Reporters sans frontières appelle les députés à amender le projet de loi antiterroriste

Reporters sans frontières appelle les députés à amender le projet de loi “renforçant la lutte contre le terrorisme et la sécurité intérieure”, qu’ils auront à examiner en séance plénière à partir du 25 septembre. Malgré des amendements obtenus par RSF, ce texte, qui entend faire entrer dans le droit commun des mesures propres à l’état d’urgence, contient des dispositions qui pourraient nuire gravement à la liberté de l’information.

Reporters sans frontières s’associe aux nombreuses organisations de la société civile qui ont aujourd’hui dénoncé le projet de loi “renforçant la lutte contre le terrorisme et la sécurité intérieure” et les graves risques qu’il fait peser sur l’état de droit, lors d’une conférence de presse organisée à la Commission nationale consultative des droits de l'Homme (CNCDH), en présence, entre autres, d’Amnesty international, de la Ligue des droits de l’Homme et de Human Rights Watch.


Le projet de loi fait notamment peser de graves risques d’atteintes à la liberté de la presse, alerte Paul Coppin, responsable du pôle juridique de RSF. En effet, l’application à un journaliste des mesures de surveillance et de renseignement prévues par le projet de loi rendrait illusoire la possibilité pour lui de protéger ses communications”. Or, sans possibilité de préserver le secret de ses échanges, un journaliste n’est plus en mesure de garantir l’anonymat de ses sources, et donc d'enquêter sérieusement sur des sujets sensibles.


Pourtant ces considérations relatives au secret des sources, “pierre angulaire de la liberté de la presse” selon la Cour européenne des droits de l’Homme, ne semblent pas avoir retenu l’attention du législateur. RSF appelle donc les députés à amender en profondeur le projet de loi.



Risques d’atteintes arbitraires à la liberté de la presse


Le projet de loi dispose ainsi qu’une personne qui “entre en relation de manière habituelle” avec des personnes ou organisations terroristes, ou qui “diffuse des thèses incitant au terrorisme ou en faisant l’apologie, pourrait se voir assignée dans le territoire de sa commune, obligée de porter un bracelet électronique, ou obligée de cesser ses contacts avec ces personnes ou organisations, s’il existe des “raisons sérieuses de penser” que son “comportement” constitue une menace.


Or, un journaliste, spécialisé dans les réseaux terroristes par exemple, peut entrer pour les besoins de son travail en “relation habituelle” avec des personnes ou organisations terroristes, et ce de façon parfaitement légitime. De même, un journaliste qui publie un article sur l'idéologie des terroristes, ou qui interview un terroriste, sans faire l’apologie de tels actes, est amené à diffuser “des thèses incitant à la commission d'actes de terrorisme ou faisant l’apologie de tels actes”. La recherche d’informations, la nécessité du contradictoire, l’investigation, la présentation de la vision du monde de l’adversaire, justifient tous qu’un journaliste entre en relation de manière habituelle avec des terroristes ou diffuse les thèses qu’ils défendent.


Mais le caractère flou et subjectif des termes employés par le projet de loi, tels que les “raisons sérieuses de penser” et le “comportement”, laissent craindre que des journalistes, dans l’exercice normal et légitime de leur activité d’information du public sur des questions d’intérêt général, ne tombent sous le coup de cette disposition.


Si la “diffusion” de thèses terroristes par un journaliste, ou ses « relations habituelles » avec un terroriste, liées à des “raisons sérieuses” des autorités de penser que son “comportement” constitue une menace, suffisent pour lui imposer les mesures prévues par le projet de loi, alors le risque d’atteintes arbitraires à la liberté de la presse existe de façon incontestable. Et ce d’autant plus que ces mesures sont décidées par le seul ministre de l’Intérieur, sans aucun examen d’un juge judiciaire, ni préalable, ni a posteriori, permettant ainsi des détournements ou des dévoiements du texte.


RSF appelle donc les députés à prévoir, concernant les “relations habituelles” avec des terroristes ou la “diffusion” de thèses terroristes, une exception claire pour “l’exercice normal d’une profession ayant pour objet d’informer le public”.



