Trois journalistes condamnés à la prison à vie

Le 5 novembre 2013, vers 2 heures du matin, la 10e chambre de la Cour d’assises d’Istanbul a rendu son verdict contre vingt-neuf prévenus accusés d’appartenance au Parti communiste marxiste-léniniste (MLKP), considéré comme terroriste et illégal en Turquie. Trois journalistes, reconnus coupables d’être des cadres dirigeants du parti et d’avoir « tenté de renverser l’ordre constitutionnel par la violence », ont été condamnés à la prison à vie : l’ancienne directrice de publication d’Özgür Radyo Füsun Erdogan, le chroniqueur de l’hebdomadaire Atilim Bayram Namaz, et son rédacteur en chef Ibrahim Cicek. Une peine de sept ans et six mois de prison a été prononcée contre le directeur de publication d’Atilim, Sedat Senoglu. « Ces condamnations d’une extrême sévérité viennent clore un procès entaché par des violations des droits de la défense et le prolongement insupportable de la détention provisoire des principaux suspects, a déclaré Reporters sans frontières. Malgré la grave détérioration de son état de santé, Füsun Erdogan aura dû passer plus de sept ans en prison avant d’être fixée sur son sort, tout comme Bayram Namaz : où est la présomption d’innocence ? Certaines demandes essentielles de la défense sont restées lettre morte : pourquoi la cour a-t-elle toujours refusé d’expertiser les principaux éléments à charge, des documents fournis par la police, de manière à vérifier leur authenticité ? Pourquoi les forces de l’ordre n’ont-elles pas été en mesure de prouver leur récit des interpellations, contesté par les prévenus ? » « Nous appelons la justice à prendre en compte tous ces éléments en appel et à réexaminer l’affaire en toute impartialité. Mais au rythme de la justice turque, cela prendra du temps. En attendant, les journalistes doivent immédiatement être remis en liberté conditionnelle », a poursuivi l’organisation. Du fait du rôle dirigeant qui leur est imputé, les journalistes condamnés à la prison à vie sont en outre considérés comme responsables d’environ cent cinquante actions du MLKP – ce qui leur vaut une condamnation supplémentaire à près de 3 000 ans de prison chacun. Selon l’acte d’accusation, ils ont été arrêtés en septembre 2006 dans le village d’Ocakli (Ouest), où ils préparaient le quatrième congrès de l’organisation et où des armes à feu auraient été retrouvées. D’après Füsun Erdogan, il s’agit d’une mise en scène : elle affirme avoir été arrêtée avec son mari, Ibrahim Cicek, au sortir du domicile d’une collègue dans une autre ville. La Cour européenne des droits de l’homme a déjà condamné la Turquie pour le prolongement excessif de la détention provisoire de Bayram Namaz. En juillet 2013, la Cour constitutionnelle a estimé que la limite de 10 ans de détention provisoire, fixée par la loi antiterroriste, était trop large. Elle a donné au gouvernement un an pour y remédier. Malheureusement, force est de constater que la pratique judiciaire n’a guère évolué pour l’instant. Dans une lettre adressée à Reporters sans frontières début 2013, Füsun Erdogan décrivait les conditions de son arrestation, de sa détention et les multiples vices de procédure qui ont caractérisé l’instruction (télécharger la lettre, en anglais). « J’ai passé deux ans en prison avant même de savoir pourquoi j’étais arrêtée », rappelait-elle, avant de souligner la faiblesse du dossier d’accusation et son état de santé déclinant : « tension élevée, hépatite B, kystes à la poitrine, myopie croissante (…), cancer de la thyroïde »… Le représentant en Turquie de Reporters sans frontières a assisté à toutes les dernières audiences du procès en compagnie de délégués de la plate-forme « Liberté aux Journalistes » (GÖP), des syndicats turcs TGS et TGC, de la Fédération européenne des journalistes (FEJ), et d’autres observateurs locaux et internationaux. (Photo: Bianet)
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Updated on 20.01.2016