Une documentariste emprisonnée depuis un mois : Reporters sans frontières écrit à la présidente Michelle Bachelet

A l'attention de
Madame Michelle Bachelet
Présidente de la République du Chili
Palais de la Moneda, Santiago Madame la Présidente, Reporters sans frontières, organisation internationale de défense de la liberté de la presse, souhaite attirer votre attention sur le sort d'Elena Varela López, détenue depuis le 7 mai 2008 et actuellement incarcérée à la prison de Rancagua. Cinéaste et productrice, Elena Varela est engagée depuis plus de trois ans dans un vaste projet documentaire - Newen Mapuche - consacré au peuple mapuche et à ses revendications territoriales, pour lequel elle a reçu des fonds d'instituts audiovisuels rattachés au ministère de la Culture. Le 7 mai, Elena Varela López et cinq autres personnes, réputées pour leur ancienne appartenance au Mouvement de la gauche révolutionnaire (MIR), ont été arrêtées pour leur participation présumée à deux hold-up commis en 2005 dans les localités de Loncoche et Machalí, ce dernier s'étant soldé par la mort de quatre personnes. Entre autres charges, les prévenus sont également soupçonnés d'avoir reçu un entraînement de la guérilla colombienne de l'Armée de libération nationale (ELN) dans le but de conduire les actions armées qui leur sont imputées. Leur inculpation leur a été formellement notifiée le 22 mai par la juge de Rancagua, Andrea Urbina. Les enquêteurs disent avoir mis la main sur du matériel de combat au domicile d'Elena Varela López, tenue pour la commanditaire de ces hold-up. Il ne nous appartient pas d'influer sur le cours de la procédure. Certains aspects de cette affaire nous paraissent néanmoins troublants, à commencer par la confiscation du matériel utilisé ou enregistré par Elena Varela López dans le cadre de son travail documentaire. En quoi la rétention de ce matériel s'impose-t-elle dans une enquête portant sur des faits sans aucun rapport avec les activités de cinéaste de la prévenue ? Il est également permis de se demander comment une personne, accusée d'aussi lourdes charges et qu'on pouvait croire recherchée, a pu bénéficier d'une allocation financière de l'État pour réaliser un film. Enfin, Elena Varela López était localisée depuis trois ans en Araucanie. Son arrestation paraît bien tardive. Au Chili comme dans d'autres pays, nombreux sont ceux que son histoire a émus et mobilisés. Reporters sans frontières note également que le thème, sensible, de la situation des Mapuches expose à des risques les journalistes ou documentaristes qui voudraient s'y consacrer. En 2004 et 2005, le directeur de la revue mapuche Azkintuwe, Pedro Cayuqueo Millaqueo, avait été arrêté à deux reprises, après avoir dénoncé les spoliations de terres dont il estime victime son peuple. Le 17 mars dernier, Christophe Cyril Harrison et Paul Rossj, deux documentaristes français, ont été brièvement détenus à Collipulli, accusés d'avoir provoqué un incendie qu'ils filmaient et d'”appartenir à l'ETA”. Le 3 mai, le scénario s'est répété pour deux cinéastes italiens, Giuseppe Gabriele et Dario Ioseffi, eux aussi qualifiés de “terroristes” avant d'être expulsés. La question mapuche s'assimile-t-elle à un sujet tabou, synonyme d'entrave à la liberté de la presse ? Nous souhaitons que les journalistes, chiliens ou étrangers, obtiennent la garantie de travailler en toute sécurité en Araucanie. Nous souhaitons également que la justice apporte les éclaircissements nécessaires dans le dossier Elena Varela. En vous remerciant de l'attention que vous porterez à cette lettre, je vous prie d'agréer, Madame la Présidente, l'expression de ma très haute considération. Robert Ménard
Secrétaire général
Publié le
Mise à jour le 20.01.2016