Un début d’année marqué par des violations de la liberté de l’information dans “la plus grande démocratie du monde”

Reporters sans frontières s’inquiète de la série de violations de la liberté de la presse et des attaques à l’encontre de journalistes perpétrées depuis le début de l’année 2012. “Nous appelons le pouvoir central à réagir le plus rapidement possible aux abus des autorités ou potentats locaux à l’égard de la presse. Il est également essentiel que les autorités renoncent à leur politique de surveillance d’Internet, à la fois disproportionnée et dangereuses pour la liberté d’expression”, a déclaré l’organisation. Une volonté de contrôle du Net disproportionnée Les autorités se sont engagées dans une escalade dans la censure du Net. Le juge de la Haute Cour de New Delhi a déclaré, le 12 janvier 2012, qu’il n’hésiterait pas à ordonner le blocage total des sites refusant de supprimer certains contenus “offensants”, “comme en Chine”. “Cette déclaration ne fait que confirmer nos craintes, le gouvernement indien a pris depuis quelques mois des initiatives inquiétantes en matière de liberté du Net. En exigeant des sites qu’ils suppriment tout contenu “choquant”, les autorités leur confient une mission impossible. Certains d’entre eux pourraient opter pour la facilité, en bloquant leur accès aux visiteurs d’Inde (identifiés par adresse IP), ou en instaurant un filtrage disproportionné. Nous mettons en garde le régime contre toute législation liberticide, et nous rappelons que le rapporteur des Nations unies sur la liberté d’expression, Frank la Rue, s’est prononcé contre toute régulation abusive sur le Net”, a déclaré l’organisation. La Haute Cour de New Delhi a été saisie par Google Inde, suite à la convocation de 21 sites Internet (parmi lesquels les branches indiennes de Facebook, Google, et Yahoo!) par un tribunal civil, le 23 décembre 2011, qui avait ordonné la suppression des contenus “obscènes” et “lascifs”, avant le 6 février 2012. En tant que filiale distributrice de Google Inc, Google Inde a avancé qu’elle n’a pas la main sur tous les contenus postés sur Google, Youtube, Orkut, et Blogger en Inde. De plus, l’opération est humainement impossible. A titre d’exemple, 48 heures de vidéo sont mises en ligne chaque minute sur Youtube. Le filtrage des contenus choquants est un sujet récurrent depuis déjà plusieurs mois. Le ministre des Télécommunications, Kapil Sibal, a déclaré, le 6 décembre dernier, que le gouvernement allait “mettre en oeuvre des directives et des mécanismes” pour que les contenus “insultants”, c’est-à-dire diffamatoires, pornographiques ou relatifs à des éléments illégaux, ne soient pas mis en ligne. Au cours du dernier trimestre 2011, des rencontres ont été organisées avec les dirigeants des filiales indiennes de Google, Facebook, Yahoo et Microsoft. Le ministre souhaitait leur imposer une politique d’autorégulation, c’est-à-dire que tous les contenus publiés sur leurs services soient désormais prévisualisés et approuvés avant publication. Les “IT Rules 2011”, adoptées en avril dernier, imposent déjà aux entreprises du Net le retrait de tout contenu “interdit” dans les 36 heures suivant la notification par les autorités. Les autorités ont d’ores et déjà sévi contre plusieurs sites, notamment celui du caricaturiste anti-corruption Aseem Trivedi, “Cartoons Against Corruption” (www.cartoonsagainstcorruption.com), qui rassemble des dessins humoristiques dénonçant la corruption. Dans un courrier du 27 décembre 2011, son hébergeur, Big Rock, l’a informé de la suspension du site, en raison de contenus insultants pour le drapeau et l’emblème indiens. Cette suspension fait suite à une plainte déposée par un avocat, R.P. Paney, qui s’était adressé au département criminel de Bombay. La police avait ordonné le retrait de ces dessins “obscènes” à Big Rock, qui n’a pas souhaité commenter sa décision de bloquer la totalité du site. Le State Emblem of India Act (2005) interdit tout usage de l’emblème national, délit passible de deux ans de prison ou de 5 000 roupies. Le caricaturiste a déclaré qu’il continuerait à dénoncer la corruption et il transféré ses dessins vers un nouveau site. Les fabricants de mobiles forcés de coopérer avec les autorités ? The Wall Street