Un hebdomadaire censuré par les autorités

Le dernier numéro de l'hebdomadaire La Tribune a été censuré par les autorités mauritaniennes. "Cette mesure démontre qu'en dépit des déclarations du pouvoir mauritanien en faveur d'une presse "forte, libre et professionnelle", celui-ci continue à recourir au fameux article 11 de la loi sur la presse pour sanctionner les journaux abordant, à ses yeux, des sujets tabous.", a déclaré Robert Ménard, secrétaire général de l'organisation,. dans une lettre adressée à Lemrabott Sidi Mahmoud Ould Cheikh Ahmed, ministre de l'Intérieur. Reporters sans frontières rappelle que depuis un an, au moins cinq journaux ont été censurés par le ministère de l'Intérieur. Selon les informations recueillies par Reporters sans frontières, le numéro 165 (daté du 2 juillet 2002) de l'hebdomadaire francophone La Tribune, n'a pas obtenu l'autorisation d'impression du ministère de l'Intérieur, en vertu de l'article 11 de la loi sur la presse datée de 1991. Selon ce texte, le ministère de l'Intérieur peut, par arrêté, "interdire la circulation, la distribution ou la vente de journaux (…) qui portent atteinte à la crédibilité de l'Etat". Dans ce cas, le ministère n'est pas tenu de justifier sa décision et il lui suffit de transmettre au journal et à l'imprimerie "une notification" écrite. Cette censure de La Tribune pourrait être liée à la présence d'un article intitulé "Elections du conseil de l'Ordre". Ce texte critiquait la façon dont s'était déroulée, le 27 juin dernier, l'élection du bâtonnier de l'ordre national des avocats, en relatant la tentative avortée du pouvoir de saboter la victoire du candidat sortant, Me Mahfoudh Ould Bettah. Le 12 avril 2002, le directeur de publication de La Tribune, Mohamed Fall Ould Oumere, avait été arrêté par la police en raison d'une enquête qu'il menait sur les activités de l'organisation non reconnue "Conscience et résistance" (CR). Il avait été libéré le 21 avril. Ci-dessous, l'intégralité de l'article censuré : "Elections du conseil de l'Ordre : Comptes et décomptes ou comment la minorité va l'emporter" Le 27 juin, c'était surtout le rendez-vous des avocats inscrits au Barreau national. L'occasion pour eux de choisir un nouveau B‚tonnier et un nouveau Conseil de l'Ordre National des Avocats. Trois candidats en lice : le Bâtonnier sortant, Me Mahfoudh Ould Bettah bénéficiant du préjugé favorable de la profession, Me Melaônine Ould Khalifa candidat du parti au pouvoir, le PRDS, et un outsider, Me Ahmed Ould Nane. Chaude bataille annoncée. On s'attendait au pire. On a eu le pire du pire. A commencer par cette tradition qui fait que le bureau de vote de l'Ordre doit Ítre constitué des trois derniers avocats inscrits sur la liste du barreau. Le dernier inscrit est Me Sid'El Moktar Ould Sidi, un avocat qui a vu son inscription refusée par le Conseil de l'Ordre avant d'être imposée par la Cour Suprême dans des conditions et suivant une procédure peu transparente. Me Ould Sidi devient le président du bureau de vote. Il donne le ton dès son entrée en salle : il exhibe devant tous, les bulletins de vote confectionnés par ses soins. Alors que le règlement charge le Conseil de l'Ordre de confectionner lesdits bulletins. Batailles de procédure Première bataille dont les avocats sortent vainqueurs : les bulletins sont confisqués, de nouveaux sont établis suivant la procédure normale. Deuxième bataille : le président décide par arrêté que le vote bien que "secret, ne nécessite pas d'isoloir". Une manière de vouloir contrôler le vote de chaque avocat en s'assurant qu'il a fait "le bon choix". Une forme de pression sur les avocats qui pourraient Ítre tentés par faire défection et voter en bonne conscience. Secret ou pas, cela n'entame en rien la volonté des avocats. Après les premières batailles de procédures, on passe au vote. Première anomalie : la loi dit que les votes par correspondance doivent Ítre les premiers à être consultés, alors que le président va s'entêter à vouloir les réserver pour le dernier moment. Au nombre finalement de dix, ces votes par correspondances ont été l'objet d'un P-V de constat signé par Me Med Vall Ould Batty, huissier titulaire. Dans son P-V, le huissier constate que "l'ensemble des enveloppes citées sont fermées et scellées par les autorités postières" et qu'il "est matériellement impossible de connaître le contenu d'une enveloppe sans l'ouvrir". Utile à savoir quand on sait que le président du bureau de vote devait annuler les votes par correspondance au prétexte de leur violation du principe du vote secret. Alors qu'il a autorisé le contrôle du vote dans la salle. Votes annulés Dans un premier temps, Me Ould Sidi pense que le candidat PRDS, Me Ould Khalifa est dans la position qui lui permet de passer sans grands ambages. C'est pourquoi il se contente de rejeter un seul des votes par correspondances. Il s'agit de celui de Me Lî Gourmo Abdul. Par arrêté portant le numéro 03/02 et faisant référence à l'article 09 de la loi portant organisation de la profession et au prétexte que la lettre de Me