Propagande à outrance et intimidations à la veille de l'élection présidentielle

L'élection présidentielle d'aujourd'hui va se tenir dans un climat particulièrement tendu, notamment pour la presse qui a été confrontée à de multiples entraves. Les médias d'Etat ont été utilisés pour promouvoir le candidat sortant Mahinda Rajapaksa. Certains médias privés ou d'opposition ont été les cibles d'attaques qui ont culminé avec l'enlèvement, le 24 janvier au soir, du journaliste politique Prageeth Eknaligoda. Reporters sans frontières appelle les deux camps à tout faire pour ne pas créer un "scénario à l'iranienne" où des élections contestées et contestables ont débouché sur un cycle de manifestations et de répression, dont la presse serait évidemment la victime. Le monitoring des chaînes d'Etat Rupavahini et ITN, mené par Reporters sans frontières, démontre que le camp présidentiel a abusé, dans des proportions rarement atteintes, de ces supports pour promouvoir Mahinda Rajapaksa. Sur les 1539 minutes (plus de 25 heures) de programmes d'informations des chaînes Rupavahini et ITN observées, plus de 96,7 % ont été dédiées aux activités du président sortant et de ses supporters, et moins de 3,3 % à l'opposition, principalement le général Sarath Fonseka. Le monitoring des deux chaînes s'est déroulé du 18 au 24 janvier 2010. Au cours des derniers jours, et même après la fin de la période officielle de campagne, Rupavahini et ITN ont été mobilisées pour faire barrage à la candidature du général Sarath Fonseka. Ainsi, le 24 janvier, deux jours avant le scrutin, les deux chaînes ont retransmis en direct et pendant deux heures une cérémonie religieuse à laquelle participait le candidat Mahinda Rajapaksa. Pendant cette journée cruciale, l'opposition n'a obtenu aucun temps d'antenne, tandis que le Président et ceux qui le soutiennent ont bénéficié de 47 minutes et 45 secondes sur Rupavahini et 101 minutes et 45 secondes sur ITN. Lors du bulletin d'informations en tamoul de 18 heures sur ITN, le candidat sortant et ses élus politiques, notamment des groupes tamouls, occupent 13 minutes et 10 secondes, alors que l'opposition, qui a pourtant reçu le soutien de la Tamil National Alliance (TNA), est totalement ignorée. Enfin, lors du journal télévisé en cingalais de 19 heures sur ITN, Mahinda Rajapaksa est crédité de 4 minutes 50 et son gouvernement de 6 minutes 10, tandis que les 20 autres candidats présidentiels sont tout simplement boycottés par la chaîne d'Etat. "Ce déséquilibre médiatique entre les candidats nuit gravement à la crédibilité démocratique de ce scrutin présidentiel, le premier du genre depuis la fin de la guerre civile. Le gouvernement n'a pas résisté à la tentation d'instrumentaliser les médias d'Etat. Nous appelons la communauté internationale, et notamment les missions d'observation de l'élection, à dénoncer clairement ces abus dans leurs rapports d'évaluation", a estimé l'organisation. Si des motifs de sécurité peuvent s'imposer, Reporters sans frontières est étonnée que le gouvernement ait déclaré "zones de haute sécurité" les bâtiments de la chaîne Rupavahini et de la radio SLBC, pour le jour et le lendemain de l'élection. Le général Devapriya Abeysinghe, directeur associé de Rupavahini, a obtenu tous les pouvoirs du gouvernement et a réquisitionné un nombre limité d'employés pour ces deux jours. Plusieurs incidents ont été signalés à Reporters sans frontières, en plus de l'enlèvement du journaliste Prageeth Eknaligoda (http://www.rsf.org/Un-analyste-politique-et.html). Ainsi, le Département des enquêtes criminelles (CID) a tenté d'obtenir auprès de la justice des mandats de perquisition pour le bâtiment du groupe de presse Wijeya Newspapers qui édite notamment le Daily Mirror. La police accusait ce quotidien d'imprimer des ouvrages et des posters "diffamatoires". Le 25 janvier, une cour de la capitale a rejeté cette demande. A Jaffna, un directeur de publication qui a souhaité garder l'anonymat, a indiqué à Reporters sans frontières que les pressions ont augmenté, notamment de la part des partis et des groupes armés favorables à Mahinda Rajapaksa. Ainsi, le ministre Dougla Devananda a déclaré lors d'une réunion politique que tout "Jaffna était sous son contrôle, sauf Uthayan". Ce quotidien tamoul, victime d'attaques dans le passé, a vu sa sécurité policière retirée de manière inexpliquée pendant quelques heures le 22 janvier dernier. Un bus transportant des journalistes a été bloqué pendant plusieurs heures par la police militaire de Kiribathgoda (près de Colombo), le 24 janvier. Ils étaient en chemin pour couvrir un événement auquel participait le candidat de l'opposition Sarath Fonseka. Leurs noms et adresses ont été enregistrés par la police. Enfin, le domicile de Tiran Alles, opposant et ancien directeur d'un hebdomadaire en cingalais Mawbima, a été visé par un attentat à la bombe, le 22 janvier, à Colombo. Détenu pendant près de deux semaines en juin 2007, Tiran Alles avait été accusé par le président Mahinda Rajapaksa et son frère Gotabaya Rajapaksa d'être un porte-parole des Tigres tamouls. En réalité, Mawbima, contraint de fermer suite à des pressions économiques, était à l'époque l'une des rares voix critiques dans l'île. Depuis décembre 2009, quatre personnes ont été tuées et plus de 300 incidents sérieux ont eu lieu dans des violences électorales au Sri Lanka.
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Mise à jour le 20.01.2016