Trois journalistes libérés mais les problèmes persistent à l'est du Congo-Kinshasa

Près de deux semaines après son arrestation, l'animateur de Radio Liberté Kashigwe Binjamin, dit Pilipili Kasai, a été remis en liberté provisoire dans la soirée du 26 mai 2012. Bien qu'il ait présenté ses excuses, il ignore si les poursuites pénales initiées à son encontre par la justice militaire sont abandonnées ou maintenues. Malgré la restitution du matériel de Radio Liberté sur décision de l'auditeur militaire (procureur) en charge de l'affaire, Charles Kibenga, la reprise des émissions de la station est conditionnée par la levée de la suspension temporaire de trois mois ordonnée par le maire de Butembo (Nord-Kivu), M. Sikuli Uvasaka. "Nous sommes actuellement en pourparlers avec des observateurs et des journalistes, et nous allons apprécier la levée ou non de l'interdiction temporaire d'émettre de la radio", a indiqué à Reporters sans frontières, le maire de Butembo, Théodore Sikuli Uvasaka, tout en restant évasif sur une date effective. "Nous saluons ces deux gestes de conciliation à l'égard de la profession mais Kashigwe Binjamin reste en sursis. Nous exprimons par ailleurs des réserves quant à l'avenir de la Radio Liberté qui reste suspendue pour trois mois. Au lieu de recourir aux interdictions et aux arrestations, les autorités politiques et militaires de Butembo doivent approfondir le dialogue engagé avec les journalistes afin de trouver une solution à cette situation dangereuse pour la liberté de la presse, dans une région qui a un besoin vital d'informations", a déclaré Reporters sans frontières. Le 13 mai 2012, Radio Liberté a été suspendue sur ordre du maire de Butembo qui l'accusait de transmettre des informations de nature à démoraliser les forces armées. Au même moment, le journaliste Kashigwe Binjamin a été arrêté à son domicile pour deux interviews qu'il avait menées une semaine plus tôt, dans lesquelles deux chefs militaires rebelles annonçaient la reprise des combats. Abandon des poursuites pénales pour les deux journalistes du Kisangani News Reporters sans frontières prend acte par ailleurs de la remise en liberté de Sébastien Mulamba et Mbuyi Mukadi, respectivement éditeur et directeur de publication du Kisangani News, le 23 mai dernier. Les deux journalistes poursuivis pour diffamation auront passé quinze jours à la prison centrale de Kisangani. Le député Alphonse Awenze, impliqué dans l'article de presse litigieux, a finalement retiré sa plainte au profit d'un arrangement à l'amiable. "Si nous sommes bien sûrs satisfaits que les deux journalistes aient retrouvé la liberté, nous tenons à rappeler qu'ils n'auraient jamais du passer un seul jour en prison. Le recours à la privation de liberté pour des délits de presse est une réponse disproportionnée et dangereuse, qui encourage l'intimidation des médias. Nous encourageons les autorités à dépénaliser la diffamation, et les parties à recourir le plus souvent possible à l'autorégulation", a déclaré l'organisation. ----- 15.05.2012 - Deux semaines dans l'est de la RDC : l’information en danger Reporters sans frontières s’inquiète de la multiplication des cas d'entraves à la liberté d'informer recensés dans les régions à l'est de la République démocratique du Congo, au cours des deux semaines. En quinze jours, une radio a été fermée manu militari, onze journalistes ont été interpellés, dont trois sont toujours détenus, et des menaces ont été proférées à l'encontre de deux journalistes. Au Nord-Kivu, des autorités locales hostiles aux médias Le 13 mai 2012 au matin, la radio Liberté, située à Butembo dans la province du Nord-Kivu, a été fermée pour trois mois, sur ordre du maire de la ville. Les neufs journalistes présents sur les lieux ont été arrêtés par l'Agence nationale de renseignement (ANR), tandis que l'animateur Kashigwe Binjamin Pili Pili avait été arrêté plus tôt à son domicile. "Nous sommes choqués par cette décision arbitraire de fermer la station, alors que les habitants ont un besoin vital d'informations en ces temps de grande insécurité. De quel droit se prévaut une autorité exécutive locale pour se substituer à la justice et imposer le verrouillage d'une radio ? Au nom de quelle procédure, cette même autorité procède-t-elle à l'interpellation de l'ensemble des journalistes qui y travaillent ? Depuis quand les agents de l'ANR opèrent-ils à des fins privées et partisanes, au mépris des lois ? Consternés par ces abus de pouvoir, nous demandons la libération de l'animateur encore détenu, et la réouverture immédiate de la radio", a réagi Reporters sans frontières. Il est aux alentours de sept heures, lorsque des agents de l'ANR ainsi que des forces de police et de l'armée (FARDC) pénètrent dans les locaux de la station Liberté, propriété de Jean-Pierre Bemba. Ils viennent exécuter l'ordre du maire d'arrêter les émissions. Les forces de sécurité agressent les journalistes présents avant de les emmener de force dans les locaux de l'ANR, dans le quartier de Furu. L'émetteur de la radio, le groupe électrogène ainsi que les téléphones portables sont confisqués. En début d'après midi, les