Un quotidien poursuivi pour diffamation par plus de 300 généraux

312 généraux de l'armée turque ont intenté, le 31 octobre 2003, un procès pour diffamation contre le quotidien islamiste Vakit et contre l'éditorialiste Asim Yenihaber. Les plaignants réclament environ 367 000 euros de dommages et intérêts. "Cette amende exorbitante signerait l'arrêt de mort du journal. Si ce montant était effectivement exigé, l'armée aurait atteint son but : faire taire toute critique de la part de la presse", a écrit Robert Ménard, secrétaire général de l'organisation de Reporters sans frontières, dans un courrier adressé au ministre de la Justice, Cemil Cicek. "Nous espérions que, dans la perspective de la candidature de la Turquie à l'adhésion à l'Union européenne, l'armée montrerait davantage de respect envers la liberté de la presse. Mais nous avons une nouvelle fois la preuve qu'elle est loin d'avoir intégré les principes de base de la démocratie", a-t-il ajouté. Parmi les plaignants figurent le commandant de l'armée de terre, Aytaç Yalman, le commandant de l'armée de l'air, Ibrahim Firtina, le commandant de la Marine, Ozden Ornek et le commandant de la gendarmerie nationale, Sener Eruygur. Dans leur requête, déposée au tribunal de grande instance d'Ankara, les plaignants estiment que le contenu de l'article de Asim Yenihaber, intitulé "Le pays où un soldat qui ne mérite pas d'être sergent devient général", est de nature à susciter "des sentiments de haine et de mépris envers les officiers généraux et à dégrader les forces armées turques aux yeux de la société". Ils ont ajouté que l'opinion du journaliste est le reflet de son "trouble mental et psychologique" et que "nul n'a le droit d'offenser et d'humilier les officiers généraux". Dans son article, publié le 25 août 2003, Asim Yenihaber dénonçait l'incompétence des hauts gradés. Il affirmait : "Rien ne montre que ce sont des généraux à part les étoiles sur leurs épaules. (…) Il n'y a pas de place pour eux, ni dans l'armée, ni dans ce pays (...)". La survie économique de Vakit, qui critique souvent avec virulence l'armée et les militaires, serait, selon ses dirigeants, directement menacée par le montant de l'amende. Reporters sans frontières rappelle que, malgré les réformes démocratiques engagées dans la perspective de l'adhésion de la Turquie à l'Union européenne, la liberté de la presse reste soumise à de nombreuses restrictions. Les journalistes osant critiquer les institutions de l'Etat ou aborder des sujets tabous, comme le problème kurde ou le rôle de l'armée dans la vie politique du pays, sont censurés, abusivement poursuivis et soumis à de lourdes peines. Au moins quatre d'entre eux sont actuellement incarcérés pour avoir exprimé leurs opinions dans le cadre de leur activité professionnelle.
Publié le
Mise à jour le 20.01.2016