Reporters sans frontières alarmée par un projet de loi élargissant les pouvoirs de perquisition de la police

Reporters sans frontières exprime son inquiétude devant le projet de loi, actuellement examiné par l'Assemblée législative d'Irlande du Nord et baptisé "Draft policing - Miscellaneous Provisions (Northern Ireland) Order 2007", proposant d'élargir les pouvoirs des services de police en matière de perquisition et de saisie de documents. L'organisation a sollicité, dans un courrier du 18 janvier 2007, l'intervention de Peter Hain, secrétaire d'Etat pour l'Irlande du Nord, “afin que les menaces que ce texte fait peser sur la liberté de la presse et la confidentialité des sources des journalistes ne se concrétisent pas”. “Comme vous le savez, l'exercice de la profession de journaliste dépend étroitement de la protection de la confidentialité des sources”, a écrit l'organisation. “Cette condition sine qua non du travail d'investigation se trouve gravement menacée par ce projet de loi. En effet, les services de police ne seraient plus tenus de présenter des éléments aussi explicites qu'à l'heure actuelle pour être autorisés à procéder à une perquisition et saisir des documents. Ces nouvelles prérogatives leur permettraient également de confisquer des documents ou des fichiers électroniques pour une durée de quarante-huit heures, pouvant être étendue à quatre-vingt-seize heures, dans le cas où ces fichiers devraient être traduits ou décodés.” Dans son courrier, Reporters sans frontières a rappelé que plusieurs journalistes ont fait l'objet “de pressions et de menaces et que des perquisitions controversées de locaux ou de domiciles de journalistes se sont produites ces dernières années en Irlande du Nord. Nous sommes convaincus que l'adoption du ‘Draft policing' ne peut qu'être néfaste à la liberté de la presse et à la normalisation de la situation dans cette région.” Pour en savoir plus sur ce projet de loi, lisez ci-dessous l'article rédigé pour Reporters sans frontières par le journaliste britannique Glyn Roberts. ------------ Un projet de loi est actuellement examiné par l'Assemblée législative d'Irlande du Nord et baptisé "Draft policing - Miscellaneous Provisions (Northern Ireland) Order 2007", proposant d'élargir les pouvoirs des services de police en matière de perquisition et de saisie de documents. Cette proposition de loi est actuellement en circulation à des fins de consultation publique, et ce jusqu'au 22 janvier, date à laquelle elle devra être approuvée par le Parlement, avec d'éventuels amendements. Elle devrait entrer en vigueur au printemps ou à l'été prochains. Les pouvoirs supplémentaires sont décrits dans l'Article 13 du document. Leur extension ne concernerait que l'Irlande du Nord ; toutefois selon une responsable gouvernementale du Bureau Irlande du Nord, à l'avenir, la mesure pourrait être étendue à tout le territoire britannique. “C'est la police elle-même qui a demandé l'extension de ses pouvoirs”, précise-t-elle, expliquant que la menace en matière de terrorisme et de crime grave organisé reste importante, et que la police pense avoir besoin de ces nouveaux pouvoirs en raison de la nature de plus en plus sophistiquée de certains crimes graves. Le 8 janvier 2007, Paul Goggins, ministre de l'Irlande du Nord responsable de la sécurité, a expliqué aux membres de l'Assemblée législative que la police ne pourrait pas “ se balader partout à la recherche de documents. Il faut qu'il y ait une logique”. Il a ajouté que l'examen de ce type de documents ou fichiers devrait mener à des “soupçons raisonnables permettant de prouver qu'un crime a été commis”. “Nous continuons à penser que certains pouvoirs sont nécessaires pour répondre aux circonstances spécifiques de l'Irlande du Nord”, a expliqué M. Goggins. “Le danger n'a pas été éliminé, et il faut le prendre au sérieux, en enquêtant par exemple sur du matériel de fabrication de bombes ou des réseaux de crime organisé. Le danger va en diminuant mais il continue d'exister, et la police doit pouvoir être capable de réagir.” Les mesures proposées prévoient que les services de police ne seraient plus tenus de présenter des éléments aussi explicites qu'à l'heure actuelle pour suspecter un crime et être autorisés à perquisitionner et saisir des documents. Les policiers enquêtant sur des crimes graves pourraient extraire des documents ou fichiers électroniques d'un domicile afin de les examiner. Ils pourraient les conserver pendant une durée allant