habitants du quartier de Furu, informés par les médias locaux, se rassemblent devant les bâtiments de l'ANR pour protester contre l'interpellation des journalistes. Ceux-ci sont finalement relâchés, à l’exception de l'animateur Kashigwe Binjamin, qui est gardé à vue par la police criminelle. L'affaire fait suite à l'émission matinale "Animation Volcan" du 7 mai 2012, présentée par Kashigwe Binjamin, lequel interviewe, par téléphone, le général La Fontaine et le colonel déserteur Kahasha, qui combattent l'armée régulière dans les territoires de Lubero et Rutshuru, au sud de Butembo. Par un arrêté en date du 12 mai 2012, le maire de Butembo juge que les deux entretiens constituent "une campagne de dénigrement du gouvernement de la RDC et de démoralisation des troupes loyalistes ; ce qui constitue une infraction d'atteinte à la sûreté de l'Etat". Il exige alors la suspension temporaire de la station pour une durée de trois mois. Selon les sources de Reporters sans frontières, l’ordre de fermer la station pourrait émaner du gouverneur de la province Nord-Kivu, Julien Paluku, farouche adversaire des médias. Dix jours plus tôt, le gouverneur avait adressé plusieurs menaces à l'égard de la journaliste de Radio Okapi, Gisèle Kaj Kaung, l'accusant d'accointances avec les mouvements rebelles. Suite à un reportage diffusé le 30 avril 2012, pour lequel la journaliste avait recueilli des témoignages des populations locales et de l'ANR indiquant le contrôle de certaines localités par des soldats mutins et la fuite d’habitants vers la frontière rwandaise, le gouverneur avait accusé la journaliste de partialité. "Dans une région en proie à la violence généralisée, où agit une rébellion armée, nous appelons le gouverneur à la retenue. Les responsabilités que lui confère ses fonctions imposent à M. Paluku de protéger les journalistes dans l'exercice de leur métier, non d'entretenir la situation d'insécurité dans laquelle ils sont contraints d'évoluer, en calomniant tel ou tel professionnel de l'information", a déclaré Reporters sans frontières. Selon Journalistes en danger, organisation partenaire de Reporters sans frontières, le discours de M. Paluku, dans le climat de violence actuel, équivaut "à un appel au meurtre" de la journaliste Gisèle Kaj Kaung. C'est la deuxième fois que cette journaliste est menacée directement par Julien Paluku, qui, en 2008, avait accusé la reporter d'être la concubine d'un ancien leader de la rébellion, Laurent Nkunda. Dans la Province-orientale, arrestation de deux journalistes accusés de diffamation Dans la Province-orientale, à Kisangani, le 9 mai 2012, Sébastien Mulamba et Mbuyi Mukadi, respectivement éditeur et directeur de publication du journal Kisangani News, ont été arrêtés par les services de renseignement de la police, alors qu'ils se rendaient à un rendez-vous avec le député Alphonse Awenze. Après 48 heures passées dans les locaux de la police, ils ont été écroués à la prison centrale de Kisangani. "Sans juger le fond de l'affaire, nous regrettons amèrement que deux journalistes soient incarcérés pour avoir exercé leur profession. Nous condamnons cette détention qu'aucune procédure légale et judiciaire n’autorise. Nous demandons la remise en liberté immédiate des deux journalistes, afin qu'ils puissent préparer leur défense dans le cadre d'un procès impartial", a déclaré Reporters sans frontières, qui poursuit son engagement en faveur de la dépénalisation des délits de presse. Il est reproché aux deux journalistes la publication le 15 avril 2012 d'un article intitulé, "Folie du pouvoir : l'honorable Awenze dépouille M. Lokadi de sa femme Ekodi Liliane" dans lequel M. Mulamba évoquait la relation extra-conjugale du député Alphonse Awenze et de Mme Ekodi. Le député a porté plainte pour "diffamation" et "dénonciation calomnieuse" contre les deux journalistes. Or, paradoxalement, avant leur arrestation, les deux journalistes avaient accordé à M. Awenze la publication d'un droit de réponse à l’article contesté, et ce avant le 15 mai 2012. Si les deux journalistes sont déférés devant le Parquet, ils risquent jusqu'à trois ans de prison. Au Sud-Kivu, agression d'un journaliste par des individus armés Après avoir reçu des menaces de mort par téléphone pour des informations qu'il aurait divulguées, David Mambo Munyaga, directeur de la radio rurale Ondese FM, à Kiliba (Sud-Kivu), a été agressé, le 30 avril 2012, dans une embuscade tendue par trois individus armés et masqués alors qu'il rentrait d'un reportage, avec son confrère Malega Muyuku. Les deux journalistes ont réussi à s'enfuir en moto. M. Munyaga a porté plainte afin que soient identifiés l'auteur des menaces téléphoniques ainsi que ses trois agresseurs. Craignant pour sa vie, il est contraint de vivre dans la clandestinité. Reporters sans frontières dénonce le climat d'insécurité qui règne dans cette région, et demande aux autorités locales de tout mettre en œuvre pour que cessent rapidement menaces et agressions à l'égard des journalistes. Photo: Vive la liberté de la presse au Congo-Kinshasa (AFP)
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Mise à jour le 20.01.2016