Thaïlande

Les autorités contrôlent de près la circulation de l'information sur Internet sous prétexte de protéger le roi et la famille royale. Cette censure touche des milliers de pages Internet et s'est transformée en outil politique. Une dizaine d'internautes sont actuellement poursuivis pour le crime de lèse-majesté. Le roi, un sujet tabou Discuter du roi et de la famille royale en Thaïlande peut s'avérer dangereux. Quiconque s'y risque ne manquera pas de se retrouver sous le coup de l'accusation de lèse-majesté. L’article 112 du code pénal prévoit une peine allant de trois à quinze ans de prison contre “toute personne ayant diffamé, insulté ou menacé le roi, la reine, l’héritier présomptif ou le régent”. Internet est contrôlé et surveillé par le ministère des Technologies de l’Information et de la Communication, qui procède aux blocages des sites jugés offensants, notamment ceux qui tombent sous le coup de l'accusation de lèse-majesté. Cependant, ce crime représente selon les autorités une atteinte à la sûreté du pays, l'armée et la police sont également impliquées. Le ministre de la Défense a ordonné en janvier 2010 à toutes les unités militaires de surveiller et de contenir toute action “subversive” contre la monarchie; en ligne ou lors de manifestations politiques. Selon le MICT, 16 944 URLs ont été bloquées en juillet 2009. Près de 11 000 concerneraient la sécurité nationale, 5 872 auraient un contenu inapproprié socialement ou culturellement et 72 affecteraient l'économie du pays. Si 71 sites d'informations proches des opposants appelés les “chemises rouges” ont été débloqués en avril 2009, le site Internet de l’organisation Freedom against censorship in Thailand (FACT) est rendu inaccessible dans le pays par certains des fournisseurs d’accès. Les administrateurs du site YouTube continuent de bloquer ou de retirer des vidéos jugées irrespecteuses envers le roi. Le gouvernement thaïlandais a levé en août 2007 l'interdiction, vieille de quatre mois, d'accéder au portail vidéo, une fois obtenue l'assurance par YouTube que les clips offensants envers le roi n'auront plus droit de séjour. Par ailleurs, la loi sur la cybercriminalité de 2007 accorde aux autorités le pouvoir de vérifier les informations personnelles des internautes sans contrôle judiciaire. Enfin la délation est encouragée. Des individus surveillent bénévolement les médias et Internet et signalent tout contenu “inapproprié” au Département de la Surveillance Culturelle. Près de 1,3 million de personnes auraient déja collaboré volontairement avec les censeurs. Les internautes peuvent signaler par téléphone tout site coupable de crime de « lèse-majesté ». Il suffit de composer le 1111, le numéro du cabinet du Premier ministre. Une dizaine d'internautes pris dans un cercle judiciaire vicieux Un net-citoyen est actuellement emprisonné. Le blogueur Suwicha Thakor a été condamné le 3 avril 2009 à dix ans de prison pour "crime de lèse-majesté", malgré l’absence de preuves à son encontre. Ni politique, ni militant, Suwicha Thakor dit ne jamais avoir critiqué le roi. Il a été arrêté en janvier 2009 par le Département d’enquêtes spéciales alors qu’il se trouvait chez des amis en province. L’adresse IP de son ordinateur indiquait que son domicile correspondrait à l’endroit depuis lequel des contenus jugés diffamatoires à l’égard du roi et son entourage ont été postés. Au moins une dizaine d'internautes sont sous le coup de poursuites judiciaires en vertu du crime de lèse-majesté. Parmi eux : Jonathan Head, correspondant britannique pour la BBC en Asie du Sud-Est, Giles Ji Ungpakorn, professeur de sciences politiques et les deux blogueurs Nat Sattayapornpisut et Praya Pichai. Quant à Tasaparn Rattawongsa, médecin à l’hôpital Thon Buri, Somchets Ittiworakul, Theeranan Wipuchan, ancienne cadre du groupe UBS Securities et Katha Pajajiriyapong, employé de la compagnie de courtage KT ZMICO, ils sont tous accusés d’avoir violé la section 14 de la loi sur la cybercriminalité de 2007 pour avoir posté en ligne "des informations fausses qui menacent la sécurité nationale". Les internautes avaient expliqué la chute de la Bourse de Bangkok en octobre dernier par l’état de santé du roi Bhumibol Adulyadej, hospitalisé depuis septembre 2009. Ces poursuites multiples sont aussi destinées à intimider d'autres internautes susceptibles de critiquer le roi et de les forcer à l'autocensure. D'autres net-citoyens ont été brièvement arrêtés ou interrogés mais il est difficile de les chiffrer exactement, car de nombreux cas ne se manifestent pas par peur de représailles. Quelques cas de Thailandais basés à l'étranger, et harcelés pour avoir évoqué la royauté en ligne, ont été signalés à Reporters sans frontières. L’autocensure sur la santé du roi Le roi Bhumibol Adulyadej est révéré par la population, il est considéré comme le garant de l'unité d'un pays habitué aux changements de gouvernements. Il a lui-même déclaré le 5 décembre 2005, à l'occasion de son anniversaire : "En réalité, je ne suis pas au-dessus de la critique…Car si vous dites que le roi ne peut être critiqué, cela veut dire que le roi n’est pas un homme." De graves inquiétudes pèsent sur l'état de santé du roi. La presse n'évoque pratiquement pas le sujet et s'autocensure, par peur d'être taxée de lèse-majesté, mais tout le monde y pense. The Economist avait été interdit dans le pays en janvier 2009 suite à la publication d'un article critiquant le fait que le recours à la lèse-majesté permet d'occulter un débat important sur la succession du roi et l’avenir politique du pays. La lèse-majesté apparaît comme une loi anachronique. La Thaïlande est l'un des derniers pays au monde à l'appliquer. Cependant, elle est plus que jamais au goût du jour car elle a été instrumentalisée par le pouvoir exécutif afin de réprimer les voix politiques discordantes. Les différents gouvernements, dont celui de Vejjajiva, ont accentué le filtrage d'Internet depuis le coup d'Etat de 2006. Ils ont eu de plus en plus souvent recours à l'accusation de lèse-majesté contre leurs critiques. La majorité de la population ne conteste pas cette loi. Par contre, sur le plan international, les autorités sont sur la défensive. Une "campagne pour éduquer les étrangers au crime de lèse-majesté" a été lancée en janvier 2009. La communauté internationale doit continuer à faire pression sur un pays qui souhaite conserver l'image positive que l'industrie du tourisme cultive. Le gouvernement thaï a annoncé, en janvier 2010, qu'il allait mettre en place un comité qui examinerait les accusations de lèse-majesté pour éviter des "abus". Si des améliorations ne se produisent pas rapidement, la Thaïlande risque fort de basculer de la catégorie “pays sous surveillance” vers celle d'“ennemi d'Internet”.
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Mise à jour le 20.01.2016