Projet de loi dangereux pour la liberté d'information en ligne

Reporters sans frontières est vivement préoccupée par le projet d'amendement à l'article 1087.1 du code civil arménien. Le texte, qui doit être débattu par le parlement le 31 mars 2014, prévoit de rendre les médias responsables des commentaires publiés sur leurs sites web et des contenus qu'ils reprendraient d'Internet. Selon les auteurs du projet de loi, son objectif est de lutter contre la prolifération des propos diffamatoires ou insultants que favoriserait l'anonymat prévalant sur le Web. « Si l'objectif invoqué par les parlementaires est louable, ce projet de loi fait peser de graves dangers sur la liberté de l'information en ligne en Arménie. La rédaction vague et large du texte laisse aux magistrats une marge d'interprétation très excessive. Mais le problème va bien au-delà de la formulation : les médias ne sauraient être tenus responsables de contenus dont ils ne sont pas les auteurs. L'anonymat en ligne est un des principes constitutifs d'Internet en tant que formidable espace de débat et d'information libre. Nous demandons aux députés de retirer ce projet de loi de l'ordre du jour et de favoriser l'auto-régulation », déclare Johann Bihr, responsable du bureau Europe de l'Est et Asie centrale de Reporters sans frontières. Les auteurs du projet de loi, enregistré au parlement le 4 mars, affirment ne vouloir en finir avec l'anonymat que dans le cadre de propos diffamatoires rapportés par des médias ou tenus dans la rubrique « commentaires » des médias en ligne. Mais l'ambiguïté du texte laisse craindre que le terme de « média » ne s'applique à toute production d'information en ligne, y compris aux blogs et aux réseaux sociaux. En outre, les amendements envisagés ne fournissent aucune définition de l'« utilisateur anonyme », dont les propos passeraient sous la responsabilité des médias qui les citent. Or, l'usage de pseudonymes et d'avatars est si répandu sur Internet que le champ d'application semble illimité. Enfin, s'ils ne veulent pas être tenus pour responsables des commentaires publiés sur leurs sites web, les médias sont tenus de chercher à « identifier leurs auteurs » - une injonction à la fois irréaliste et illégitime. Le texte a suscité une levée de boucliers de la société civile arménienne. Neuf associations de journalistes et de défense de la liberté de la presse ont signé le 14 mars une déclaration conjointe demandant le retrait du projet de loi. Elles soulignent que « cette initiative crée davantage de problèmes (…) qu'elle n'en résout » et que « la plupart des situations (évoquées) peuvent être résolues dans le cadre de la législation existante, de la jurisprudence, des avis de la Cour de cassation et à travers les mécanismes de signalisation de contenus disponibles sur les réseaux sociaux ». Les auteurs du projet de loi ont reçu le 17 mars des représentants de ces organisations. Ils se sont montrés prêts à revoir la formulation du texte et à laisser du temps aux débats, mais ont refusé de retirer le texte. Dans son rapport de mai 2011 consacré à Internet, le Rapporteur spécial des Nations Unies pour la liberté d'expression Frank la Rue soulignait que « les mesures de censure ne devraient jamais être déléguées à des entités privées, et que personne ne devrait être tenu responsable de contenus publiés sur Internet sans en être l'auteur ». Il expliquait que les intermédiaires techniques « ne sont pas les mieux placés pour déterminer si un contenu spécifique est illégal ou non » et que les tenir responsables risquait de les inciter à une censure abusive de façon à se prémunir. L'Arménie occupe la 78e place sur 180 pays dans le classement mondial 2014 de la liberté de la presse publié par Reporters sans frontières. L'adoption de ce projet de loi risquerait toutefois de ne pas être sans conséquence sur le classement du pays l'année prochaine. (Photo: www.parliament.am)
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Updated on 20.01.2016

Europe - Asie centrale

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