Qui est Khaled Drareni, le symbole de la liberté de la presse en Algérie?
Le journaliste Khaled Drareni, condamné à trois ans de prison ferme début août, connaîtra le verdict du procès en appel ce mardi 15 septembre. Reporters sans frontières (RSF) rappelle le parcours de celui qui est devenu un véritable symbole de la liberté de la presse en Algérie et révèle les pressions et les tentatives de corruption dont il a été la cible.
Son parcours professionnel
Khaled Drareni, 40 ans, commence sa carrière de journaliste en 2004, en travaillant pour la presse écrite (La Tribune, Algérie News) avant de se tourner vers la radio (Radio Algérie Internationale, la Chaîne 3 de Radio Alger) puis la télévision. En 2012, il anime l’émission de débat politique Dzaïr TV, “Controverse”, et déclenche une vive polémique alors qu’en l’interrogeant il s’étonne que le Premier ministre de l’époque compare la candidature du président Bouteflika à un “don de dieu”. Khaled Drareni devient ensuite rédacteur en chef et présentateur vedette du “19 Info”, le premier journal télévisé en français de la chaîne Echourouk. Le 1er novembre 2017, il fonde le site d'information Casbah Tribune. Depuis 2016, le journaliste travaille également comme correspondant en Algérie pour TV5 Monde et depuis 2017 pour RSF. Pour Casbah Tribune et TV5 Monde, il est appelé à couvrir le mouvement de contestation du Hirak qui commence le 22 février 2019 à Alger.
Trois tentatives d’intimidation
- Le 14 mai 2019, alors qu’il couvre une manifestation d’étudiants à Alger, Khaled Drareni est interpellé par les renseignements généraux qui lui demandent d’être moins virulent envers le chef de l’armée et de promouvoir dans ses articles l’idée d’un “dialogue” entre l’armée et les hommes politiques.
- Le 9 août 2019, il est interpellé pendant une manifestation. Son téléphone est saisi, il est fouillé et interrogé pendant 45 minutes. Avant de le relâcher, les policiers lui intiment l’ordre de ne plus couvrir les manifestations du vendredi à Alger.
- Le 9 janvier 2020, Khaled Drareni est arrêté et conduit dans un caserne de l’armée à Alger, où ses publications « subversives, fallacieuses et tendancieuses » lui sont reprochées. Le journaliste est prévenu : cette interpellation est un dernier avertissement avant que son dossier ne soit transmis à la justice. Le journaliste sera finalement arrêté, puis incarcéré le 29 mars 2020 dans le centre pénitentiaire de Koléa, près de Tipaza.
Deux tentatives de corruption
- Le 4 mars 2019, un haut responsable algérien lui propose un appartement et un local pour fonder une association, en échange de son aide pour canaliser les manifestants à travers les réseaux sociaux. Khaled Drareni s’empresse de décliner la proposition.
- Le 30 décembre 2019, il est conduit par un officier de la sécurité intérieure vers la caserne Antar (caserne rattachée à la Direction du contre-espionnage du Département de renseignement et sécurité). Sur place un colonel et un commandant lui reprochent certains tweets et publications sur Facebook tout en lui proposant des postes importants, comme celui de directeur de la radio algérienne. Nouveau refus de Khaled Drareni.
Les faits reprochés
- Khaled Drareni est accusé d’atteinte à l'intégrité du territoire national principalement sur la base de deux publications sur les réseaux sociaux. Il est notamment reproché à Khaled Drareni d’avoir écrit : “Ce système se renouvelle sans cesse et refuse le changement, lorsque nous appelons à la liberté de la Presse, on nous répond par la corruption et l’argent, l’argent n’achète pas tout. Vive la liberté de la Presse”.
- Il est aussi reproché à Khaled Drareni de n’avoir “aucun document officiel délivré par les autorités compétentes pouvant prouver sa qualité de journaliste” et d’avoir “perçu une rémunération pour des services fournis à un médias étranger, TV5, sans présenter de preuve de son accréditation légale en tant que correspondant”.
- La justice algérienne accuse également Khaled Drareni d’avoir relayé sur sa page Facebook, trois jours avant l’élection présidentielle du 12 décembre 2019, un “Communiqué du Parti de l’Alternative Démocratique” appelant à une grève générale et à boycotter le scrutin, et d’avoir publié le 11 février 2020 un autre communiqué, simplement intitulé “communiqué important” appelant à la grève générale. Le journaliste a expliqué à deux reprises devant les juges n’avoir fait que relayer une information.
Ce que ses collègues disent de lui
- “À chaque fois que j'étais interpellé ou convoqué par les forces de l'ordre, il était parmi les premiers qui écrivaient pour lancer l'alerte et dénoncer cette forme d'intimidation contre les journalistes destinée à broyer les droits de notre corporation, mais aussi le droit de nos concitoyens à obtenir des informations fiables”. Mustapha Bendjama, rédacteur en chef du quotidien Le Provincial
- “J’ai beaucoup appris à ses côtés. Son objectif est que l’on soit indépendants et honnêtes dans l’exercice de notre métier. Khaled est apprécié et connu pour son courage, son professionnalisme et sa rigueur exemplaire. ll manque cruellement à sa famille et ses amis, qui, aujourd’hui, contredisent une de ses répliques cultes : « nul n’est indispensable », car il l’est, simplement”. Moncef Ait Kaci, journaliste.
- “Depuis le début du Hirak, Khaled était comme notre boussole vers la vérité. Il photographiait et transmettait tout ce qui se passait, aussi bien lors des manifestations pour le Hirak, que celles favorables au régime. Il a toujours aimé le travail bien fait, et insisté pour s'assurer de la véracité d’une information avant qu'elle ne soit publiée”. Madjeda Zouine, journaliste à Casbah Tribune.
L'Algérie figure à la 146e place sur 180 du Classement mondial de la liberté de la presse 2020 établi par RSF. Elle a perdu cinq places par rapport à 2019 et 27 par rapport à 2015.