Un journaliste condamné à de la prison pour "diffamation" par la Cour suprême : une jurisprudence dangereuse

Reporters sans frontières s'inquiète du précédent que risque de créer la décision de la Cour suprême de justice du 18 septembre 2006 condamnant Carlos Dogliani, ancien journaliste de l'hebdomadaire (aujourd'hui disparu) El Regional basé à Paysandú (Ouest), à cinq mois de prison avec sursis pour “diffamation” envers le maire de cette ville. Le journaliste avait pourtant été relaxé en appel. “Cette décision va à rebours des évolutions législatives favorables à la liberté d'expression dans la plupart des pays du continent américain. Elle contredit directement la jurisprudence de la Cour interaméricaine des droits de l'homme dont une décision de 2004 dépénalisait de fait la diffamation. La Cour suprême uruguayenne se déjuge d'ailleurs elle-même en faisant aujourd'hui primer la protection de l'honneur sur la liberté d'expression, alors qu'elle s'était prononcée dans un sens contraire il y a neuf ans. Nous craignons que l'argument de “l'atteinte à l'honneur” soit source d'abus contre les journalistes et d'autocensure au sein de la presse, a fortiori quand des élus seront mis en cause”, a déclaré Reporters sans frontières. Carlos Dogliani avait publié en 2004 une série d'articles mettant en cause les pratiques du maire de Paysandú, Alvaro Lamas, et notamment l'exonération douteuse de taxe sur une dette de 300 000 dollars contractée pour un investissement immobilier. En mars 2004, l'élu avait engagé des poursuites contre le journaliste et obtenu en première instance sa condamnation à cinq mois de prison avec sursis pour “diffamation”. Carlos Dogliani avait interjeté appel et obtenu gain de cause en appel, en 2005. Le 18 septembre, la Cour suprême de justice a révoqué la décision d'appel et confirmé la peine prononcée contre le journaliste, qui devrait se limiter à du sursis. Dans les attendus de sa décision, a souligné l'Association de la presse uruguayenne (APU), la haute juridiction a considéré que “peu importait la véracité des faits imputés”. La Cour s'est appuyée sur une précédente décision qu'elle avait rendue en 1992 pour estimer qu'en l'espèce, la protection de l'honneur primait sur la liberté d'expression. Ce faisant, la Cour a ignoré une autre décision rendue dans l'intervalle, en 1997, selon laquelle les fonctionnaires politiques doivent supporter la critique, et la liberté d'expression prévaut sur l'honneur quand des informations relèvent de l'intérêt public.
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Mise à jour le 20.01.2016