Menaces de mort, violences, censure : les reporters népalais visés pour leur couverture du Covid-19

Au moins 10 journalistes ont été menacés de représailles physiques depuis la fin du mois de mars pour leur couverture de la crise du coronavirus. Reporters sans frontières (RSF) rappelle aux autorités népalaises leur devoir constitutionnel de garantir une totale ‘liberté de la presse’.

La couverture de la crise du Covid-19 a entraîné, au Népal, une inquiétante recrudescence de menaces de mort adressées aux reporters. Dernier exemple en date : celui du journaliste Shital Sah, responsable de la Radio Janakpur qui a été visé par des menaces de mort alors qu’il venait de révéler dans son émission "Akhada, Corona Special" du 13 mai, les négligences d’un centre de dépistage du coronavirus mis en place à l'hôpital de Janakpur (au sud-est de Katmandou, dans la région du Teraï).


Trois individus, dont Shital Sah pense qu’ils ont été envoyés par le ministre de la santé de la province Nawal Kishore Sah, s’en sont pris à lui à sa sortie du studio. L’un d’eux était un membre du personnel hospitalier. Le journaliste a raconté à RSF qu’il se sent “constamment surveillé (...) par 5 à 7 personnes où qu’il se rende à Janakpur" depuis la diffusion de cette émission. Janakpur, la ville où la journaliste et militante des droits des femmes Uma Singh et le patron de médias Arun Singhaniya ont été assassinés en 2009 et 2010, rappelle Shital Sah. 


Un mois plus tôt, c’est le journaliste du quotidien Nagarik Dilip Paudel qui a reçu des menaces sur les réseaux sociaux et par téléphone, après avoir raconté l’histoire d’une femme enceinte suspectée d’être atteinte du Covid et expulsée de son appartement à Kirtipur, une ville voisine de Katmandou. 


Un autre reporter a subi le même type de pressions inquiétantes : Rajan Upadhyay, journaliste auprès de la radio et du site SuklaGandaki, a été accusé sur le réseau social Facebook de semer la “peur” et de diffuser des “fausses nouvelles” après qu’il a rapporté le cas d’une femme placée en quarantaine dans la province de Gandaki, à l’ouest du pays.


Censure et intimidation


Contrôler le narratif sur la propagation du virus au Népal ne peut conduire à proférer de telles menaces à l'encontre des journalistes, déclare Daniel Bastard, responsable du bureau Asie-Pacifique de RSF. Nous appelons le Premier ministre K.P. Oli à faire en sorte que, dans le contexte actuel de pandémie, la liberté de la presse soit 'totale', en conformité avec le préambule de la Constitution de 2015. Les agents de son gouvernement doivent également cesser immédiatement toute tentative d'intimidation ou de censure à l'égard des médias.


Lorsqu’ils ne sont pas l’objet de graves menaces, les journalistes népalais sont tout simplement être attaqués physiquement. Ainsi, Badri Narayan Yadav, reporter pour l’hebdomadaire Nabajagriti à Siraha, dans le sud-est du pays, a été molesté par plusieurs militaires le 13 mai dernier. Alors qu’il prenait des photos à proximité d’un poste de contrôle du confinement, il a été battu à coups de tubes de canalisation, alors qu’il avait clairement fait état de son statut de journaliste.

 

Les attaques contre la presse peuvent être plus pernicieuses. Le site d'information en ligne Kathmandu Press en a fait l'amère expérience fin mars. Son rédacteur en chef Kosmos Biswokarma a en effet dû s'opposer au retrait d'un article sur une affaire de corruption impliquant des proches du gouvernement dans un accord d'achat de matériel médical. C'est la société en charge de l'administration du site, Shiran Technologies, qui avait brutalement supprimé cet article, prétextant avoir reçu des pressions en ce sens provenant “d’en haut”. Or, l'un des propriétaires de Shiran Tech. n’est autre que le consultant "nouvelles technologies" du Premier ministre. Le directeur de la rédaction du site, Govinda Pariyar, a confirmé deux jours plus tard que les "accès administrateurs" du site lui avaient été retirés. Face au tollé provoqué par ce conflit d’intérêts, l'article censuré a finalement pu être republié. 


