Burkina Faso : après un an de junte, le paysage médiatique atrophié
Suspendu ce lundi, Jeune Afrique est le dernier média en date visé par les attaques de la junte au pouvoir au Burkina Faso, qui tente d’imposer sa “communication”. Un an après le putsch, la liberté de la presse s’est réduite comme peau de chagrin dans le pays. Reporters sans frontières (RSF) appelle le gouvernement de transition du capitaine Ibrahim Traoré à cesser ces violations et à respecter le droit à l’information de la population burkinabè.
Le média d’actualité francophone Jeune Afrique est désormais inaccessible au Burkina Faso. Un communiqué signé par le porte-parole et ministre de la Communication de la junte au pouvoir, Rimtalba Jean Emmanuel Ouedraogo, ce lundi 25 septembre, a annoncé la suspension, jusqu’à nouvel ordre, de "tous les supports de diffusion" du média après la parution d'articles abordant des tensions au sein de l'armée burkinabè jugés “mensongers”. Selon le communiqué, “Le gouvernement restera intraitable avec tout acteur médiatique qui mettra sa plume au service d’intérêts étrangers à ceux du peuple burkinabè”.
Le leader de la junte, le capitaine Ibrahim Traoré, l’avait annoncé le 31 août dernier, au micro de la Radiodiffusion Télévision du Burkina (RTB) : il fermera les médias qui “font la propagande de l’ennemi”. Selon lui, “il y a une communication à faire” en temps de guerre. “Nous voulons des gens qui vont communiquer, qui vont encourager le peuple à tenir bon."
Le principal instigateur du coup d’État du 30 septembre 2022 ne cache plus sa volonté d’imposer un traitement "patriotique" de l’information, une tâche à laquelle son gouvernement s'attelle depuis de nombreux mois. Le principe est simple : toute information jugée déstabilisante par la junte, notamment vis-à-vis du contexte sécuritaire, est considérée comme de la propagande adverse. Parler des revers ou des exactions commises par l’armée implique désormais son lot de suspensions et d’intimidations…
Un an après la prise de pouvoir du capitaine Ibrahim Traoré, le Burkina Faso se dirige dangereusement vers une zone de non-information. Médias suspendus, poursuivis, correspondants de presse expulsés du pays, voix indépendantes ou critiques soumises au silence, visées par des intimidations et des campagnes de dénigrement... La junte use de toutes les violations de la liberté de la presse afin de museler et de mettre au pas les médias. RSF appelle le gouvernement à ne pas influer sur le traitement de l’information, notamment sur les questions sécuritaires, et à laisser travailler librement les professionnels des médias pour respecter le droit à l’information de la population.
Faire taire les médias étrangers
Avant Jeune Afrique, qui a protesté contre sa suspension, la junte au pouvoir a réduit au silence plusieurs médias français et leurs correspondants. La diffusion de Radio France Internationale (RFI) a été interrompue jusqu’à nouvel ordre en décembre 2022, au prétexte d’avoir relayé un “message d'intimidation des populations attribué à un chef terroriste” et d’avoir repris, dans une revue de presse, “une information mensongère” à propos du capitaine Ibrahim Traoré. La chaîne de télévision France 24 est également inaccessible depuis fin mars, après avoir diffusé sur son antenne des extraits de réponses écrites du chef d’Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI) dans le cadre d’une interview, de même que la chaîne LCI, suspendue depuis le mois de juillet pour une émission concernant la présence de terroristes dans le pays. Les journalistes Sophie Douce et Agnès Faivre, respectivement correspondantes du Monde Afrique et de Libération, ont quant à elles été expulsées du pays au début du mois d’avril après avoir réalisé une enquête sur des assassinats présumés d’enfants dans un camp militaire.
