RSF demande à François Hollande d'aborder la “délicate” question de la liberté de la presse

A l’occasion de la visite officielle du président français au Caire le 6 août, Reporters sans frontières (RSF) lui adresse une lettre ouverte afin de lui demander d’aborder avec son homologue égyptien, la question de la liberté de l'information et la situation des journalistes emprisonnés.

M. François Hollande Président de la République française Palais de l’Elysée 55 Rue du Faubourg Saint-Honoré, 75008 Paris

Paris, le 4 août 2015 Objet : État de la liberté de l’information en Egypte Monsieur le Président de la République, A l’occasion de votre visite au Caire le 6 août, Reporters sans frontières, organisation internationale de défense de la liberté de l’information, attire votre attention sur l’état inquiétant de la liberté de la presse en Egypte. En novembre dernier, notre ONG vous avait déjà fait part de ses inquiétudes et avait regretté que la question des droits de l’homme, et plus précisément celle de la liberté de l’information, n’ait pas été mentionnée lors de votre déclaration conjointe à l’Elysée avec votre homologue égyptien Abdel Fatah Al-Sissi. A l’heure où Paris et Le Caire renforcent leurs liens amicaux et économiques, nous espérons que vous pourrez profiter de votre déplacement pour aborder avec le président égyptien la question cruciale de la liberté de la presse, notamment la situation des nombreux journalistes emprisonnés. Classé 158e sur 180 pays au Classement mondial 2015 de la liberté de la presse, l’Egypte est aujourd’hui l’une des plus grandes prisons du monde pour les journalistes, après la Chine, l’Erythrée et l’Iran. Pourtant, le 2 août dernier, le ministre égyptien des Affaires étrangères Sameh Choukri a assuré, lors d’une conférence de presse conjointe avec le secrétaire d’Etat américain John Kerry, qu’il n’y avait pas de journalistes en prison pour des raisons liées à l’exercice légitime de leur profession, précisant que tous les reporters détenus étaient impliqués dans des activités terroristes. L’argument fallacieux de “l’appartenance ou du soutien à une organisation terroriste” est en effet fréquemment utilisé pour museler les voix dissidentes en Egypte. Depuis l’accession au pouvoir du maréchal Sissi, le régime s'est lancé, au prétexte de lutter contre le terrorisme et par là même contre les frères musulmans, dans une guerre sans merci contre les journalistes qui ne suivent pas la ligne officielle. Ils sont ainsi nombreux à croupir en prison dans l’attente de leurs procès, lors desquels ils peuvent potentiellement être condamnés à de longues années de prison, voire à la prison à vie. Aujourd’hui, au moins 15 journalistes sont actuellement derrière les barreaux pour avoir en réalité simplement couvert des évènements et permis l’émergence d’un débat public. Il y a quelques jours, le second procès des journalistes d’Al-Jazeera lancé en février dernier, a été reporté pour la dixième fois. Mohamed Fadel Fahmy et Baher Mohamed, libérés provisoirement en février 2015, ainsi que leur collègue australien Peter Greste, expulsé vers son pays d’origine, sont accusés de soutien à une organisation terroriste et de diffusion de “fausses nouvelles”. Ils avaient été condamnés lors d’un premier jugement en juin 2014 à des peines allant de sept à dix ans de prison, avec six autres journalistes d’Al-Jazeera jugés par contumace. Bien que ce verdict ait été annulé par la Cour de cassation en janvier 2015, les trois journalistes ont passé plus de 400 jours en prison au grand dam de la communauté internationale et attendent toujours d’être fixés sur leur sort. Le photojournaliste freelance Mahmoud Abou Zeid, connu sous le pseudonyme de “Shawkan”, subit quant à lui l’une des plus longues détentions provisoires de l’histoire du pays en ayant déjà passé plus de 700 jours en prison sans qu’aucune charge officielle ne soit retenue contre lui. Arrêté en août 2013 alors qu’il filmait une manifestation, il n’a pu comparaître devant un juge qu’en mai 2015. Souffrant d’hépatite, le journaliste est dans un état critique, n’ayant pas accès à un traitement médical depuis la prison où il est retenu. Monsieur le Président, le musellement de la liberté de l’information et la répression des voix critiques ne favorisent pas la transition du pays vers la démocratie. La France, pays des droits de l’homme, ne peut négliger la cause de la liberté de la presse, liberté fondamentale à tout Etat de droit. En vous remerciant de l’attention que vous porterez à notre demande, nous vous prions d’agréer, Monsieur le Président, l’expression de notre très haute considération. Christophe Deloire, Secrétaire général
Publié le
Updated on 20.01.2016