Reporters sans frontières demande aux autorités de renoncer à deux projets mettant en danger la liberté de la presse

Alors que les responsables du parti au pouvoir, le Congrès national africain (ANC), sont réunis cette semaine à Durban (est du pays), Reporters sans frontières demande aux autorités sud-africaines de renoncer aux deux projets rétrogrades qu'elles envisagent d'adopter pour réguler le secteur de la presse, à savoir la création d'un tribunal des médias et une réforme de la loi sur l'information. L'organisation apporte tout son soutien aux médias et à la société civile de ce pays dans leur combat contre ces deux propositions. Reporters sans frontières s'étonne que l'ANC revienne régulièrement à la charge avec ce type de mesures qui, mises en œuvre, représenteraient un brutal retour en arrière. Nous espérons que le président Jacob Zuma et l'ensemble du gouvernement comprendront les réticences formulées depuis plusieurs semaines par les médias et les défenseurs de la liberté de la presse et abandonneront leurs projets. Il y va de l'indépendance des journalistes sud-africains, mais également de l'image du pays et de son rôle de moteur pour toute l'Afrique. L'ANC envisage de créer un tribunal des médias dont les membres seraient nommés par le gouvernement et qui pourrait sanctionner les journalistes en cas de manquements à l'éthique. S'il est créé, ce tribunal remettrait en cause le système d'autorégulation actuellement en place. Les autorités, le président Jacob Zuma en tête, assurent leur intention de protéger la population sud-africaine contre les abus que peuvent commettre les médias, mais, aux mains des autorités et de l'ANC, un tel tribunal mettrait en péril l'indépendance des organes de presse pourtant garantie dans la Constitution de 1994. Le Parlement sud-africain examine, par ailleurs, un projet de loi sur l'information qui prévoit de classer davantage d'informations comme relevant de la "sécurité nationale". Les publier serait passible d'une peine de 25 ans de prison. La menace de voir des journalistes emprisonnés pour leur activité professionnelle, la lourdeur des peines encourues, et le fait que la notion de "sécurité nationale" soit insuffisamment définie sont autant de motifs d'inquiétude. Ce projet risque de porter un coup très dur au journalisme d'investigation en le rendant impossible, voire illégal. Nous craignons que les journalistes ne puissent plus enquêter sur des sujets sensibles, tels que des scandales de corruption par exemple, de peur d'être jetés derrière les barreaux. Ce débat sur la liberté de la presse en Afrique du Sud, qui suscite de fortes réactions dans le pays mais aussi à travers le monde, intervient alors que les relations des autorités avec les médias sont marquées par un fort climat de défiance. Le 8 avril dernier, Julius Malema, leader de la Ligue de la jeunesse de l'ANC, avait expulsé de sa conférence de presse le correspondant de la British Broadcasting Corporation (BBC), Jonah Fisher, le traitant de "bâtard" et de "sale agent". Lien vers la vidéo . Le président Jacob Zuma, quant à lui, entretient des rapports ambigus avec une presse qui ne se prive pas d'attaquer sa pratique du pouvoir, d'évoquer sa vie privée, ou d'enquêter sur les sujets sensibles tels que la corruption ou la criminalité. Bien que les temps aient changé et que l'Afrique du Sud de 2010 ne soit plus celle de 1994, le comportement actuel des leaders de l'ANC vis-à-vis de la presse peut choquer quand on se rappelle le rôle qu'a joué ce parti dans la défense des libertés fondamentales. Forte d'une presse diversifiée et courageuse, l'Afrique du Sud faisait jusqu'ici figure de modèle pour la liberté de la presse sur le continent. En 33e position, sur 175 pays, dans le classement mondial 2009 de la liberté de la presse établi par Reporters sans frontières, elle figurait parmi les trois pays d'Afrique les plus respectueux du travail des journalistes. Les deux projets actuellement portés par l'ANC sont de nature à remettre en cause cette situation.
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Updated on 20.01.2016