Une si longue impunité

Reporters sans frontières se réjouit de la rencontre de Lessia Gongadze avec le président Viktor Ianukovitch, le 21 juin 2010. La mère du journaliste Géorgiy Gongadze avait annoncé vouloir s’entretenir au sujet de l’enquête sur l’assassinat de son fils avec le Président, dans une interview donnée à la Deutsche Welle le 7 juin dernier. Cette rencontre a eu lieu à huis clos, alors que l’enquête se poursuit. Géorgiy Gongadze, journaliste engagé et critique de l’ancien président Leonid Koutchma, a été enlevé le 16 septembre 2000 à Kiev. Son corps a été retrouvé décapité deux mois plus tard, dans un bois. En 2005, les procureurs en charge de cette affaire ont rendu publics les noms de trois officiers de police soupçonnés d’être responsables de la mort du journaliste. Plusieurs tests ADN ont été effectués pour prouver que le corps retrouvé en novembre 2000 était bien celui du journaliste, alors que plusieurs de ses proches, dont sa mère, avaient demandé une analyse indépendante. L’ensemble des résultats a confirmé l’identité du corps. Cette affaire, qui avait connu une accélération avec l’arrivée au pouvoir de l’ancien président Viktor Ioutchenko en 2005, souligne les difficultés de la lutte contre l’impunité en Ukraine. Malgré la volonté d’élucider ce crime affichée par le président Ioutchenko, l’enquête n’a pas abouti. Deux colonels ukrainiens, arrêtés le 1er mars 2005, avaient déclaré à la justice que le général Olexi Poukatch, ancien chef du service de renseignements du ministère de l’Intérieur, avait lui-même étranglé le journaliste. Le général Poukatch serait donc impliqué personnellement et directement dans le meurtre du rédacteur en chef de l’Ukrainskaya Pravda. Le général avait été interpellé en 2003, puis relâché, avant de disparaître, bien qu’il ait été placé sous contrôle judiciaire. Recherché, Olexi Poukatch a été arrêté le 21 juillet 2009, dans un village au nord de l’Ukraine. Quelques jours auparavant, le 12 juin, la Cour suprême de Kiev avait décidé de prendre en compte les enregistrements d’un garde du corps de l’ancien président, Mykola Melnichenko. Ces enregistrements, jusqu’à cette date laissés de côté, ont été d’une grande aide pour avancer dans l’identification des responsables de l’assassinat de Gongadze. Les aveux du général Poukatch ont été rendus publics au lendemain de son arrestation. Celui-ci reconnaît avoir étranglé lui-même le journaliste sur ordre de hauts fonctionnaires. Depuis son arrestation, Olexi Poukatch est placé en détention provisoire. Son procès n’a pas encore eu lieu, l’enquête n’étant pas à ce jour achevée. Le général est poursuivi en vertu de l’article 156 du Code de procédure pénal ukrainien. Le général Poukatch n’est pas le seul inquiété dans cette affaire. Le 15 mars 2008, la cour d'appel de Kiev a condamné trois policiers pour « complicité de meurtre ». Valeri Kostenko, Mykola Protassov et Oleksandr Popovich étaient des subordonnés de Poukatch. Ils ont été condamnés à des peines allant de 12 à 13 ans d'emprisonnement chacun. Le 21 mai dernier, Géorgiy Gongadze aurait eu 41 ans. Ce jour-là, sa veuve, Miraslava Gongadze, a déclaré n’être absolument pas tenue au courant des étapes de l’enquête. Dix ans après l’assassinat de son mari, elle ne connaît pas la teneur des dossiers de l’investigation.
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Mise à jour le 20.01.2016