Reporters sans frontières écrit au Rapporteur spécial Ben Emmerson face au dévoiement de la "lutte antiterroriste"

Alors que la situation de la liberté de la presse s'est considérablement dégradée cette année en Ethiopie, que près d'une dizaine de journalistes ont été arrêtés au cours des dernières semaines, et que le sort des deux journalistes suédois détenus à Addis Abeba et poursuivis pour "terrorisme" devrait être connu le 21 décembre 2011, Reporters sans frontières a écrit à Ben Emmerson, Rapporteur spécial sur la promotion et la protection des droits de l'homme et des libertés fondamentales dans la lutte antiterroriste. L'organisation lui demande de se rendre en Ethiopie, de s'entretenir avec le gouvernement, et de le convaincre de cesser d'invoquer la lutte antiterroriste pour punir la liberté d'expression. Voici le texte de la lettre : M. Ben Emmerson
Rapporteur spécial sur la promotion et la protection des droits de l'homme et des libertés fondamentales dans la lutte antiterroriste
Haut-Commissariat aux droits de l'homme
Genève - Suisse
Paris, le 20 décembre 2011 Monsieur le Rapporteur spécial, Reporters sans frontières, organisation internationale de défense de la liberté de la presse, souhaite attirer votre attention sur la très grave détérioration de la situation des journalistes en Ethiopie depuis que le gouvernement du Premier ministre Meles Zenawi utilise à leur encontre une loi destinée à la lutte antiterroriste. Dès l'adoption de cette loi, en juillet 2009, Reporters sans frontières avait écrit aux autorités éthiopiennes pour dénoncer les insuffisances de ce texte et les possibles dérives qu'il permet à l'encontre de la presse. L'organisation craignait que la loi puisse violer la liberté de la presse et être utilisée pour réprimer les journalistes. En 2011, les faits ont confirmé nos inquiétudes. En juin dernier, Woubeshet Taye, journaliste et directeur adjoint de l’hebdomadaire Awramba Times, et Reyot Alemu, éditorialiste pour l’hebdomadaire en langue amharique Fitih, ont été arrêtés par la police. Ils sont tous deux détenus et accusés de complicité présumée avec un groupe politique considéré comme "terroriste". Le 1er juillet, deux journalistes suédois de l'agence Kontinent, le reporter Martin Schibbye et le photojournaliste Johan Persson, ont été arrêtés alors qu'ils venaient d'entrer illégalement en Ogaden pour enquêter sur la situation des droits de l'homme dans cette région du pays fermée à la presse. Ils sont accusés d'"entrée illégale sur le territoire éthiopien" – un délit pour lequel ils ont admis leur culpabilité devant le juge – mais également de "soutien à un groupe terroriste". Enfin, en novembre, les autorités ont inculpé six autres journalistes éthiopiens, y compris certains en exil, de "terrorisme". Monsieur le Rapporteur spécial, cette situation déjà grave pour toutes les personnes arrêtées et poursuivies en justice a également des conséquences néfastes pour l'ensemble de la presse privée éthiopienne. Elle alimente l'autocensure des journalistes et nourrit la crainte. Ce climat a contraint au moins trois journalistes à fuir le pays, en novembre, de peur d'être arrêtés. Il s'agit du célèbre éditorialiste des hebdomadaires Fitih et Awramba Times Abebe Tola, dit "Abe Tokichaw", de son confrère Tesfaye Degu, de Netsanet, et de Dawit Kebede, directeur d'Awramba Times. La loi de juillet 2009 est devenue une véritable menace pour les médias. Au nom de la lutte antiterroriste, le gouvernement éthiopien musèle les voix dissidentes et critiques et viole ainsi les droits de l'homme et les libertés fondamentales. C'est pourquoi nous vous demandons de faire en sorte de vous rendre en Ethiopie. En votre qualité de Rapporteur spécial sur cette question, vous devriez vous entretenir avec le gouvernement éthiopien et le convaincre de cesser d'invoquer la lutte antiterroriste pour punir la liberté d'expression. Nous restons à votre entière disposition si vous souhaitez obtenir davantage de détails sur la situation de chacun des journalistes arrêtés et inquiétés. En espérant que vous serez sensible à notre requête, je vous prie d'accepter, Monsieur le Rapporteur spécial, l'expression de ma haute considération. Jean-François Julliard,
Secrétaire général Copie à : M. Frank La Rue, Rapporteur spécial sur la promotion et la protection du droit à la liberté d'opinion et d'expression
Par ailleurs, Reporters sans frontières s'est jointe à trois autres organisations ainsi qu'à l'association "Free Johan Persson and Martin Schibbye" pour demander à l'Union européenne de s'engager plus fermement dans la défense de la liberté de la presse en Ethiopie. Lire l'article en anglais. Enfin, à l'approche de l'audience des deux journalistes suédois, la section suédoise de Reporters sans frontières a publié le communiqué de presse suivant : Compte à rebours lancé pour les journalistes suédois accusés de terrorisme en Ethiopie Le 21 décembre prochain, le tribunal d’Addis Abeba (Ethiopie), prononcera son jugement à l’encontre des deux Suédois, le journaliste, Martin Schibbye et le photographe, Johan Persson, inculpés d’entrée illégale sur le territoire éthiopien et d’activités terroristes. Le procès s'est transformé en lutte pour la liberté de la presse. Les correspondants de guerre internationaux, Adrian Blomfield et Phillip Ittner, se sont rendus en Ethiopie pour servir de témoins en faveur des journalistes suédois. Le photographe suédois, Magnus Laupa, ainsi que l’éditeur de la revue suédoise, « Filter », Mattias Göransson, ont également témoigné en faveur des deux Suédois. Des actes judiciaires rendus publics dévoilent plusieurs incohérences, de fausses informations et des erreurs. Martin Schibbye et Johan Persson ont, à travers des membres de leurs familles, commenté ces documents. Leurs commentaires et les dernières mises à jour sont publiés sur le site martinandjohan.org, avec des témoignages du procès, des coordonnées, des articles et des communiqués de la région de l’Ogaden. Photo : Mr Ben Emmerson
Publié le
Updated on 20.01.2016