Gourmo n'est pas datée, son vote est rejeté. Les autres bulletins sont introduits par ses soins dans l'urne ! Plus tard, il décrètera que tous les votes par correspondance sont nuls par arrêté portant toujours le numéro 03/02. Les motifs invoqués sont : - la loi qui reconnaît le vote par correspondance (articles 8 et 9), dit en son article 52 que des décrets d'applications doivent être pris en vue d'en appliquer les prédispositions : - que sans ces décrets le vote par correspondance viole le caractère secret du scrutin ; - que les textes des correspondances peuvent être lus à travers les enveloppes. Trois raisons qui ne tiennent évidemment pas. On n'a jamais vu une loi ne pas s'appliquer pour absence de décret d'application. Le vote par correspondance a été institué par la loi qui en a ainsi fait un vote d'exception qui ne peut être assimilé à un vote normal où le secret pourrait être violé. Le huissier est catégorique : le contenu des enveloppes ne peut être lu ! Malgré la faiblesse de l'argumentaire, c'est l'avis du président qui l'emporte : les votes par correspondances sont annulés. Soit dix voix. Les calculs sont ici très importants. Les chiffres après les lettres Le vote fini, on passe au décompte des voix. Selon l'un des membres du bureau dont nous publions en fac-similé le relevé des résultats, le scrutin a donné 103 voix à Me Ould Bettah, 99 à Me Ould Khalifa, 1 à Me Ould Nane, 1 bulletin blanc et 1 bulletin nul (cf.fac-similé). En sachant que le nombre total des inscrits au Barreau est de 230 avocats, que sur l'ensemble, 15 étaient absents, 10 ont été refusés pour vote par correspondance, il en restait 205. La loi stipule que "les élections ont lieu au scrutin secret à la majorité absolue des suffrages exprimés, à L'EXCLUSION DES BULLETINS NULS OU BULLETINS BLANCS". Autrement dit, les deux bulletins - un blanc et un nul - doivent être soustraits du total des votants pour établir la majorité. 205 moins 2 = 203. La majorité absolue est donc de 102. Même si le bureau de vote a réfuté le résultat réel de Me Ould Bettah, celui-ci a obtenu 102 voix au terme du P-V final signé le président du bureau de vote. Donc logiquement il l'a emporté. Mais c'était compter sans les méthodes du PRDS. En effet le P-V final indique que le nombre d'inscrits est de 230, mais le nombre de votants passe à 217, alors que le nombre des absents est toujours de 15 (ce qui donne 232 avocats soit 2 de plus que la réalité). Ce "mécompte" participe aux tentatives de fausser les résultats. Les bulletins nuls passent à 13 au lieu de 11 et les bulletins neutres à 2 au lieu de 1. Sans aucun scrupule ! Dans le décompte final, ces bulletins blancs sont assimilés à une expression de voix contrairement aux dispositions de la loi. Finalement et toujours selon Me Ould Sidi, la majorité requise est de 103 voix. Me Ould Bettah a obtenu 102, Me Ould Khalifa 99 et Me Ould Nane 1. Suivant cette logique singulière, le président du bureau de vote, Me Ould Sidi devait décider l'organisation d'un second tour ce jeudi 4 juillet 2002. Ainsi en a décidé le PRDS qui a vu échouer son entreprise d'imposer ses choix aux avocats. Vers deux Conseils ? Me Mahfoudh Ould Bettah considére lui que le scrutin est clos et qu'il est sorti vainqueur de la compétition. Dans un communiqué rendu public le 1er juillet (cf. texte intégral), le Bâtonnier réélu annonce que "deux actions judiciaires sont entreprises. La première est une action pénale pour faux et usage de faux à l'encontre des membres du bureau de vote. La seconde est intentée par les candidats aux fonctions de membres du conseil de l'Ordre pour la désignation d'un nouveau bureau chargé de compléter les élections du 27 juin en supervisant l'élection des autres membres du conseil de l'Ordre". Reste à savoir si les autorités iront jusqu'au de cette logique absurde. En fait l'engagement du PRDS dans l'OPA ainsi lancé semble être si fort qu'il est difficile de prévoir autre chose que la constitution d'un Bureau parallèle avec comme président Me Ould Khalifa. Le Barreau national, jusque-là à l'abri, connaîtra alors une période de divisions qui ne manquera pas de salir son image. C'est ce qu'on cherche. Mais pourquoi ? A regarder de près l'action du Bâtonnier Me Ould Bettah, on se rend compte qu'il a toujours refusé de s'attaquer au front au règime. Dans des questions vitales pour celui-ci (esclavage, droits de l'homme), Me Ould Bettah a plutôt servi en atténuant les graves accusations dont le régime est victime. Alors ? On dit que les Nassériens entendent faire main basse sur cette tribune que constitue l'ONA. Mais est-ce suffisant pour engager toute la République à l'assaut du dernier bastion de liberté d'esprit ? En tout cas et quelque soit l'issue de la réunion de jeudi prochain (4 juillet), l'Ordre National des Avocats ne sera plus le même. Ou les autorités décident de monter un Conseil parallèle sans crédibilité et sans assise. Ou elles respectent la volonté des avocats, auquel cas l'actuel Conseil gagnera en respect. Mohamed Fall Oumer
Publié le
Mise à jour le 20.01.2016