… Et les médias burkinabè
En l’espace de trois mois, trois médias burkinabés ont également connu des ennuis judiciaires. La Radio Oméga, l’une des plus écoutées du pays, a été suspendue du 10 août au 11 septembre pour avoir diffusé l’interview du porte-parole du Conseil de la résistance pour la République (CRR), un mouvement proche du président nigérien renversé le 26 juillet. Dans un communiqué annonçant la réouverture de la radio, le gouvernement estimait que celle-ci avait “tiré les leçons de cette sanction” et demandé une médiation de l’Observatoire burkinabè des médias. La direction du média a réfuté ces informations, qui font en réalité figure d’avertissements. La suspension de Radio Oméga a été critiquée par de nombreux acteurs médiatiques, dont Inoussa Ouédraogo, président du comité de pilotage du Centre national de presse Norbert Zongo. Une critique émise au cours d’une émission sur la chaîne de télévision privée BF1 le 13 août qui lui a valu des intimidations : “Des individus sont montés sur mon véhicule pour regarder à l’intérieur de ma maison, témoigne-t-il. J’ai également reçu des menaces par le biais de personnes interposées, notamment via ma femme et mes parents.”
Le bi-mensuel d’investigation Le Reporter attend, pour sa part, son jugement dans une procédure judiciaire engagée en juillet par plusieurs hauts fonctionnaires. La raison ? “Nous avons révélé une transaction financière suspecte impliquant le ministère de l’Économie, mais aussi les services des douanes et des impôts dans notre numéro publié le 15 juin 2023”, explique Aimé Nabaloum, rédacteur en chef du bi-mensuel.
Les locaux du journal L'Evénement ont eux été mis sous scellés durant plusieurs jours en juin dernier, en raison d'un contentieux fiscal. Les scellés ont été levés à la suite d’un appel à contribution lancé par la société des éditeurs de la presse privée, la SEP, qui dénonçait une “instrumentalisation du fisc et des services publics pour faire taire les voix discordantes”.
Campagnes de dénigrement
Une politique de ciblage des journalistes du pays a également été instaurée. En avril dernier, une campagne de dénigrement organisée par le Groupe panafricain pour le commerce et l’investissement (GPCI) visait déjà plusieurs journalistes français – dont Sophie Douce et Agnès Faivre – et burkinabè, dont Lamine Traoré, qui travaille pour Radio Oméga. Cette agence de communication, dirigée par Harouna Douamba, un proche du pouvoir, possède une quarantaine de sites d’information factices et des pages Facebook. Le Reporter a d’ailleurs relevé, début septembre, que le fondateur du GPCI faisait partie de la délégation de la ministre des Affaires étrangères, Olivia Rouamba, lors de sa visite à Ryad, en Arabie Saoudite, en juin dernier. Harouna Douamba n’en est pas à son coup d’essai : avant d’atterrir au Burkina Faso, il avait déjà ses entrées au sein des plus hautes instances de la République centrafricaine (RCA), notamment avec son association “Aimons notre Afrique” (ANA), à l'origine de plusieurs opérations de désinformation.
“Erreur de manipulation”
D’autres indices laissent à penser que le GPCI a développé des liens avec la présidence du Burkina Faso. Dans la soirée du 2 août, le compte Facebook de la Présidence a divulgué par erreur un faux article de presse. Le texte, signé sous le pseudonyme d’Alpha Diallo, a également été publié sur L’étoile du Continent, un site d’information affilié au GPCI ainsi que sur plusieurs pages Facebook. Le lendemain, la Présidence du Faso a reconnu une “erreur de manipulation”. Son ancien directeur de la communication, Nestor Noufé, n’a pas souhaité répondre aux questions de RSF. En “congé”, le communicant a cependant été remplacé à la tête de la direction de la communication de la Présidence le 30 août.
Dans son rapport Dans la peau d’un journaliste au Sahel paru en avril 2023, RSF alertait déjà sur la situation de la presse dans la région, estimant que celle-ci était en passe de devenir une zone de non-information. Autrefois un exemple à suivre dans la zone, le Burkina Faso a vu la situation de la liberté de la presse se dégrader sur son territoire au fil des ans. En 2019, l'Assemblée nationale a amendé le Code pénal pour criminaliser la diffusion d’informations sur les opérations militaires afin de “ne pas porter atteinte au moral des troupes".