RSF exhorte le gouvernement canadien à accueillir Chelsea Manning et à mieux protéger les lanceurs d’alerte

Reporters sans frontières (RSF) est consternée d’apprendre que la lanceuse d’alerte américaine Chelsea Manning s’est vue refuser l’entrée du territoire canadien en raison de ses antécédents judiciaires aux Etats-Unis. RSF demande au gouvernement canadien de l’autoriser à voyager mais aussi à prendre des mesures pour mieux protéger les lanceurs d’alerte au Canada.

Le 22 septembre, la célèbre lanceuse d’alerte Chelsea Manning a été interdite d’entrée au Canada par l’Agence des services frontaliers du pays. S’il n’est pas rare que des ressortissants étrangers se voient refuser l’entrée du pays en raison d’une infraction commise par le passé (par exemple, conduite en état d’ivresse), le cas de Chelsea Manning est en revanche révélateur du climat hostile qui règne dans le pays envers les lanceurs d’alerte. Cette interdiction d’entrée sur le territoire s’appuie par ailleurs sur une condamnation et une peine de prison que RSF, ainsi que d’autres groupe de défense de la liberté de la presse et de la liberté d’expression, ont de nombreuses fois dénoncées comme étant disproportionnées et injustes.


« RSF exhorte le gouvernement canadien à laisser entrer Chelsea Manning dans le pays et à améliorer de manière générale la protection apportée aux lanceurs d’alerte au Canada, déclare Margaux Ewen, responsable du plaidoyer et de la communication au bureau Amérique du Nord de RSF. Lancer l’alerte pour dénoncer des irrégularités commises par des gouvernements est un acte d’intérêt public qui doit être protégé dans toute société se disant démocratique, et cela concerne évidemment le Canada. »


Une protection inefficace pour les lanceurs d’alerte au Canada


De nombreux lanceurs d’alerte potentiels ont dû renoncer à révéler des irrégularités mettant en cause les autorités en raison des répercussions émotionnelles, financières et professionnelles qu’un tel acte pourrait avoir sur leur vie. Canadian Journalists for Freedom of Expression (CJFE), l’organisation locale partenaire de RSF, et le Centre for Free Expression de la Ryerson University ont en effet recensé ces dix dernières années de multiples cas de représailles envers les lanceurs d’alerte au Canada.


Le cas de Sean Bruyea, un ancien officier du renseignement canadien qui a développé un syndrome de stress post-traumatique après avoir servi pendant la Guerre du Golfe en 1991-1992, est symptomatique. Cet homme fut l’une des voix critiques contre le ministère des Anciens combattants en 2005, lorsque le gouvernement a introduit une nouvelle Charte des anciens combattants. Les représailles contre Sean Bruyea ont alors commencées. Des officiers qui s’occupaient de son suivi médical ont estimé que ses prises de position avaient été influencées par sa condition physique et ont communiqué sans autorisation des renseignements médicaux et personnels le concernant à des responsables politiques. Le Commissaire fédéral à la protection de la vie privée a estimé que Sean Bruyea et d’autres défenseurs des droits des vétérans avaient été les cibles d’une opération concertée de la part du ministère des Anciens combattants, dès l’année 2005. Afin de les décourager de continuer leur actions, les autorités avaient notamment bloqué les remboursements de certains de leurs frais médicaux.


Récemment, RSF et la CJFE ont également dénoncé les agissements de l’Office national de l'énergie, qui a eu recours à des enquêteurs privés pour identifier les sources d’un journaliste du National Observer. Cette chasse aux sorcières envers les sources d’un journaliste démontre le peu de considération des autorités vis-à-vis de l’action des lanceurs d’alerte au Canada.


En 2016, la CJFE avait attribué la note F (la plus mauvaise) au Canada pour ses mesures de protection des lanceurs d’alerte, estimant qu’elles n’étaient pas appliquées. « Le système judiciaire mis en place sous le gouvernement (de Stephen Harper) a été complètement inutile. Quant au gouvernement de Justin Trudeau, il n’a témoigné aucune volonté de le réformer, alors que seuls quelques changements mineurs pourraient en faire un système efficace à l’image de ceux expérimentés dans d’autres pays. Pire, le Canada ne dispose d’aucun système de protection des lanceurs d’alerte dans le secteur privé. Cela crée un climat où ceux qui sont témoins d’irrégularités sur leur lieu de travail, que cela soit dans le secteur public ou privé, ne sont non seulement pas encouragés à se manifester, mais craignent en plus, et à juste titre, que leur carrière ne vole en éclats s’ils le font. Sans les témoignages de ces personnes, la corruption pratiquée à l’échelle du gouvernement ou des entreprises reste un sujet trop peu connu de la population canadienne. »


En 2006, le Canada a adopté la Loi sur la protection des fonctionnaires dénonciateurs d'actes répréhensibles (LPFDAR). Selon cette loi, un employé du secteur public doit d’abord rapporter toute irrégularité à un haut fonctionnaire, lequel peut ensuite lancer une enquête qui peut prendre jusqu’à deux ans. Durant ce laps de temps, le lanceur d’alerte prend le risque que son identité soit révélée, les informations divulguées n'étant généralement connues que d'un nombre d’employés restreint. Auquel cas, il peut subir des représailles sur le plan professionnel : perdre son emploi ou même être mis sur une liste noire, sans que la LPFDAR ne lui procure aucune réelle protection.


Si le haut fonctionnaire enquêtant sur les faits découvre que le lanceur d’alerte a fait l’objet de représailles de la part de son employeur, l’affaire peut être transférée devant un tribunal. Le lanceur d’alerte doit alors prouver devant la justice que les agissements dont il a été victime étaient bel et bien des représailles suite à ses révélations. Une telle procédure implique généralement des frais juridiques coûteux, ce qui place le lanceur d’alerte dans une position très désavantageuse comparé à son employeur. Selon la CJFE, ce système est inefficace. Pour preuve, au Canada, jamais un lanceur d’alerte n’a obtenu réparation après avoir subi des représailles.


Le Canada est 22ème sur 180 pays dans le Classement mondial de la liberté de la presse publié par RSF en 2017.

Publié le
Updated on 05.10.2017