Table ronde sur la protection des journalistes dans les zones de combat

Déclaration orale – George Gordon-Lennox, Reporters sans frontières Monsieur le président, nous avons entendu déjà dans ce débat les expressions d’inquiétude que nous partageons à Reporters sans frontières concernant le travail des reporters de guerre. Effectivement, chaque année, plusieurs dizaines de journalistes sont tués en zones de guerre. Cette inquiétude croissante concerne le fait que les journalistes sont de plus en plus pris pour cibles. Notre président international, Gérald Sapey, ancien directeur de médias écrits et parlés bien connu en Suisse, peut vous le confirmer : il y a 20 ans, les reporters de guerre prenaient le risque d'être victimes d'un obus ou d'une balle perdue. Aujourd'hui, ils sont directement visés et risquent assassinat et enlèvement. Cette situation est dûe à un changement de nature des conflits. Il y a 20 ans, les guerres traditionnelles opposaient des armées "professionnelles" et la ligne de front était connue. Aujourd'hui, les belligérants sont multiples, pas toujours identifiés et la ligne de front est mouvante et souvent indéfinie. En Irak ou en Afghanistan, par exemple, les journalistes sont avant tout considérés comme des espions à éliminer ou comme monnaie d'échange. Le respect du journaliste en tant qu'observateur neutre et indépendant n'existe plus. Pour les combattants afghans, irakiens ou somaliens, le journaliste est avant tout un étranger qui soutient son gouvernement. Nous sommes également inquiets concernant les enlèvements et prises d'otages. On a beaucoup parlé des assassinats, mais il faudrait mettre en place des structures et des mécanismes qui s'activent rapidement en cas de prises d'otages. Cela n'existe pas. RSF est volontaire pour prendre la direction d'un tel projet. Le résultat de tout ceci est que les reporters de guerre sont de moins en moins nombreux et que des zones entières (Somalie, Gaza, RD Congo, sud de l'Afghanistan) ne sont plus couvertes ou pas suffisamment. On doit également rester vigilants sur le phénomène de l'embedding (incorporation) des journalistes. Cela a tendance à devenir la règle au lieu de l'exception. Aujourd'hui, certaines armées ne veulent plus parler aux journalistes s'ils ne sont pas embedded (USA, Israel notamment). Il faut renforcer la connaissance du travail des militaires par les journalistes et vice-versa. Le service militaire disparaît peu à peu et les jeunes journalistes qui arpentent les zones de conflits n'ont souvent jamais eu le moindre contact avec des militaires. Aucune connaissance de leur mode de fonctionnement, aucune connaissance de leur hiérarchie et donc un contact difficile. Les militaires français organisent des stages pour permettre aux jeunes reporters et aux militaires de se connaître un peu mieux et de faire preuve de moins de méfiance les uns vis à vis des autres. C'est une expérience qui pourrait se généraliser sous l'égide de l’ONU. Pourquoi pas des stages de sensibilisation au travail des journalistes en zones de guerre organisés par les Nations unies ? Plusieurs armées le font déjà, ainsi que des sociétés privés. Cela pourrait être intéressant d'avoir une approche plus internationale. Sur un plan plus institutionnel, il faut effectuer un vrai travail de suivi et d'implémentation de la résolution 1738 du Conseil de sécurité. Cette résolution qui réitère que les journalistes en zones de combat doivent être reconnus comme des civils et doivent être respectés et protégés en tant que tels est trop peu connue, même par les haut fonctionnaires des Nations unies ! Cette réalité questionne la capacité des Nations unies d’entreprendre un réel travail d'interpellation et de condamnation des Etats responsables de cette situation. Omerta, parodies d'enquêtes et absence de poursuite contre les suspects sont les caractéristiques principales de cette impunité qui ne fait que renforcer la capacité des belligérants de ne pas appliquer le droit international, notamment les Conventions de Genève. Selon Reporters sans frontières, cette situation, en plus de fragiliser l'autorité morale des règles établies, a tendance à semer la confusion dans les esprits par rapport à l'applicabilité du droit international. Il est donc plus que nécessaire de rappeler les principes qui ont présidé à l'adoption de cette résolution à New York en 2006 et appeler les protagonistes à leur respect. Nous pensons que c’est dans cette voie, plutôt de chercher à faire adopter par la communauté internationale de nouvelles normes, qu’il faut cheminer. Merci, Monsieur le Président
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Updated on 25.01.2016