La police aura les mains encore plus libres pour réprimer les journalistes

Le 17 février 2015 commence l’examen au Parlement d’un paquet de réformes “sur la sécurité intérieure”, qui doit considérablement renforcer les prérogatives de la police. Ces amendements, essentiellement dirigés contre les manifestations, sont également lourds de menaces pour la liberté de l’information.

Türkçe / Lire en turc Alors que les journalistes turcs font déjà quotidiennement face à l’arbitraire policier, un nouveau train de “réformes sur la sécurité intérieure” prévoit d’étendre de façon alarmante les pouvoirs des forces de l’ordre. Ce projet de loi, élaboré par le ministère de la Justice, a été introduit au Parlement fin novembre 2014, suite aux émeutes les plus violentes qu’ait connu le pays depuis trente ans. Il est examiné en première lecture à partir du 17 février 2015. Si les réformes envisagées renforcent surtout la répression des manifestations illégales, elles risquent aussi d’exposer davantage les professionnels des médias, notamment lorsqu’ils couvrent de tels rassemblements. Les interpellations abusives, auxquelles ils sont fréquemment soumis, devraient se multiplier, de mêmes que les fouilles arbitraires : le contrôle judiciaire sur ces actions est limité à sa plus simple expression. “La liberté de l’information est elle aussi menacée par ce projet de loi, qui affranchit un peu plus la police du contrôle judiciaire, dénonce Johann Bihr, responsable du bureau Europe de l’Est et Asie centrale de Reporters sans frontières. Les abus policiers contre les journalistes sont déjà chroniques : ils ont besoin d’être prévenus et réprimés, certainement pas encouragés. Nous exhortons les députés à rejeter ou amender profondément ce texte, qui sape encore un peu plus les fondements de l’État de droit.”

Perquisitions, fouilles et gardes à vue sans autorisation judiciaire

Si le texte est adopté en l’état, “en cas d’urgence”, les policiers seront habilités à mener des perquisitions et à fouiller des individus ou des véhicules sur simple autorisation verbale de leur supérieur hiérarchique, à condition que ce dernier la confirme ensuite par écrit. Ce n’est qu’a posteriori, dans les 48 heures, que cet ordre devra être validé par un juge. Les perquisitions abusives de rédactions et de domiciles de journalistes, déjà répandues, n’en seront que facilitées, au mépris du secret des sources. La police n’aura besoin d’aucune décision de justice pour placer un individu en garde à vue pendant 24 heures, notamment en cas de manifestation illégale, voire pour 48 heures en cas de “grave menace à l’ordre public”. Les journalistes étant déjà fréquemment interpellés au même titre que des manifestants lorsqu’ils couvrent des rassemblements, il est à craindre que cet amendement n’aggrave leur exposition à l’arbitraire policier. De même, on peut craindre que les forces de l’ordre ne s’emploient à chasser les témoins sous couvert d’une nouvelle disposition qui les habiliterait à “assurer la protection d’une personne qui menace sa propre sécurité ou celle des autres, en l’éloignant du lieu des événements”.

Toujours moins de contrôle sur les écoutes téléphoniques

“En cas d’urgence”, le chef de la police nationale et son homologue des services de renseignements n’auront plus 24 mais 48 heures pour faire valider leurs ordres de mise sur écoute par un juge compétent. Au même titre que la police, la gendarmerie pourra elle aussi ordonner des mises sur écoute sans décision de justice préalable. Le texte soumis au Parlement est sous le feu des critiques de l’opposition, de la société civile, du Conseil de l’Europe et de diverses autres organisations internationales. Son examen a été repoussé à deux reprises par des manœuvres d’obstruction de l’opposition. Outre les dispositions mentionnées plus haut, le projet de loi facilite l’usage des armes à feu par les forces de l’ordre, et prévoit des peines de prison pour les manifestants brandissant certains slogans et pancartes ou qui se couvrent le visage. Il confère aux gouverneurs provinciaux des pouvoirs très étendus “en cas d’urgence”, y compris l’autorité de diligenter des enquêtes. Sur fond de lutte acharnée entre le président Recep Tayyip Erdogan et ses anciens alliés de la confrérie Gülen, l’exécutif ne cesse de resserrer son emprise sur l’appareil d’État et de renforcer son arsenal répressif. La Turquie occupe la 149e place sur 180 dans le Classement mondial 2015 de la liberté de la presse établi par Reporters sans frontières. (Photo: Adem Altan / AFP)
Publié le
Updated on 20.01.2016