RSF demande au roi de Jordanie d’abroger les dispositions liberticides de la nouvelle loi anti-terroriste

Le 12 juin 2014, Reporters sans frontières a écrit au roi Abdallah II de Jordanie afin de lui faire part de sa vive préoccupation concernant certains amendements apportés à la loi anti-terroriste de 2006, adoptés par le Parlement le 21 avril 2014 et publiés au Journal officiel le 1er juin dernier. Dans cette lettre, l’organisation précise qu’elle prend en compte les menaces sécuritaires qui pèsent sur le Royaume, notamment depuis les attentats meurtriers de 2005 à Amman, et a bien conscience que la crise syrienne a également d’importantes répercussions en matière de sécurité pour le pays du souverain. S’il est de la responsabilité du roi de veiller à la protection de l’ensemble de ses concitoyens, Reporters sans frontières rappelle - dans ce courrier - combien l’arsenal juridique mis en place pour lutter contre le terrorisme enfreint les engagements internationaux de la Jordanie en matière de respect des libertés fondamentales, notamment de liberté d’information. La loi anti-terroriste de 2006 contenait déjà un certain nombre de dispositions liberticides, en autorisant notamment la détention sans jugement de personnes suspectées de terrorisme. Elle permettait également à la cour de sûreté de l’Etat, composée de juges militaires, de juger des civils suspectés de terrorisme sur leurs intentions et non sur leurs actions. Depuis, les autorités ont souvent eu recours à l’argument de la lutte contre le terrorisme pour museler les voix dissidentes, violant les libertés individuelles et publiques des citoyens jordaniens. Elles n’ont en effet pas hésité à traduire des civils, parmi lesquels un certain nombre de journalistes, devant des tribunaux militaires. Ainsi, RSF cite l’exemple de Jamal Al-Mouhtaseb, rédacteur en chef de l’agence d’information en ligne Gerasa News et de l’hebdomadaire Al-Mir’aa, poursuivi en 2012 pour “incitation à la contestation du régime” et placé en détention provisoire pendant 21 jours. Ce journaliste avait été jugé par un tribunal d’exception, une procédure illégale au regard des engagements internationaux de la Jordanie, notamment l’article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques de 1966, signé en 1972 et ratifié en 1975. Dans sa lettre, RSF insiste sur le fait que les amendements publiés au Journal officiel le 1er juin dernier viennent renforcer cet arsenal déjà répressif, et ce de manière inquiétante. “Ces articles au phrasé très généraliste et vague laissent aux autorités judiciaires un grand pouvoir d’appréciation, avec le risque de décisions arbitraires que cela suppose. Certaines dispositions contenues dans ce texte risquent particulièrement d’entraver le travail des acteurs de l’information, qu’ils soient professionnels ou non, voire de conduire à leur arrestation et incarcération”, déclare Christophe Deloire, Secrétaire général de l’organisation. “Il est à craindre, en l’absence de définition claire et précise, que les autorités jordaniennes instrumentalisent la lutte contre le terrorisme pour museler des organisations de la société civile ou des médias”. L’article 3 (e) entend criminaliser “l’utilisation des technologies numériques, d'Internet ou de tout autre moyen médiatique - notamment la création de sites internet - pour organiser des attentats ou soutenir des groupes qui soutiennent ou financent le terrorisme" et prévoit une peine de prison supérieure à dix ans. Relayer ou publier des informations ayant trait à des groupes ou des activités terroristes dans un but d’informer l’opinion publique nationale (voire internationale) dans une mission d’intérêt public risque d’être considéré par ce nouvel article comme un potentiel soutien au terrorisme. Le paragraphe (b) de ce même article pénalise “tout acte exposant le pays à une agression, et qui porterait atteinte aux relations de la Jordanie avec un pays tiers”. Or il n’incombe nullement aux journalistes de protéger les relations diplomatiques d’un pays quel qu’il soit. Leur fonction consiste seulement à éclairer les citoyens sur la réalité. Cet article constitue clairement une entrave potentielle à la liberté de l’information, toujours sous couvert de la lutte contre le terrorisme. RSF cite l’exemple du journaliste Mwaffaq Mahadin, qui avait été incarcéré le 12 février 2012 pour “atteinte aux relations avec un Etat étranger, attisant le racisme, encourageant le renversement du gouvernement, et nuisant au prestige de l’Etat”, en réalité pour avoir critiqué la politique de coopération sécuritaire entre la Jordanie et les Etats-Unis sur la chaîne Al-Jazeera. RSF estime qu’en adoptant en l’état ce projet de loi, la Jordanie continue de déroger à ses engagements internationaux en matière de respect des droits de l’homme. “Il nous apparaît aujourd’hui important que ces dispositions soient précisées, afin que le travail d’information et de documentation des journalistes ou de tout autre citoyen ne tombe sous le coup de cette loi. Dans le cas contraire, il conviendrait qu’elles soient abrogées et que soit réouvert la discussion autour de cette loi anti-terroriste au vu des éléments exposés”, conclut Christophe Deloire.
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Updated on 20.01.2016