Possibilités d’atteintes au secret des sources sur la base de critères flous et subjectifs


Autre mesure problématique du projet : la possibilité, réintroduite en Commission des lois, d’obliger une personne qui est en relation avec des terroristes et dont le comportement laisse penser qu’elle constitue une menace, à “déclarer les numéros d’abonnement et identifiants techniques de tout moyen de communication électronique dont elle dispose ou qu’elle utilise.”


Imposer cette mesure à un journaliste constituerait une grave atteinte aux principes fondamentaux du droit de la presse. En effet, avec ces numéros d’abonnement et identifiants techniques du journaliste, les forces de l’ordre seront en capacité d’accéder auprès des opérateurs à ses données de connexion, c’est-à-dire à toutes les données concernant non pas le contenu de la conversation, mais qui appelle qui, quand, où. L’accès à ces données de connexion par les services de renseignement est permis de façon très large au terme de la loi renseignement de juillet 2015, sans aucun contrôle judiciaire, sur décision du premier ministre.


La précision du projet de loi que les mots de passe ne peuvent être exigés ne rassure donc en rien. En effet, dès lors que les autorités pourront savoir avec qui le journaliste communique, il ne leur sera même pas nécessaire d’accéder aux contenus de ses communications pour connaître l'identité de ses sources. Mettant ainsi gravement à mal la possibilité même d’un journalisme d’investigation.


Ce risque d’atteintes au secret des sources est encore accru par la possibilité, introduite en commission des lois, d'accéder en temps réel aux données de connexion de l’entourage d’une cible, sur autorisation du seul premier ministre et sans contrôle judiciaire. Si la source d’un journaliste est identifiée comme une menace, alors le journaliste pourra faire l’objet de mesures de surveillance, obérant une fois de plus de façon très inquiétante la possibilité pour le journaliste de communiquer de façon confidentielle, et donc de conduire des investigations sur des sujets sensibles.


Le texte devrait dès lors prévoir une exception claire pour les journalistes, afin que, s’ils entrent dans l’entourage d’une cible des services dans le cadre de l’exercice normal de leur activité, ils soient exclus du champ de la surveillance autorisée.



Risque accru de surveillance d’organes de presse


Un troisième aspect très problématique du projet, au regard de la liberté de l’information et du secret des sources, est l’élargissement des techniques de renseignement aux réseaux exclusivement hertziens “n’impliquant pas l’intervention d’un opérateur de communications électroniques” (intranets, réseaux privés, réseau d’un organe de presse, d’un train…).


Ces techniques de renseignement sont permises sur autorisation du Premier ministre, sans aucune intervention ou contrôle préalable du juge judiciaire. Ces très maigres garanties ne permettent donc pas d’assurer qu’un organe de presse, dans l’exercice normal de son activité, ne pourra être surveillé par les autorités. Ces dispositions rendent donc illusoire la protection du secret des sources, puisqu’elles donnent aux services la possibilité de découvrir aisément avec qui les journalistes communiquent.


Il est dès lors essentiel que les garanties procédurales encadrant le recours à de telles mesures de surveillance soient renforcées. En particulier, une exception claire devrait être introduite, empêchant ou encadrant strictement la possibilité de surveillance de journalistes dans le cadre de leur activité professionnelle. De même pour les réseaux hertziens utilisés exclusivement par des journalistes, comme l’intranet d’un organisme de presse, qui ne devrait jamais pouvoir faire l’objet d’une surveillance.


Meilleur encadrement des perquisitions


Seul avancée positive introduite en commission des lois - et qui répond à une demande de RSF, est la précision que le domicile d’un journaliste, pas plus que le lieu affecté à l’exercice de son activité professionnelle, ne pourra être perquisitionné pour les motifs prévus par le projet.


Cette exception apportée en commission des lois témoigne de la sensibilité du législateur à la liberté de la presse et de sa conscience de l’importance de la protection du secret des sources pour la démocratie. RSF ne peut qu’appeler à ce que cette sensibilité influence l’ensemble de la rédaction du texte, et que la surveillance des journalistes et de leur sources soit explicitement interdite.

Publié le
Updated on 25.09.2017