Procès d’Elise Lucet et Laurent Richard : quand l’Azerbaïdjan tente d’exporter sa répression en France

Le procès en diffamation des journalistes français Elise Lucet et Laurent Richard s’ouvre ce mardi 5 septembre 2017 à Paris. Ils sont poursuivis par l’Etat azerbaïdjanais pour avoir qualifié le pays de “dictature”. Reporters sans frontières (RSF), qui témoignera à la barre en faveur des journalistes, dénonce une tentative d’intimidation révélatrice du mépris de Bakou pour la liberté d’expression.

Non content d’avoir éradiqué tout pluralisme en Azerbaïdjan, le régime d’Ilham Aliev s’en prend désormais aux voix critiques à l’étranger : il poursuit les journalistes d’investigation Elise Lucet et Laurent Richard devant le tribunal de Nanterre pour “diffamation”.


Le procès, qui s’ouvrira le 5 septembre, fait suite au reportage sur les coulisses des voyages présidentiels français en Azerbaïdjan et au Kazakhstan diffusé en septembre 2015 dans "Cash Investigation”, sur France 2. En lançant l’émission, Elise Lucet avait dépeint l’Azerbaïdjan comme “une des dictatures les plus féroces au monde”. Laurent Richard avait quant à lui qualifié le pays de “dictature” et son président de “despote” dans une émission de radio. Le reporter avait lui-même été interpellé en Azerbaïdjan en mai 2014, au terme de son enquête, et s’était vu confisquer son matériel.


Ne laissons pas l’Azerbaïdjan venir intimider des journalistes en France !


Le responsable du bureau Europe de l’Est et Asie centrale de RSF, Johann Bihr, sera présent à la barre pour défendre Elise Lucet et Laurent Richard. A ses côtés, le journaliste azerbaïdjanais Agil Khalil, exilé en France depuis 2008 après avoir échappé à plusieurs tentatives d’assassinat. Et le couple de défenseurs des droits de l’homme Leyla Yunus et Arif Yunus, exilés aux Pays-Bas après avoir purgé un an et demi de prison malgré leur santé fragile.


“En traînant en justice deux journalistes français qui n’ont fait qu’user de leur liberté d’expression, le gouvernement azerbaïdjanais prouve son intolérance absolue à la critique, déclare le secrétaire général de RSF, Christophe Deloire. Ne laissons pas Bakou exporter sa censure en France ! Nous appelons les médias à venir le plus nombreux possible couvrir cette attaque contre leurs libertés de la part d’un Etat étranger. Nous serons quant à nous au rendez-vous pour faire connaître le vrai visage du régime d’Ilham Aliev.”


C'est la première fois, à la connaissance de RSF, qu'un Etat étranger vient poursuivre un journaliste en diffamation devant les tribunaux français. En 2011, c’est en tant que particulier que la fille du président ouzbek Lola Karimova avait poursuivi Rue89 pour l’avoir qualifiée de “fille de dictateur” contribuant au “blanchiment de l’image de son pays”.


Le vrai visage du régime d’Ilham Aliev


L’Azerbaïdjan occupe la 162e place sur 180 au Classement de la liberté de la presse établi par RSF en 2017. Depuis trois ans, les autorités ont méthodiquement anéanti les derniers vestiges de toute presse indépendante. Le quotidien Zerkalo a été asphyxié économiquement et le bureau local de Radio Free Europe / Radio Liberty (RFE/RL) a été fermé manu militari en 2014. Le dernier journal d’opposition, Azadlig, a cessé de paraître, paralysé par l’arrestation de son directeur financier en 2016, et ses dirigeants ont été contraints à l’exil. En août 2017, la répression a également rattrapé l’agence de presse Turan : son directeur a été jeté en prison et ses comptes en banque gelés, contraignant le dernier média indépendant du pays à suspendre officiellement ses activités. Les principaux sites d’information indépendants sont tous bloqués dans le pays.


Pas moins de seize journalistes, blogueurs et collaborateurs des médias sont actuellement emprisonnés en Azerbaïdjan pour leurs activités d’information, ce qui fait du pays la deuxième plus grande prison d’Europe après la Turquie. Poursuites criminelles montées de toutes pièces, tabassages, chantage, corruption… Tous les moyens sont bons pour réduire au silence les dernières voix critiques. Des dizaines de journalistes ont été contraints de fuir le pays ces dernières années pour échapper à ce harcèlement. Mais le gouvernement azerbaïdjanais s’acharne même sur ceux qui poursuivent leur travail en exil, comme Ganimat Zahid et Emin Milli, en multipliant les pressions sur leurs proches. Les principales ONG de soutien aux médias ont elles aussi été liquidées en 2014.


Le président Ilham Aliev, arrivé au pouvoir en 2003 en succédant à son père, figure sur la liste des pires “prédateurs de la liberté de la presse” dressée par RSF. Il a été “réélu” en 2013 avec près de 85% des voix, une élection critiquée par l’OSCE et dont les résultats avaient “fuité” la veille du scrutin. En septembre 2016, un référendum a encore renforcé ses pouvoirs. Le 21 février, sa propre épouse a été nommée première vice-présidente, devenant ainsi le deuxième personnage de l’Etat.

Publié le
Mise à jour le 04.09.2017