Allemagne : sauvetage réussi pour 11 journalistes syriens menacés

Une longue et intense mobilisation de Reporters sans frontières (RSF) et de son partenaire le Centre syrien des médias (SCM) ont permis l’évacuation de journalistes syriens en Allemagne.

Après plus de deux ans de démarches, RSF et son partenaire, le SCM, ont réussi à évacuer 11 journalistes et leurs familles de la région d’Idlib vers l’Allemagne. La région d’Idlib, située au nord-est du pays, est l’une des dernières à ne pas être encore repassée sous le contrôle du gouvernement syrien. La menace était donc d’autant plus grande pour les journalistes travaillant pour des médias étrangers ou d’opposition, qui risquaient d’être placés en détention s’ils tombaient entre les mains du pouvoir de Damas.


Cette opération de sauvetage est la deuxième du genre. En 2018 et 2019, douze journalistes et de leurs familles avaient pu quitter la région de Deraa après une intense mobilisation de RSF et SCM.


"Nous sommes très heureux de l’arrivée en Allemagne du dernier groupe de journalistes venant d’Idlib, déclare le directeur du bureau Allemagne de RSF, Christian Mihr. L’opération de sauvetage a montré une fois de plus qu’il est possible de venir en aide aux personnes les plus menacées, et ce, sans passer par la voie bureaucratique. Cependant, il est nécessaire de trouver des responsables politiques ayant la volonté et le courage de délivrer des visas humanitaires d’urgence. Nous appelons le nouveau gouvernement fédéral allemand à prendre conscience de cette responsabilité et à ne pas fermer la porte."


Cette opération de sauvetage complexe a été lancée dès le mois d’août 2019. Depuis avril, les forces gouvernementales syriennes et leurs alliés attaquaient les bastions rebelles dans la province d’Idlib. Outre de nombreux civils, le photojournaliste Homam Al-Asi a perdu la vie dans ces bombardements quotidiens. Parallèlement, des groupes djihadistes comme Hay'at Tahrir Al-Cham menaçaient directement de mort des journalistes de la zone.


"Je n’avais pas l’intention de quitter mon pays à l’époque, explique la journaliste Lama Al-Saoud, qui travaillait pour l’Idlib Media Center. Mais l’offensive des forces gouvernementales a été un choc. Le gouvernement me recherchait parce que mon travail journalistique venait perturber sa politique répressive. Les milices dominantes dans la région nous ont également combattus." Sa collègue Hazza Al-Hazza travaillait pour Radio Fresh, une station fondée à Kafr Nabl par le journaliste citoyen Raed Fares, assassiné en 2018. "Après son assassinat, nous avons dû fuir, explique-t-elle. Les membres d’Al-Qaïda ont poursuivi tous les reporters et journalistes qui défendaient les valeurs démocratiques et laïques."  


Des vérifications méticuleuses


Le SCM avait ajouté les noms de Hazza Al-Hazza, Lama Al-Saoud ainsi que d’autres sur une liste de journalistes gravement menacés et après une minutieuse procédure de vérification. L’organisme s’est ainsi assuré que les personnes intégrées au programme étaient clairement menacées en raison de leur travail journalistique, travaillaient pour une rédaction professionnelle, n’avaient jamais pris part à des affrontements armés et n’avaient pas diffusé de discours haineux sous quelque forme que ce soit, notamment sur les réseaux sociaux.


Après plusieurs mois de discussions, le ministère allemand des Affaires étrangères a accepté en mars 2020 de délivrer des visas d’urgence à 11 journalistes et à leurs familles, qui devaient transiter par la Turquie. Le SCM a maintenu le contact pendant toute la durée de l’opération et s’est assuré que les journalistes étaient arrivés sains et saufs à Ankara depuis la frontière syro-turque. La pandémie de Covid-19 a cependant perturbé l'opération d'évacuation et les journalistes ont dû attendre de longs mois en Turquie avant de pouvoir rejoindre l’Allemagne. La dernière famille est arrivée en novembre dernier. RSF accompagne les 11 journalistes et leurs familles dans leur processus d’installation en Allemagne et la suite de leur parcours.


Une situation toujours extrêmement dangereuse pour les journalistes


Alors que le groupe d’Idlib est en sécurité, la situation reste dangereuse pour les journalistes dans toutes les régions de Syrie. La situation est particulièrement inquiétante dans les quelques régions où le gouvernement de Bachar Al-Assad n’a pas encore réussi à reprendre le pouvoir. Il est à craindre que les journalistes indépendants soient considérés comme des belligérants et qu’ils soient tiraillés entre les différents fronts sur place. Pour nombre d’entre eux, l’espoir d’évacuations futures est souvent la seule perspective qu’il leur reste en raison des multiples menaces dont il font l’objet. 


Dans son rapport complet « Syria: The Black Hole for Media Work », le SCM a dressé une liste détaillée des acteurs responsables de violations de la liberté des médias. Au cours des dix années de conflit qui ont fait l’objet de l’étude, du printemps 2011 à la fin de l’année 2020, le SCM a recensé 720 cas d'exécutions extrajudiciaires, 434 cas d’arrestations arbitraires et 140 enlèvements. Le gouvernement syrien est responsable de la plupart de ces exactions (795 cas). Dans 171 cas, les auteurs appartenaient à des forces armées d’opposition, tandis que 164 cas relevaient de Daech.


La Syrie occupe la 173e place sur 180 pays au Classement mondial de la liberté de la presse établi par RSF.

Publié le
Mise à jour le 07.02.2022