurs auteurs. Seule la condamnation des agresseurs de journalistes démontrera la volonté politique du gouvernement de ne pas tolérer de tels agissements,
- d'appliquer les mesures sollicitées par la Commission interaméricaine des droits de l'homme (CIDH) en faveur d'une trentaine de journalistes ou directeurs de médias, à savoir enquêter sur les agressions dont ils ont été victimes et/ou leur apporter une protection. Concernant la Loi de responsabilité sociale des radios et télévisions :
- de revenir sur la possibilité de retirer de façon temporaire ou définitive leur licence aux médias, sauf en cas d'appel au meurtre,
- de rééquilibrer la composition de l'Institut national de radio et télévison (INRT) de façon ce que les membres nommés par le pouvoir exécutif ou législatif soient minoritaires,
- d'éliminer l'article sur l'outrage au chef d'Etat et aux institutions de l'Etat, contraire à l'article 11 de la Déclaration de principe sur la liberté d'expression adoptée par la CIDH et qui stipule que "les lois qui punissent les outrages infligés à un fonctionnaire portent atteinte à la liberté d'expression et au droit à l'information",
- de poursuivre les consultations avec les différents acteurs de la société concernés afin de parvenir au consensus que requiert l'adoption d'une loi qui protège les droits des enfants tout en ne remettant pas en cause la liberté de la presse. Concernant le contrôle des changes :
- de garantir l'accès aux devises des médias selon leurs besoins, en conformité avec l'article 13 de la Déclaration de principe sur la liberté d'expression adoptée par la CIDH qui stipule que "l'utilisation du pouvoir de l'Etat (…) pour faire pression, punir, récompenser ou privilégier les journalistes et les médias en fonction des informations qu'ils transmettent, porte atteinte à la liberté d'expression". Concernant les procédures administratives et les poursuites fiscales :
- d'abandonner les poursuites contre les cinq chaînes de télévision, au motif que l'institution chargée de se prononcer sur les manquements de celles-ci, à savoir le ministre de l'Infrastructure, est juge et partie puisqu'il doit se prononcer sur des déclarations concernant le gouvernement auquel il appartient,
- de mener les contrôles fiscaux dans la plus grande transparence et de ne pas les instrumentaliser à des fins partisanes. Concernant l'utilisation des "cadenas" :
- d'utiliser de façon responsable ce système de réquisition d'antenne, en limitant son recours aux circonstances exceptionnelles justifiant que le Président ou un membre du gouvernement s'adresse à la Nation. Reporters sans frontières recommande aux responsables des médias :

- de condamner sans équivoque toute agression de journaliste, y compris bien entendu, lorsque les victimes travaillent pour des médias favorables au président Chávez,
- de respecter la déontologie professionnelle. La Charte de Munich (un texte élaboré en 1971 par des organisations internationales de journalistes), stipule que le journaliste doit : "respecter la vérité, qu'elles qu'en puissent être les conséquences pour lui-même, et ce, en raison du droit que le public a de connaître" (article 1) ; "publier seulement les informations dont l'origine est connue ou les accompagner, si c'est nécessaire, des réserves qui s'imposent ; ne pas supprimer les informations essentielles et ne pas altérer les textes et les documents" (article 3) ; "ne jamais confondre le métier de journaliste avec celui du publicitaire ou du propagandiste" (article 9). - Télécharger le rapport en .pdf
Publié le
Updated on 20.01.2016

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