Avec sa loi anti-fake news, le gouvernement singapourien élimine tout débat public

En vertu de sa nouvelle loi “anti-fake news”, particulièrement controversée, le gouvernement singapourien a, la même semaine, ordonné la “correction” de deux articles d’informations publiés sur Facebook. Reporters sans frontières (RSF) condamne avec la plus grande vigueur le recours à ce texte aux relents totalitaires.

En ligne depuis l’entrée en vigueur de la loi, en octobre, la page web du gouvernement, baptisée “Factually”, prétend présenter les “faits corrects” - en opposition à ce qu’il considère comme “des erreurs et de la manipulation en ligne”, pour reprendre les termes du texte législatif dit “POFMA” (Prevention of Online Falsehood and Manipulation Act). Chaque contenu “corrigé” par le gouvernement est présenté avec la mention “FAUX”, qui barre le post en immenses lettres rouges.


Une première directive a été émise le 21 novembre dernier par le ministre des Finances, contre un politicien proche de l’opposition, qui a publié un post sur Facebook dans lequel il s’interroge sur la pertinence d’investissements menés par deux fonds souverains singapouriens. Suite à la directive, il a dû faire précéder son article d’une “Note corrective” accompagnée d’un lien vers la page gouvernementale exposant les “faits corrects”. 


Deux jours plus tard, une nouvelle directive est émise, cette fois, par le ministre de l’Intérieur, K. Shanmugan. Celui-ci intime au blogueur Alex Tan, administrateur du States Times Review, un site d’information basé en Australie, de “corriger” un article révélant, notamment, des témoignages attestant que la police aurait arrêté un lanceur d’alerte, et ce en lien avec une candidate du parti au pouvoir.


Face au refus du blogueur, basé à l’étranger, de retirer ses informations, le gouvernement a intimé à Facebook de publier à son tour une “Note corrective” - le géant californien risquant une amende d’un million de dollars singapouriens, soit plus de 660.000 euros, il a préféré retirer tout simplement le post, au motif affiché d’une violation de sa “politique d'authenticité”.


“Ministère de la Vérité”


“Le recours des autorités singapouriennes à cette loi “anti-fake news” est une atteinte préoccupante au pluralisme et à l’indépendance journalistiques, déplore Daniel Bastard, responsable du bureau Asie-Pacifique de RSF. 


"Dans les deux cas, au lieu de contester les informations qui l’indisposent et, partant, d’entretenir le débat public, comme cela se passe dans une démocratie, le gouvernement de la Cité-État préfère imposer sa propre vision des faits. En cela, il fonctionne exactement comme un ministère de la Vérité orwellien qui, en fait de prévention des manipulations en ligne, ne fait rien d’autre que d’imposer sa propre manipulation de l’opinion publique.” 


Bien avant ces deux épisodes, RSF avait publié en avril dernier une analyse du projet de loi qui a abouti à ce texte législatif, expliquant ses dérives potentielles. 


Singapour se classe à la 151eme place sur 180 pays dans le Classement mondial de la liberté de la presse 2019 établi par RSF.

Publié le
Updated on 06.12.2019