L’affaire aurait pu s’arrêter là. Mais le pouvoir népalais a préféré s'attaquer au secrétaire général de la Fédération des journalistes népalais Ramesh Bista, après que l’organisation a publié un communiqué condamnant la suppression du contenu de Kathmandu Press. Dans un appel téléphonique, le conseiller de presse du Premier Ministre Surya Thapa l’a menacé en affirmant "[qu'il n'allait] pas le louper pour ce comportement", et qu'il "saura s'en souvenir". Récemment interrogé par RSF, Ramesh Bista a confirmé prendre cette menace très au sérieux : “J’ai l’impression qu’il peuvent faire ce qu’il veulent quand ils le veulent, explique-t-il. "Mais je n'ai pas d'autre choix que de défendre nos droits [de journalistes]."


Informations “mystérieuses”


Le Premier ministre K.P. Oli  s’en est lui-même directement pris à plusieurs médias, après que des journalistes basés dans la capitale ont couvert, mi-avril, l’exode des travailleurs de la vallée de Katmandou. La reportrice de Kantipur Daily Binu Subedi, notamment, avait rapporté qu’en raison du confinement, ceux-ci se retrouvaient contraints de rentrer chez eux à pied par l’autoroute, marchant parfois 15 heures d’affilée. 


S'exprimant devant les rédacteurs en chef des médias officiels, le chef du gouvernement a décrit ces informations comme étant parfaitement "mystérieuses". Semblant ignorer les bases du travail journalistique, il s'est étonné que des reporters puissent avoir connaissance d'informations que  ses propres agences de sécurité ne lui avaient pas communiquées. Ces insinuations se sont doublées d'une campagne de harcèlement en ligne orchestrée par le gouvernement, avec force messages d'insultes et de menaces postés par des faux comptes Twitter à l'encontre de Binu Subedi, puis de son rédacteur en chef Sudheer Sharma, venu à sa rescousse. 


Cette politique agressive du Premier ministre, portée par le Parti communiste au pouvoir, s'accompagne de mesures de défiance à l'égard de la presse. K. P. Oli a en effet ordonné aux cadres du parti de “ne pas divulguer des informations sensibles” et de se tenir à distance des journalistes. Sous prétexte de mesures de distanciation sociale nécessaires à la lutte contre la pandémie, ces derniers se voient opposer des restrictions d’accès aux réunions tenues par le parti ou par le ministère de la Santé, pour lesquelles ils doivent obtenir une autorisation préalable.


“Vous risquez de mourir pour ce reportage”


A l’instar du Premier ministre, les représentants des autorités régionales tentent eux aussi de contrôler l’information et d’intimider les journalistes. Au nord-ouest du pays, le député de la province de Karnali, Dan Singh Pariyar, a envoyé, le 5 avril, des messages de menaces au chef du bureau de Nagarik dans la province, Nagendra Upadhyay, après que ce dernier a dévoilé que l’élu avait utilisé, en plein confinement, une voiture du gouvernement pour conduire son épouse.


Dans le district de Chitwan, à 100 km à l’ouest de Katmandou, Subas Pandit, un reporter pour le portail d’information onlinekhabar.com a lui aussi été menacé le 29 avril par deux membres d’organisations de travailleurs de la santé publique. Il avait notamment signalé des cas de contrebande de matériel médical utilisé dans l’unité Covid-19 d’un l'hôpital local. 


Les menaces n'émanent pas seulement du parti au pouvoir. A l’est du pays, dans le district de Khotang, un leader local du Parti du congrès, dans l'opposition, s’en est pris au rédacteur en chef du site prabhavnews.com, Uttam Chaulagain, le 5 avril dernier. Il lui a déclaré au téléphone qu’il “risquait de mourir pour avoir publié” un reportage sur sa non-coopération au maintien en quarantaine d'un patient suspecté d'être atteint du coronavirus.


Le Népal se situe à la 112ème place sur 180 pays dans le Classement mondial de la liberté de la presse établi en 2020 par RSF.

Publié le
Updated on 08.06.2020