Un an en prison pour rien !

Un an jour pour jour après leur arrestation, Reporters sans frontières exige à nouveau à la remise en liberté immédiate des deux journalistes d’investigation Ahmet Sik et Nedim Sener, et de leurs co-accusés d’OdaTV. L’organisation se joint aux appels à manifester aujourd'hui à Istanbul, à l’initiative de la plateforme « Liberté aux journalistes » (GÖP), des « Amis d’Ahmet et de Nedim » et des « Amis de Mustafa Balbay et Tuncay Özkan », pour exiger la libération des journalistes emprisonnés. « Un an de détention pour Ahmet Sik et Nedim Sener, un an à l’isolement pour Mustafa Balbay et Tuncay Özkan! Et combien d’années, pour d’autres professionnels de la presse incarcérés depuis plus longtemps encore ? Il est grand temps que la criminalisation du journalisme cesse en Turquie, a déclaré Reporters sans frontières. Cela passe par des réformes législatives et un changement d’attitude de la part de l’appareil judiciaire. Mais le préalable est la fin du cauchemar que vivent les journalistes emprisonnés. » Le procès d’Ahmet Sik, Nedim Sener et des huit correspondants d’OdaTV s’est ouvert le 22 novembre 2011 à Istanbul, en présence d’observateurs de nombreuses organisations turques et internationales de défense de la liberté de la presse, dont Reporters sans frontières. Audience après audience, la vacuité du dossier d’accusation n’est devenue que plus évidente, mais les demandes de libération provisoire ont systématiquement été refusées sans qu’aucune justification précise ne soit apportée. Seul Dogan Yurdakul, directeur de l’information d’OdaTV âgé de 66 ans, a été remis en liberté le 22 février pour des raisons de santé. Il a déclaré se sentir à demi soulagé après une année difficile, mais que ce soulagement ne serait complet qu’une fois ses confrères libérés. La prochaine audience du procès se tiendra le 12 mars 2012. Le parquet de Silivri (nord d’Istanbul) vient enfin d’annoncer la fin du maintien à l’isolement de Mustafa Balbay, journaliste de Cumhuriyet arrêté le 6 mars 2009, et de Tuncay Özkan, propriétaire de la chaîne Kanaltürk et président d’un parti politique, arrêté le 23 septembre 2008. Tous deux accusés d’« appartenance à l’organisation terroriste présumée ‘Ergenekon’ », ils étaient à l’isolement total depuis 369 jours à la prison de haute sécurité de Silivri. Ils partagent désormais leur cellule avec des journalistes accusés dans le procès OdaTV. La Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a récemment adressé deux questions au gouvernement turc concernant le traitement de Tuncay Özkan. Les autorités ont jusqu’au 10 avril 2012 pour expliquer comment la durée de la détention provisoire du journaliste peut être compatible avec l’article 5 de la Convention européenne des droits de l’homme, qui prévoit un jugement dans un « délai raisonnable » et la possibilité d’un recours contradictoire. Dans un dossier séparé, les avocats de l’éditeur et journaliste Ragip Zarakolu, emprisonné depuis plus de quatre mois, ont saisi la CEDH le 27 février 2012. Me Özcan Kiliç a précisé à Reporters sans frontières que son cabinet avait saisi la Cour pour violation des articles 3, 5, 10 et 13 de la Convention par les autorités : d’après lui, celles-ci ont exposé le journaliste à des conditions d’interrogations difficiles assimilables à de mauvais traitements, l’ont emprisonné sans justification plausible, ont porté atteinte à son droit à la liberté d’expression et l’ont privé de recourt efficace à la justice. Aucun acte d’accusation formel n’a encore été présenté à Ragip Zarakolu, arrêté le 28 octobre 2011. Lors des premiers interrogatoires, le journaliste s’est vu reprocher d’avoir signé des chroniques pour le quotidien Özgür Gündem, d’avoir assisté à l’inauguration de l’Académie politique d’Istanbul, liée au parti légal pro-kurde BDP, et d’avoir « trop » voyagé à l’étranger, ce qui sous entendrait qu’il y a pris part à des activités de soutien à la rébellion armée du PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan). Le journaliste partage désormais sa cellule de la prison de haute sécurité de Kocaeli (sud d’Istanbul) avec son fils Deniz Zarakolu, incarcéré le 5 octobre 2011 dans le cadre de la même enquête, et avec d’autres détenus. C’est dans la même prison que se trouvent la plupart des hommes, tels qu’Ömer Celik, Ramazan Pekgöz et Sadik Topaloglu, parmi les journalistes et employés de médias pro-kurdes arrêtés lors de la rafle du 20 décembre 2011. Les femmes, dont Zeynep Kurtay, Nahide Ermis et Semiha Alankus, sont quant à elles incarcérées dans la prison de Bakirköy (Istanbul). Après plus de deux mois passés en prison, tous attendent de savoir enfin de quoi ils sont accusés. - Lire le rapport d'enquête de Reporters sans frontières sur l'affaire Sik et Sener (juin 2011): "Un livre n'est pas une bombe!" - Lire le rapport de la mission internationale conjointe en Turquie en novembre 2011 (en anglais): "Set journalists free!" (Photo: AFP / Adem Altan)
Publié le
Mise à jour le 20.01.2016