Journal a révélé, fin octobre 2011, que la société canadienne Research In Motion (RIM) avait installé à Bombay un “centre de surveillance”. Les autorités peuvent transmettre des requêtes à ce centre, géré par RIM, afin d’obtenir les messages décryptés échangés par des utilisateurs “suspects” via le service de messagerie BlackBerry Messenger. La société a déclaré qu’il s’agissait d’un travail au cas par cas, et que le service de messagerie BlackBerry Enterprise Service (BES) n’était pas concerné. Reporters sans frontières met en garde les autorités indiennes contre tout abus et rappelle le droit des usagers à la protection de leurs communications privées et de leurs données personnelles. Censure de la presse et attaques de journalistes Depuis octobre 2011, cinq journaux de l’Etat du Jammu-et-Cachemire, Kashmir Times, Greater Kashmir, Rising Kashmir, Buland Kashmir et Ethlaata sont privés de publicité publique. Suite à une décision du ministère de l’Intérieur prise en raison de leur ligne éditoriale prétendument hostile au pays, plus de trente ministères de l’Union et unités du secteur public se sont vu ordonner l'arrêt immédiat de toute publicité et soutien financier en faveur de ces publications. Les médias du Jammu-et-Cachemire font face à un durcissement de la part des autorités depuis leur couverture des manifestations de l’été 2010, jugée provocatrice. Par ailleurs, le 7 janvier 2012, à Chennai, dans le Tamil Nadu, les bureaux du bi-hebdomadaire tamoul Nakkheeran, qui avait publié un article sur la direction du parti All India Anna Dravida Munnetra Kazhagam (AIADMK), ont été attaqués par des partisans. Armés de bâtons et de bouteilles, ils ont notamment endommagé des véhicules du journal. Anbumani et Sikavumar, respectivement informaticien et agent de sécurité du journal, ont été blessé durant l’attaque. Le rédacteur en chef, Gopal, a déclaré que la police était présente au moment de l’incident. Des membres de ce même parti politique ont également brûlé des exemplaires du magazine à divers endroits de l’Etat du Tamil Nadu. Par ailleurs, l’approvisionnement en eau des locaux du journal a également été coupée. Dans les Etats du Chhattisgarh et du Madhya Pradesh, des potentats locaux ont fait pression sur des opérateurs du câble, les forçant à bloquer des chaînes de télévision qui diffusent des informations négatives à leur sujet. Le 19 décembre 2011, la Cour suprême a dû intervenir pour que Etv Madhya Pradesh/Chhattisgarh, bloquée par les opérateurs locaux, puissent émettre à nouveau. Cette chaîne privée avait été retirée des ondes le 11 décembre, suite à la diffusion d’un reportage évoquant l’influence de Raman Singh, chef du gouvernement local, dans l’attribution de concessions minières dans l’Etat voisin du Madhya Pradesh. Les opérateurs ont déclaré que les directives provenaient de hauts responsables du gouvernement. Au cours d’une conférence de presse, Raman Singh avait, en outre, menacé ceux qui publieraient et répandraient cette information. De son côté, la chaîne a rejeté les allégations de chantage au gouvernement pour obtenir davantage de revenus publicitaires. Dans les Etats du Maharashtra, de l’Uttar Pradesh et du Karnataka, les opérateurs du câble subissent des pressions similaires. Au Chhattisgarh, le journal Patrika a fait l’objet de pressions de la part du gouvernement, qui souhaite voir supprimé un reportage sur Raman Singh et ses proches. Des membres du parti majoritaire ont également brûlé des exemplaires de Patrika. Suite à la parution du reportage, entre 40 et 50 plaintes ont été déposées contre le journal. A Dantewada, Bappi Ray, journaliste pour la chaîne Sahara Samay, est harcelé par les autorités après avoir interviewé un paysan battu par le percepteur du district, Dr. OP. Choudhary, et contre lequel a porté plainte. Enfin des pressions politiques ont également conduit, le 9 décembre 2011, à la censure de deux chaînes marathi, IBN Lokmat et Star Majha, à Nashik et en partie à Mumbai (Maharashtra), qui avaient diffusé un reportage sur le ministre des Travaux publics, Chhagan Bhujbal, au sujet de l’attribution d’un contrat à une société ayant financièrement contribué à sa fondation. Crédits Photo: Demotix, Deccan Chronicle
Publié le
Updated on 20.01.2016