Cambodge : deux journalistes accusés d’incitation au crime pour avoir couvert des élections

Reporters sans frontières (RSF) exige l’abandon des accusations proprement fallacieuses qui pèsent contre deux anciens journalistes du Cambodia Daily, un quotidien indépendant récemment fermé. L’organisation appelle les autorités cambodgiennes à reprendre rapidement la voie d’une démocratie respectueuse de la liberté de la presse.

Cela pourrait paraître absolument insensé, si les deux accusés n'encouraient pas deux ans de prison. Aun Pheap and Zsombor Peter, qui travaillaient pour le Cambodia Daily, viennent d’apprendre qu’ils sont accusés d’”incitation au crime” en vertu des articles 494 et 495 du Code pénal cambodgien. Des poursuites intentées officiellement le 28 août dernier par le procureur de la province de Ratanakiri, au nord-est du pays. Le crime des deux reporters ? Avoir couvert la campagne des élections municipales du 4 juin dernier en interviewant de futurs électeurs.


“Poser des questions durant une campagne électorale n’a rien à voir avec de l’incitation au crime ; cela s’appelle du journalisme, rappelle Daniel Bastard, responsable du bureau Asie-Pacifique de RSF. Porter des accusations aussi graves contre deux reporters qui faisaient simplement leur travail, de surcroît pour un quotidien qui a été fermé entre-temps sous la pression des autorités… C’est le signe d’une inquiétante volonté d’acharnement du gouvernement Hun Sen contre toute voix dissidente, à un an des élections générales.”


La plainte initiale émane notamment de l’ancien maire de la commune de Pate, Romam Yout, qui a accusé les deux journalistes d’avoir “incité les électeurs à soutenir le parti d’opposition”. Selon leur avocat, Aun Pheap and Zsombor Peter se sont contentés de poser des questions politiques durant une campagne électorale - ce qui ne viole en rien la loi électorale du Cambodge, ni les différentes recommandations adressées aux médias par la Commission électorale du pays.


Dans la foulée de cette plainte, le ministre de l’Information Khieu Kanharith avait publié sur sa page Facebook une photo du passeport canadien de Zsombror Peter, le menaçant de représailles en cas de non-respect de la loi électorale. Retiré depuis, ce post est révélateur de l’hostilité du gouvernement actuel contre les journalistes indépendants.


“Pheap et Zsombor subissent une terrible pression, s’inquiète Jodie DeJonge, la rédactrice en chef du Cambodia Daily. La situation de la presse au Cambodge va vraiment de mal en pis.” Les autorités interdisent aujourd’hui au directeur du journal et à son éditrice de quitter le territoire. Ils risquent jusqu’à six ans de prison.


Vieux de 24 ans, pilier de la fragile démocratie cambodgienne, le Cambodia Daily a publié son dernier numéro le 4 septembre dernier, victime d’une amende soudaine de 6,3 millions de dollars infligée sans audit préalable par le fisc.


Dix jours plus tard, c’est Radio Free Asia qui a dû fermer son bureau de Phnom Penh, là aussi en raison d’intimidations du gouvernement. Selon les sources de RSF, le ministère de l’Information refuse désormais de délivrer des cartes de presse aux anciens journalistes des deux médias fermés, ce qui les empêche d’exercer leur métier en free-lance.


Le documentariste australien James Ricketson a pour sa part été arrêté en juin dernier pour avoir filmé une manifestation du parti d’opposition. Accusé d’espionnage, il croupit depuis dans une prison du pays, où il risque dix ans de prison.


Le Cambodge occupe la 132ème place sur 180 pays dans le Classement mondial pour la liberté de la presse établi par RSF en 2017.

Publié le
Updated on 12.10.2017