Affaire Dawit Isaak : RSF appelle les procureurs suédois à assumer leurs responsabilités

Alors que le journaliste érythréo-suédois Dawit Isaak est détenu en Erythrée depuis 20 ans, Reporters sans frontières (RSF) a demandé à la Procureure générale de Suède de revenir sur la décision de ne pas ouvrir une enquête pour crimes contre l’humanité au sujet du journaliste et l’appelle à remplir ses obligations.

 

Le 23 septembre 2001, alors qu’il prenait son petit déjeuner à son domicile d’Asmara, la capitale de l’Erythrée, en compagnie de son épouse et de leurs enfants, le journaliste Dawit Isaak était arrêté par la police.

 

Cela fait 20 ans. Vingt ans que Dawit Isaak est derrière les barreaux en Erythrée sans jamais avoir été poursuivi pour un crime. Vingt ans qu’il est détenu dans des conditions atroces, dans un lieu gardé secret. Avec ses collègues arrêtés au même moment, Dawit Isaak est aujourd’hui le plus ancien journaliste prisonnier au monde.

 

En cette date anniversaire, RSF appelle l’Autorité chargée des poursuites suédoise à assumer ses responsabilités internationales et à ouvrir une enquête préliminaire pour crimes contre l’humanité au sujet de Dawit Isaak. Aujourd’hui, c’est vers la Procureure générale Petra Lundh que nous nous tournons pour revenir sur les décisions antérieures de ne pas enquêter sur cette affaire.

 

« Après 20 ans, Dawit Isaak, ses collègues et sa famille n’ont que trop attendu justice et vérité, déclare la lauréate du prix Nobel de la paix Shirin Ebadi, qui a cosigné la plainte déposée par RSF fin 2020. Il est plus que temps que le système judiciaire suédois entame des poursuites contre la disparition forcée d’un citoyen à la double nationalité, un courageux journaliste ciblé en raison de son métier. Le non-respect des obligations internationales ne doit être une option pour aucun Etat, et d’autant moins pour un gouvernement démocratique comme la Suède. »

 

La Suède n’a toujours pas lancé d’enquête pénale pour cette affaire, en dépit des plaintes déposées par RSF, entre autres.

 

En 2016, le Procureur général Anders Perklev avait établi qu’il y avait matière à penser que des crimes contre l’humanité étaient commis contre Dawit Isaak. Il avait également déclaré que ces crimes pouvaient être examinés par la police suédoise. Malgré cela, il a décidé de ne pas ouvrir d’enquête, de crainte de perturber les négociations menées par le ministre suédois des Affaires étrangères pour obtenir la libération du journaliste. Depuis, cinq ans ont passé.

 

RSF a ainsi déposé une nouvelle plainte pour crimes contre l’humanité, torture et disparition forcée en octobre 2020. Celle-ci a été signée par 12 grands avocats internationaux défenseurs des droits humains. Or, en Suède, la procureure de la République Karolina Wieslander et le directeur de l’Autorité chargée des poursuites Lennart Guné ont tous deux refusé d’ouvrir une enquête. Alors que Lennart Guné n’a pas justifié sa décision, Karolina Wieslander a déclaré que sans la coopération de l’Erythrée, toute enquête se révélait impossible.

 

Les crimes contre l’humanité atteignent un tel niveau de gravité qu’il est possible de les examiner même en dehors du pays où ils ont été commis. Citons pour exemple le procès en cours, à Stockholm, contre un citoyen iranien accusé d’avoir pris part aux exécutions de masse dans les prisons iraniennes en 1988. Parmi les personnes assassinées figuraient des centaines de journalistes. Ce cas prouve bien que si elles le veulent, les autorités suédoises peuvent remplir leurs obligations internationales.

 

« A la lumière de procès où les procureurs suédois prennent leurs responsabilités internationales, les décisions au sujet de Dawit Isaak sont incompréhensibles, souligne le président du bureau Suède de RSF, Erik Halkjaer. Les crimes dont nous jugeons qu’ils doivent être examinés ne le seront pas parce que l’Erythrée ne coopère pas ? Les procureurs ont non seulement, jusqu’à présent, ignoré les décisions prises par le Procureur général Anders Perklev, mais se comportent de manière irrationnelle puisque c’est l’un d’entre eux qui a mené l’enquête iranienne. Et l’Iran n’a pas coopéré. »

 

Se sont associés à cette plainte la lauréate du prix Nobel Shirin Ebadi, l’ex-juge de la Cour pénale internationale et ex-Haut Commissaire aux droits humains Navi Pillay, l’ex-ministre de la Justice canadien Irwin Cotler, entre autres, ainsi que les juristes suédois Percy Bratt et Jesús Alcalá. Tout comme RSF, ces avocats attendent beaucoup de l’Autorité chargée des poursuites suédoise. La Suède se doit de prendre ses responsabilités pour défendre les droits humains et lutter contre l’impunité.

 

« Les crimes subis par le plus ancien journaliste détenu au monde ne méritent pas moins qu’une enquête à part entière de la part du pays de sa citoyenneté, déclare le directeur du plaidoyer et du contentieux stratégique de RSF, Antoine Bernard. Enquêter sur ces crimes, engager des poursuites, les sanctionner et offrir réparation sont indispensables au respect des engagements de la Suède en matière de justice et de droit international. Nous appelons la Procureure générale à favoriser la justice plutôt que les considérations politiques. »

 

Pour en savoir plus, lisez notre rapport « Pourquoi la Suède n’a pas réussi à rapatrier Dawit Isaak, prisonnier de conscience en Erythrée depuis 2001 ».

 

L’Erythrée et la Suède occupent respectivement la dernière et la 3e place sur 180 pays au Classement mondial de la liberté de la presse établi par RSF en 2021.

Publié le
Updated on 23.09.2021