jusqu'à 48 heures dans le but de les analyser, avec extension de la durée jusqu'à 96 heures si nécessaire, pour déchiffrage et/ou traduction. Ces propositions du gouvernement britannique, ont entraîné des protestations de la part des journalistes d'Irlande du Nord. Ceux-ci soulignent que l'adoption de cette nouvelle mesure pourrait représenter une menace à la liberté de la presse et à la protection des sources confidentielles des informations qu'ils diffusent. Pour Alex Attwood, porte-parole du Social Democratic and Labour Party chargé des questions de sécurité, ces mesures pourraient permettre à la police de "pénétrer dans n'importe quel bâtiment de manière légale, et de se saisir de tout document, même si aucun soupçon n'existe sur le fait que le document en question puisse être lié à l'enquête menée". Seamus Dooley, secrétaire pour l'Irlande du Syndicat national des journalistes (NUJ), basé à Londres, a indiqué qu'il enverrait une lettre au secrétaire d'État du gouvernement britannique pour l'Irlande du Nord, Peter Hain, lui faisant part de son inquiétude."Le NUJ se soucie particulièrement des questions concernant l'abus de mandats de perquisition car de telles ‘activités de pêche' ont déjà été menées par des forces de sécurité aux domiciles de reporters et de photographes ”, a expliqué Séamus Dooley. “Nous avons déjà eu l'expérience de carnets de notes saisis de manière illégale. Il faut que les forces de sécurité soient obligées non seulement d'avoir un mandat de perquisition légal mais aussi de justifier la nécessité de la perquisition. Cette nécessité doit se baser sur des soupçons bien justifiés. Quant aux journalistes eux-mêmes, le NUJ est particulièrement inquiet en raison des menaces que ces perquisitions font planer sur la confidentialité de leurs sources." Le 8 janvier 2007, Alex Attwood a critiqué ouvertement ces propositions lors d'un débat au sein du Comité “justice et politique” de l'Assemblée législative d'Irlande du Nord : “Comment peut-on d'une part vouloir normaliser la société d'Irlande du Nord et d'autre part donner à la police ces pouvoirs énormes ?” Pour Seamus Dooley, “Le NUJ partage les inquiétudes de M. Attwood (...). Il est inacceptable de leur donner le pouvoir de perquisitionner quel que soit le niveau de suspicion. Il ne faut pas abuser du pouvoir de saisie de documents, et veiller à s'assurer que le droit d'effectuer des perquisitions est employé uniquement lorsque des motifs de soupçons existent réellement.” Pour finir, Seamus Dooley a ajouté : “Actuellement, l'octroi de pouvoirs sans restriction - allant bien au-delà des mesures antiterroristes aujourd'hui en vigueur en Angleterre ou au Pays de Galles - ne se justifie pas et représenterait une grave atteinte à la liberté civile.” Les journalistes s'inquiètent du fait que les nouveaux pouvoirs puissent autoriser la police à mener plus facilement des “activités de pêche” en utilisant les carnets de notes et les ordinateurs de reporters et de photographes : la liberté de la presse serait ainsi mise en danger, et les journalistes et leurs contacts confidentiels pourraient craindre des menaces. Deux affaires, ces dernières années, ont entraîné des protestations véhémentes de la part des employés de médias. Un journaliste en ligne, Anthony McIntyre, a vu son domicile perquisitionné par la police en 2003. Celle-ci s'est saisie de son ordinateur, ses disquettes et carnets de notes, expliquant qu'elle cherchait des documents dérobés. Pour le journaliste, il s'est agi d'une tentative d'imposition “de censure et d'une fouille dans (s)es contacts”. Ses documents lui ont été rendus après qu'il eut protesté de l'illégalité du raid. Une seconde affaire a concerné le domicile de Liam Clarke, rédacteur en chef pour l'Irlande du Nord du quotidien de Londres The Sunday Times, et de son épouse Kathryn Johnston. Celui-ci a été fouillé en 2003 après la publication de transcriptions de conversations téléphoniques entre un homme politique républicain de renom et des responsables du gouvernement obtenues par des contacts des journalistes. Liam Clarke estime que les autorités ont cherché à faire passer un message “pour effrayer les journalistes” en utilisant une méthode “lourde” dans le but d'étouffer les reportages d'investigation. Le couple s'est plaint auprès du médiateur de la police qui a estimé que les actions de celle-ci étaient illégales et l'a condamnée à payer une compensation en septembre 2006.

Glyn Roberts
Publié le
Mise à jour le 20.01.2016