Thaïlande

Depuis l'arrivée au pouvoir du nouveau Premier ministre Yingluck Shinawatra en juillet 2011, la situation de la liberté d’expression en ligne s’est dégradée. Le recours abusif à la loi sur le lèse-majesté, instrumentalisée politiquement, conduit à la multiplication des poursuites et au renforcement de la censure. La condamnation de ”Uncle SMS” a mis le feu aux poudres et suscité de nombreuses réactions dans le pays et à l’étranger. Le gouvernement a oublié ses promesses d’amender l’article 112 du Code pénal.

Le bilan peu glorieux du nouveau gouvernement en matière de liberté d’Internet Le Premier Ministre Yingluck Shinawatra avait affirmé, en prêtant serment le 10 août 2011, que "le crime de lèse-majesté ne (devait) pas (être) utilisé de façon inappropriée”. Une déclaration contredite le 26 août 2011 par le vice-Premier ministre Chalerm Yubamrung, qui a fait de la lutte contre le crime de lèse-majesté sa priorité. Depuis son arrivée au pouvoir, le gouvernement du Premier ministre Yingluck Shinawatra se montre pire que son prédécesseur en terme de filtrage du Web. Le ministre de l’Information et de la Communication, Anudith Nakornthap, a revendiqué, à partir de sa prise de fonction, le blocage de plus de 60 000 pages web, en seulement un mois, contre 70 000 les trois années précédentes. Preuve selon lui de la loyauté du gouvernement envers le roi. Selon le Bangkok Post, l’augmentation du nombre d’URL bloquées est liée à l’usage de plus en plus courant des réseaux sociaux et à leur capacité de diffusion de l’information. D’après le ministre, alors qu’auparavant le ministère demandait aux fournisseurs d’accès à Internet (FAI) de bloquer des sites sur ordre judiciaire, il demande désormais directement aux FAI et aux directeurs de sites hébergés à l’étranger de fermer les sites ou de les rendre inaccessibles, afin que le contenu “dangereux” ne soit plus accessible aux Thaïlandais qui vivent à l’étranger. Le ministre a tenu ces propos dans le cadre de l’inauguration, le 1er décembre 2011, du Centre opérationnel de la Cyber Sécurité (CSOC). Selon des photocopies de documents officiels communiqués par le Kwanravee Wangudom Institute, du départment Human Rights and Peace Studies de l'université Mahidol, entre janvier et octobre 2011, 122 affaires de lèse-majesté ont été traitées par les tribunaux d'instance (qui ont poursuivi ou pas), huit par des cours d'appel et trois par la Cour suprême. Le Premier ministre adjoint, Chalerm Yubamrung, a annoncé le renforcement de la surveillance du Net au nom du lèse-majesté, avec le but de la rendre effectif 24 heures sur 24. Le gouvernement aurait l’intention d’investir 10 millions d’euros dans le filtrage, afin de bloquer les sites de lèse-majesté. Autre exemple du caractère disproportionné du lèse-majesté et de ses dérives : les autorités ont fait savoir que le simple fait, sur Facebook, de cliquer sur les boutons “like” ou “share” liés à du contenu potentiellement en violation du lèse-majesté pouvait conduire à des poursuites judiciaires. La chaîne sans fin des poursuites judiciaires contre des net-citoyens pour lèse-majesté Le 8 décembre 2011, le blogueur Joe Gordon a été condamné par le tribunal de Bangkok à deux ans et demi de prison ferme, accusé de crime de lèse-majesté pour avoir traduit des passages de la biographie interdite du roi Bhumibol Adulyadej (“Le roi ne sourit jamais”, de Paul Handley) sur son blog. Cet Américain né en Thaïlande a plaidé coupable, espérant bénéficier de la grâce royale. Le cas d’Ampon Tangnoppakul, surnommé “Uncle SMS”, condamné le 23 novembre 2011 à vingt ans de prison pour des SMS “insultants à l’égard des monarques”, mais qu’il nie avoir envoyés, a suscité de vives réactions dans le pays. C’est la première fois que la presse thaïe couvre le sujet en profondeur. Des condamnations internationales ont aussi vu le jour, notamment de la part des Etats-Unis et du Haut-Commissariat aux droits de l’homme des Nations unies, jugeant que la loi sur le lèse-majesté avait un “effet glacial” sur la liberté d’expression. Le procès de la rédactrice en chef du site d’information Prachatai, Chiranuch Premchaiporn, plus connue sous le nom de Jiew, a repris le 14 février 2012 à Bangkok. Les cinq témoins présentés par la défense ont été auditionnés par la cour d’assises de la capitale, qui a annoncé, le 