Un journaliste de Tribune d'Afrique interrogé pendant six heures

Reporters sans frontières et le réseau Avocats sans frontières expriment leur inquiétude concernant la sécurité et la liberté d'action du personnel du magazine Tribune d'Afrique, après l'interpellation dont a été victime le journaliste Max Savi Carmel, le 9 février 2012, à Lomé. Les deux associations avaient déjà apporté leur soutien à ce média lorsqu'une suspension définitive lui avait été infligée, en août 2010, sur décision judiciaire pour "diffusion de fausses nouvelles" et "diffamation". "Nous dénonçons les pressions utilisées par les forces de police pour contraindre Max Savi Carmel à cesser ses investigations et à révéler ses sources, en violation d'un principe fondamental du journalisme. Nous demandons que ce type d'incidents traumatisants et visant à intimider les journalistes du bimensuel cessent", ont déclaré Reporters sans frontières et le réseau Avocats sans frontières. En protestation contre ces pratiques, Tribune d'Afrique a décidé de suspendre sa publication au Togo pendant une semaine. Le magazine a décidé de porter plainte contre X pour "espionnage" et "fuites" au sein de la rédaction. Voici l'intégralité du témoignage donné par le journaliste, le 10 février 2012 : "Contacté par une femme qui a appelé du numéro 00228 98 24 96 39 et qui aurait des informations à verser à une enquête que je réalise depuis le 12 décembre 2011, je me suis rendu vers la mi-journée du jeudi 09 février 2012 au centre administratif de la ville de Lomé (Togo) où je vis depuis de nombreuses années et où je travaille comme journaliste. Alors que la dame était censée m’attendre devant le cabinet du ministère de la Communication, deux hommes sautent dans ma voiture, me présentent une carte de la gendarmerie et m’invitent à rester calme pour ne pas être violenté. Je me suis retrouvé en l'espace de quelques secondes dans une voiture, une Camry garée près de la Sureté Nationale du Togo, avant d’être transporté 7 (sept) minutes plus tard, à 12h43, dans les locaux de la SRI (Services de Renseignements et d’Investigation) où, dans un bureau, j’ai été soumis à 6 heures d’interrogatoire parfois musclé, parfois détendu, souvent fastidieux. J’ai dû fournir des informations sur une investigation que je fais depuis de nombreuses semaines et il m’a été demandé expressément de donner les noms et numéros de téléphones de mes sources et d'aider la gendarmerie à les interpeller. Ce à quoi j’ai résisté plusieurs heures avant d’être libéré. Une proposition de collaboration avec le SRI m’a été proposée, ce à quoi je me suis violemment opposé. Mon interrogatoire a été réalisé par le capitaine Akakpo, un autre agent que je ne connais pas formellement et le Directeur général de la Gendarmerie togolaise, le colonel Yark. Pendant cette demi-journée, j’ai été privé de mon traitement médical chronique pour un mal que je soigne et il m’a été refusé de joindre mon avocat malgré mon insistance. J’ai été privé de mon téléphone portable longuement fouillé par le capitaine Akakpo. J’ai été libéré vers 18h45 et la gendarmerie a proposé de me ramener chez moi, ce à quoi je me suis opposé, la remerciant gentiment. Au retour à ma voiture qui a été ramenée dans l’enceinte de la gendarmerie par un agent, j’ai constaté avec le capitaine Akakpo que le sac contenant mon ordinateur était ouvert. Je voudrais rappeler que le capitaine Akakpo m’avait demandé entre temps de lui permettre d’accéder à mon ordinateur portable, ce à quoi j’ai opposé un refus catégorique. Je signale que l’appareil est muni d’un mot de passe. L’une de mes clés USB internet Moov a disparu de même qu’une clé USB ordinaire, 4 giga, de couleur cendre. Rien d’autre n’a disparu, selon mes constats jusqu’à ce jour. Mal conduite, ma voiture a été grattée par un frottement. J’ai demandé une réparation à la gendarmerie dont le Directeur Général m’a donné rendez-vous pour vendredi 10 février 2012, donc au lendemain de l’interpellation, pour s’en occuper. Je suis très inquiet pour ma sécurité alors que j’enquête sur plusieurs dossiers sensibles et qu’actuellement, mon journal a saisi la Cour Constitutionnelle du Togo pour une décision contraignante illégale de la Haac, Haute Autorité de l’Audiovisuel et de la Communication. Depuis plusieurs années, le gouvernement togolais estime que Tribune d’Afrique est un journal hostile au régime de Faure Gnassingbé et le journal avait été, au bout d’un procès de 12 minutes, condamné à une suspension définitive et à une amende de 63 millions (100 mille euros) avant de voir sa peine réduite à la suite d’une grande mobilisation internationale. Pendant la durée de ma détention, je n’ai été ni torturé physiquement, ni violenté de quelque manière que ce soit sur le plan physique. Je suis sorti traumatisé et psychologiquement très perturbé. L’interrogatoire a été sanctionné par une déposition dans les mains courantes, signée par moi-même. La direction de Tribune d’Afrique a décidé aussitôt de suspendre provisoirement sa parution en cours et de réduire au minimum les activités de son siège togolais, sis à Adidoadin, Curie des Médias".
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Mise à jour le 20.01.2016