Nouveaux éléments dans l’enquête sur la mort en détention de Sattar Beheshti

Reporters sans frontières, vigilante à ce que la mort du blogueur Sattar Beheshti ne reste pas impunie, attend le résultat final de l’enquête menée par la justice iranienne avec beaucoup d’attention. L’enquête menée par le Parquet Le 22 novembre, le Parquet de Téhéran a publié un communiqué dans lequel il fait état de “l’avancement de l’enquête et de l’identification des responsables dans l’affaire de la mort en détention de Sattar Beheshti et de sa responsabilité envers les droits des citoyens”. Il établit la chronologie des faits, du jour de l'arrestation du blogueur à la découverte de son corps dans sa cellule au centre de la cyberpolice iranienne (la FTA). “Dès le premier jour de l’enquête, le parquet a interrogé les agents impliqués et les codétenus qui ont rencontrés la victime. (…) Plusieurs personnes, notamment les officiers de la police, les responsables de l’interrogation et les gardiens du centre de détention ont été mis en examen et écroués pour que l’investigation complémentaire aboutisse à des résultats très clairs”, précise le communiqué. Si ces propos font écho à ceux proférés ces deux dernières semaines par les différents responsables du régime, le communiqué apporte de nouvelles informations concernant les causes de la mort de Sattar Beheshti : “La dernière note de la Commission médicale, publiée le 20 novembre 2012, indique que dans l'état actuel de l'enquête et selon les données disponibles, la détermination de la cause exacte du décès n’est pas possible. Mais suite à l'examen du corps et d'autres examens complémentaires, aucune preuve déterminante qu’il soit mort suite à une maladie n'a pu être établie. La cause la plus probable de la mort pourrait être liée à un état de choc. L’état de choc a pu être causé par un ou plusieurs coups à des endroits sensibles du corps, s’il est prouvé que Sattar Beheshti a reçu des coups, ou par de graves pressions psychologiques”. Reporters sans frontières reconnaît que les dernières déclarations du Parquet représentent un pas en avant. Pour autant, l’organisation déplore un manque de clarté et de transparence. “Des éléments clés sont toujours absents du dossier, et trop de questions restent en suspens concernant les causes de sa mort ainsi que les responsabilités de la police et de la justice iranienne. Nous craignons que le résultat de cette enquête ne se révèle décevant et n’aboutisse pas à l’identification des personnes impliquées dans le décès de Sattar Beheshti. Le résultat final ne doit pas reprendre ces demi-aveux pour calmer les pressions nationale et internationale. La justice doit permettre à la famille de s’exprimer et d’assister aux audiences, le procès doit être public. La justice doit permettre d’établir la vérité”. Avalanche de déclarations contradictoires Le communiqué du Parquet a été rendu public après une série de déclarations et de démentis par divers responsables du régime. Le 19 novembre 2012, Ahmad Shojai, responsable de l’organisation des médecins légistes iraniens (Iranian Legal Medicine organisation) a déclaré dans une interview accordée à l’agence Mehrnews que “malgré le fait que nous ne soyons pas parvenus à une conclusion finale, les résultats de plusieurs examens pratiqués sur le corps de Sattar Beheshti n’indiquent aucune trace de présence de poison ou d’un quelconque étouffement (….). A notre avis, cet individu est décédé de mort naturelle”. Ces propos ont été d’abord contredits par le témoignage de l’un des codétenus du net-citoyen dans le dortoir 350 de la prison d’Evin, le journaliste Abolfazl Abedini Nasr. Ce dernier a déclaré que “le blogueur s’était plaint de coups et d’actes de tortures infligés par la police”. En représailles, il a été placé à l’isolement dans la section de haute sécurité 209 de la prison d’Evin. Puis, dans un communiqué publié le 21 novembre, l’organisation des médecins légistes iraniens a pris ses distances face aux déclarations de son chef, Ahmad Shojai, déclarant que “l'organisation a mis son rapport à la disposition de la justice et dément toutes les déclarations faites en son nom commentant le résultat de l’enquête”. Le 19 novembre, le juge désigné par la commission sur la sécurité nationale du Parlement pour mener sa propre enquête, Mehdi Davatgary, a déclaré à l’agence Mehrnews, 'même si Sattar Beheshti était mort naturellement, les responsables des coups et blessures seront poursuivis'. Le 13 novembre, le procureur général de Téhéran avait lui annoncé l'arrestation de plusieurs personnes dans le cadre de l'enquête de la mort du blogueur, sans préciser l'identité des suspects. Le lendemain, le chef de la police, le général Esmaïl Ahmadi Moghadam, avait déclaré que les personnes avaient été déférées devant le parquet et étaient interrogées. Toutefois, le même jour, Mohammad Hossein Asfary, membre de la commission sur la sécurité nationale du Parlement, avait déclaré à l’agence officielle Irna que si sept personnes avaient été arrêtées par le Parquet militaire de Téhéran, compétent pour poursuivre des délits et crimes commis par les forces de sécurité (armée et police), certains d'entre eux avaient été libérés, en échange du versement d’une caution de 50 millions de tomans. Pressions inacceptables sur les proches de Sattar Beheshti Reporters sans frontières s’inquiète du traitement réservé à la famille et dénonce les “méthodes abjectes” utilisées pour réduire ses proches au silence et les priver de leur droit légitime de porter plainte ou de bénéficier des conseils d’un avocat. Dans une interview publiée sur le site d’information Sahamnews, le 21 novembre 2012, la mère de Sattar Beheshti a clairement confirmé la pression exercée sur sa famille et a demandé justice pour son fils. “Ils sont venus avec, en main, un mandat d’arrêt contre ma fille. Ils nous ont demandé de nous taire, sans quoi elle serait arrêtée. Moi je sais que mon fils ne souffrait d’aucune maladie (…). Quand on l’a arrêté, il était en bonne santé. Quand ils m’ont ramené son corps, il était mort. Je demande aux autorités et aux organisations internationales de ne pas me laisser seule. Les responsables de la mort de mon fils doivent être punis”, avait déclaré avec émotion la mère de Sattar. Abolfazl Abedini Nasr, journaliste emprisonné depuis le 2 mars 2010, et condamné à onze ans de prison ferme pour ses activités journalistiques en avril 2011, est l’un des prisonniers à avoir vu Sattar Beheshti pendant les douze heures que ce dernier a passé en détention, le 31 octobre 2011, dans le dortoir 350 de la prison d’Evin. Le journaliste, qui a été entendu par l’un des enquêteurs en charge du dossier de la mort de Sattar Beheshti, a été transféré, le 15 novembre 2012, à la prison de Karon dans la ville d’Ahvaz (province du Khuzestân). Le lendemain, sur ordre du procureur de Téhéran, il a été reconduit à la prison d’Evin, mais a été placé en cellule d'isolement, dans la section 209. Selon ses proches, depuis le 15 novembre, le journaliste a entamé une grève de la faim pour protester contre ces mesures punitives. Le 22 novembre, il a été retransféré au dortoir 350 de la prison d’Evin.
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Updated on 20.01.2016