Reporters sans frontières et le CEPET présentent un rapport d'enquête sur la situation des médias à Ciudad Juárez

Reporters sans frontières et le Centre de journalisme et d'éthique publique (CEPET, organisation mexicaine de défense de la liberté de la presse) rendent publics les résultats d'une mission d'enquête commune menée en décembre 2008 à Ciudad Juárez (État de Chihuahua, Nord). Cette initiative a notamment fait suite à l'assassinat d'Armando Rodríguez Carreón, du quotidien privé El Diario, le 13 novembre 2008, au plus fort d'une vague de violence qui a contraint à l'exil des professionnels des médias. Une présentation de ce rapport, dont la version intégrale est téléchargeable en espagnol, est prévue ce 22 janvier à Mexico D.F. “Ce rapport met en relief la dramatique alternative qui s'offre aux journalistes de la région : s'autocensurer, s'exiler ou s'exposer à une mort certaine dans l'impunité la plus totale. Il souligne combien l'important déploiement de fonctionnaires fédéraux, civils ou militaires, dans ce bastion d'un des plus redoutables cartels de la drogue, n'a en rien résolu l'insécurité, quitte même à l'aggraver. Les autorités sont devenues pour les journalistes une autre source de craintes. Plus que jamais s'impose la vigilance du pouvoir fédéral dans ses propres rangs, et contre sa propre tendance à refuser d'admettre que dans une situation d'insécurité aussi criante, la liberté de la presse est menacée. Nous demandons aux autorités d'assurer fermement la protection et l'attention aux victimes, la lutte contre l'impunité et l'autodiscipline”, a déclaré Reporters sans frontières. Début décembre 2008, une délégation de Reporters sans frontières et du CEPET a rencontré des journalistes et des directeurs de la presse écrite et des radios de Ciudad Juárez. Cette visite a coïncidé avec un pic de violence lié aux affrontements entre les séides de deux grands rivaux, Cartel de Juárez et Cartel de Sinaloa, et à l'offensive du gouvernement fédéral contre ces derniers. Entre le 1er janvier et le 1er décembre 2008, cette offensive et les attaques des narcotrafiquants ont causé la mort de plus de 4 000 personnes dans tout le pays, dont 1 456, soit plus du quart, dans la seule ville de Ciudad Juárez. “Nous marchons la peur au ventre. Nous savons que s'ils veulent te tuer, ils te tueront et il n'y a personne pour te protéger”, a confié un journaliste aux organisations. “Nous sommes mal à l'aise, même pas pour ce que nous publions mais pour ce que nous savons”, a résumé un autre. En janvier 2008, huit journalistes de la ville frontalière du Texas ont reçu des menaces de mort revendiquées par un cartel sur leur portable, dans des délais rapprochés et dans des termes similaires du type : “Ne te compromets pas avec qui il ne faudrait pas.” Parmi ces journalistes figurait Armando Rodríguez Carreón, qui, signalant sa situation au parquet général de justice de l'État de Chihuahua, s'était vu recommander de quitter la ville, en l'absence de garanties de sécurité. Le journaliste a fini par reprendre ses activités après deux mois d'interruption, tandis que d'autres collègues ont préféré s'exiler. Il est tombé sous les balles de tueurs, le 13 novembre, alors qu'il emmenait ses enfants à l'école. De nouvelles menaces téléphoniques contre des journalistes ont marqué ses funérailles, le lendemain. Les exils hors de la région ou du pays ont alors repris. L'enquête sur l'assassinat d'Armando Rodríguez Carreón a été confiée au parquet spécial fédéral chargé de la lutte contre les attaques envers la presse, institué le 15 février 2006. Le traitement de cette affaire est malheureusement exemplaire d'une “prime à l'impunité”. Certains fonctionnaires, locaux ou fédéraux, ont relayé, sans la moindre preuve, une version selon laquelle le journaliste assassiné aurait eu des liens avec un baron de la drogue. Un tel épisode sape la confiance déjà très entamée de la population et des médias à l'égard d'un pouvoir, même fédéral, soupçonné d'être infiltré par le crime organisé. Neuf fonctionnaires du ministère fédéral de la Justice ont d'ailleurs été limogés et certains poursuivis pour cette raison en 2008. Comme le souligne le rapport, l'envoi à Ciudad Juárez de 2 500 militaires et fonctionnaires fédéraux n'a en rien empêché une vague de violence sans précédent. Les menaces directes de soldats ont même conduit Emilio Gutiérrez Soto, correspondant régional de El Diario, à se réfugier à El Paso (Texas) où il est actuellement détenu par les services de l'immigration des États-Unis. Au vu d'une situation qui compromet gravement la liberté de la presse et plus largement les libertés reconnues par la Constitution mexicaine, Reporters sans frontières et le CEPET appellent les autorités locales et fédérales, dans le cadre de leurs compétences respectives : - A respecter le mandat qui leur est confié par la société et à garantir la sécurité de la population et la liberté d'expression par des mesures concrètes. - A respecter les droits de l'homme et la liberté d'expression des journalistes, des médias et de la société dans son ensemble, au cours de leurs actions contre le crime organisé. Les responsables de violations des droits de l'homme doivent être sanctionnés. - A rendre publiques les preuves susceptibles d'étayer les allégations concernant des liens présumés entre Armando Rodríguez Carreón et le narcotrafic, ou à défaut, de présenter leurs excuses à la famille du journaliste assassiné. Enfin, les organisations appellent la presse mexicaine - et nord-américaine - à la solidarité avec les collègues attaqués et au soutien, dans les faits, à la liberté d'expression.
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Updated on 20.01.2016