RSF demande au Président Thein Sein d'ouvrir le dossier des crimes contre la presse commis par la junte militaire

A l'occasion de la visite du président Thein Sein en France, les 17 et 18 juillet 2013, Reporters sans frontières interpelle le président birman par une lettre ouverte sur les crimes commis par la junte militaire à l'encontre des journalistes depuis 1962. Reporters sans frontières U Thein Sein Président de la République de l'Union du Myanmar Le 16 juillet 2013 Monsieur le Président, A l'occasion de votre visite à Paris, la première depuis votre accession à la présidence de la République du Myanmar, Reporters sans frontières souhaite attirer votre attention sur la question des crimes commis par la junte militaire à l'encontre des journalistes professionnels, des blogueurs et des cyber-activistes engagés dans une démarche d'information. Ce courrier a aussi pour objet de demander la création d’une Commission d'enquête dédiée à la lutte contre l'impunité des crimes à l'encontre des acteurs de l'information depuis 1962. Deux ans après les premières réformes en faveur de la liberté de la presse et de l'information, deux ans après la création d'une commission nationale pour les droits de l'homme et à l'approche du 25ème anniversaire du massacre du 8 août 1988, notre organisation de défense et de promotion de la liberté de l’information est inquiète de l'absence de travaux significatifs abordant l'impunité des crimes et des violations systématiques subies par les acteurs de l'information durant les années de répression. Si notre organisation, qui a figuré pendant plus de vingt ans sur une « liste noire » l’empêchant de travailler directement en Birmanie, n‘est pas en mesure de fournir une liste exhaustive des crimes commis durant cette période, nous avons recensé les cas de journalistes tués dans l'exercice de leur fonction par des hommes aux ordres de la junte ou morts des traitements qu'elle leur a fait subir en prison. Le 14 mai 1991, les autorités de Rangoun ont annoncé lors d'une conférence de presse que Ne Win, correspondant du journal japonais Asahi Shimbun, emprisonné depuis le 24 octobre 1990, était mort à l'hôpital d'une cirrhose du foie. L'armée l'avait accusé de sympathiser avec l'opposition, mais il n'avait jamais été formellement inculpé ni jugé. Un mois plus tard, le 11 juin 1991, Ba Thaw, dessinateur de presse également connu sous le nom de Maung Thaw Ka, mourrait en prison. Les autorités avaient affirmé que le journaliste était décédé d'une crise cardiaque. Sept ans plus tard, en août 1998, Saw Win, rédacteur en chef du quotidien Botahtaung, décédait lui aussi officiellement d'une crise cardiaque dans la prison de Tharrawady. Selon ses proches, Saw Win, qui avait été condamné à dix ans de prison en 1990, s'était en réalité vu refuser les soins médicaux dont il avait besoin. En septembre 1999, Thar Win, un photographe travaillant pour le journal gouvernemental Kyemon, est mort dans un centre de détention contrôlé par les services secrets. Peu de temps avant son arrestation, son journal avait publié par erreur une photographie du général Khin Nyunt à côté d'un article intitulé "Le plus grand escroc du monde". A sa mort, les autorités avaient encore une fois affirmé que Thar Win était décédé à cause d'une cirrhose du foie. Le 30 mai 2003, le photographe Tin Maung Oo, qui travaillait régulièrement pour la Ligue nationale pour la démocratie (LND), a été violemment frappé à la tête par des hommes de main aux ordres des militaires alors qu’il tentait de prendre des photographies d’une attaque contre le convoi d’Aung San Suu Kyi, à Depayin. Le journaliste est mort sur le coup. Le 27 septembre 2007, durant la révolution de Safran le reporter de l'agence de presse japonaise APF, Kenji Nagai, présent au cœur de la foule, caméra à la main, a été abattu à bout portant par un soldat dans une rue de Rangoun. Cette mort revêt un caractère particulier car elle est la seule, et peut être conséquemment la dernière, dont la communauté internationale toute entière a vu les images. Un médecin de l’ambassade du Japon a plus tard confirmé que la balle qui avait tué le journaliste avait touché son cœur après être entrée par la poitrine, prouvant ainsi qu'il avait été tué de face. Reporters sans frontières a pu s'entretenir avec le journaliste et ancien collègue de Kenji Nagai, Tsutomu Harigaya. Ce dernier nous a confié avoir cherché, avec d'autres collègues, à récupérer la caméra vidéo du journaliste "pour rendre un dernier hommage au travail courageux de Kenji Nagai". Un autre document vidéo, tourné par des vidéo journalistes birmans et diffusé par les médias japonais en 2007, avait montré que la caméra, de marque Sony, avait été récupérée par un militaire sur la dépouille du journaliste. Six ans après les faits, les parents de Kenji Nagai attendent toujours des réponses et que justice soit faite. Monsieur le Président, conscients que la Birmanie ouvre actuellement une nouvelle page dans son histoire et convaincus que le processus de démocratisation entrepris par votre gouvernement ne serait complet sans effort officiel d'une justice pour les victimes passées des crimes commis par la junte militaire, nous vous demandons d'établir une Commission d'enquête dédiée à la lutte contre l'impunité des crimes à l'encontre des acteurs de l'information depuis 1962. Cette Commission aurait pour tâche principale d'enquêter et d'établir au mieux de ses possibilités les circonstances qui ont conduit à la mort de six journalistes entre 1991 et 2007. A ces morts, s'ajoutent de nombreuses autres violations : arrestations, actes de violence et de torture par la junte, ainsi que des centaines d'années de prisons distribuées par les tribunaux aux ordres des militaires, à des journalistes, collaborateurs des médias et blogueurs. A ce titre, cette Commission devrait également travailler à la reconnaissance, par un travail de documentation approfondi auquel nous nous proposons de participer, de l'ensemble des crimes commis sur les journalistes et acteurs de l'information birmans et étrangers depuis l'accession de la junte au pouvoir. Votre engagement à ne pas laisser ces meurtres impunis et à traduire en justice leurs responsables, constituerait un pas historique vers la réconciliation nationale et vers l'établissement et la garantie de tous les droits de l'homme en Birmanie. En espérant que notre demande rencontrera votre approbation, et dans l'attente de votre réponse, nous vous présentons, Monsieur le Président de la république du Myanmar, nos salutations respectueuses. Christophe Deloire
Secrétaire général de Reporters sans frontières A l’occasion de la visite du Président Thein Sein, Reporters sans frontières s’est également mobilisée sur la liberté de l’information en lien avec la question des Rohingyas et les violences dont fait l’objet une des minorités les plus persécutées au monde, selon l’ONU : L’organisation a cosigné une lettre ouverte à François Hollande, publiée le 15 juillet 2013, appelant notamment le président français à demander à son homologue birman à garantir « la liberté de l'information et de la presse dans la couverture des conflits en Arakan et des Rohingyas, cruciales afin d'empêcher que les violences ne se poursuivent à huis clos ». Le 16 juillet 2013, Reporters sans frontières participe à une conférence de presse pour aborder la question des atteintes à la liberté de l’information qui entravent la couverture des violences, et ce, peu après la décision des autorités d’interdire la vente de la dernière édition de Time Magazine, dont la couverture était consacrée au moine bouddhiste Ashin Wirathu, "visage de la terreur bouddhiste" ("The Face of Buddhist Terror"). La Birmanie a gagné 18 places au classement 2013 de la liberté de la presse, et se positionne au 151ème rang sur 179. Photos : DVB Burmese
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Updated on 20.01.2016