16 février, que le verdict serait rendu le 30 avril 2012. Accusée de violation de l’article 15 du Computer Crimes Act et du paragraphe 112 du Code pénal, Chiranuch Premchaiporn risque jusqu’à vingt ans de prison pour des commentaires insultant envers la monarchie postés sur le site Prachatai, et qu’il lui est reproché de ne pas avoir supprimés assez rapidement. (Lire les précédents communiqués de Reporters sans frontières au sujet de cette affaire). Ce procès met en lumière la responsabilité des intermédiaires techniques. Les cinq témoignages de la défense ont joué en faveur de Jiew, selon son avocat. A l’issue de l’audience du 14 février, la directrice de Prachatai a fait part à Reporters sans frontières de sa satisfaction, les témoins présentés par la défense ayant pu être entendus par la cour. Somyot Prueksakasemsuk, ancien rédacteur en chef du journal Voice of Thaksin, interdit depuis 2010, est quant à lui en détention provisoire depuis sept mois pour "insulte à la monarchie". Plusieurs net-citoyens sont toujours emprisonnés pour des crimes de lèse-majesté. Surapak Phuchaisaeng est en attente de son jugement pour des messages postés sur Facebook. Thanthawut Thaweevarodomkul a été condamné, le 15 mars 2011, à treize ans d’emprisonnement pour des articles publiés sur un site web lié aux “Chemises rouges”, Nor Por Chor USA. Norawase Yotpiyasathien, étudiant et blogueur, arrêté le 5 août 2011, a finalement été libéré sous caution trois jours plus tard. Akechai Hongkangwarn et Wiphat Raksakunthai sont également en liberté surveillée dans l’attente de leur procès. Le débat sur le lèse-majesté s’envenime autour de “Campaign 112” La Commission vérité pour la réconciliation (TRCT), mise en place sous le gouvernement précédent, a préconisé en janvier 2012 une réforme de la loi contre le lèse-majesté, considérant que les textes sont “trop sévères”. Le puissant chef de l’armée, le général Prayut Chan-ocha, a estimé que le débat n’avait pas lieu d’être et incité les critiques à quitter le pays. Une initiative académique pour la révision du lèse-majesté a donné naissance à une véritable tempête politique. Composé de sept universitaires de Thammasat, spécialistes du droit, le groupe Nitirat a commencé, malgré les pressions, à collecter des signatures, début 2012, afin de déposer une demande d’assouplissement de la législation protégeant la monarchie, ce qui avait provoqué la colère du chef de l’armée. L’université avait interdit au groupe d’utiliser ses locaux pour travailler sur ce sujet, en évoquant le risque de violences, puis était revenue sur sa décision. Cette interdiction avait suscité de nombreuses tensions, des groupes d’étudiants manifestant pour ou contre les activités du groupe. 224 universitaires du monde entier, parmi lesquels Noam Chomsky et Paul Handley, ont rendu publique, début 2012, une lettre ouverte soutenant la proposition d’un amendement à la loi sur le lèse-majesté (article 112 du Code pénal) et le groupe Nitirat qui le pilote. L’article 112 est dénoncé comme “un puissant moyen de réduire au silence la dissidence politique”. Le gouvernement a pris ses distances vis-à-vis de cette initiative en déclarant ne pas vouloir toucher à l’article 112. La Chambre pourrait bloquer le débat même si le nombre de signatures requis était atteint. Censure géolocalisée La Thaïlande a été le premier pays à se féliciter de l’adoption, par Twitter, de nouvelles règles permettant de bloquer des contenus au niveau national. Le ministre de l’Information et de la Communication a déclaré qu’il travaillerait avec Twitter pour s’assurer que les tweets diffusés en Thaïlande respectent la loi locale. Les responsables de Twitter doivent donc s’attendre à de nombreuses demandes de retraits. A l’exception des questions liées à la monarchie, les médias sont relativement libres en Thaïlande. Mais la menace permanente de poursuites pour lèse-majesté et l’autocensure qu’elle génère ne cessent de s’accroître. Toute forme de dissidence peut désormais être interprétée comme déloyale à la monarchie. Le pays semble lancé dans une course sans fin pour la purification du web de tout contenu lié, de près ou de loin, au lèse-majesté. Une approche répressive vouée à l’échec et qui ne peut que diviser davantage la population et éroder la cohésion nationale.
Publié le
Updated on 20.01.2016