Prison ferme pour un journaliste : "Monsieur le Président, il est temps de dépénaliser les délits de presse"

Le 28 décembre 2012, Reporters sans frontières a adressé une lettre ouverte au chef de l'Etat sénégalais, Monsieur Macky Sall, en réaction à la condamnation prononcée une semaine plus tôt par le tribunal correctionnel de Dakar à l'encontre du magazine Exclusif et de son directeur de publication, El Malick Seck. L'organisation souligne le décalage entre les déclarations du Président en faveur de la dépénalisation des délits de presse et la persistance des peines de prison prononcées contre les journalistes. Elle lui demande d'user de tout son poids pour convaincre les députés sénégalais d'adopter le nouveau Code de la presse soumis depuis plusieurs mois à l'Assemblée nationale. Voici le texte complet de la lettre ouverte : Monsieur Macky Sall
Président de la République
Dakar - Sénégal Paris, le 28 décembre 2012 Objet : Condamnation du journaliste El Malick Seck et dépénalisation des délits de presse Monsieur le Président de la République, Reporters sans frontières, organisation internationale de défense de la liberté de l'information, souhaite vous faire part de sa surprise et de son incompréhension face au décalage entre vos déclarations en faveur de la dépénalisation des délits de presse au Sénégal et la persistance des peines de prison prononcées contre les journalistes de votre pays. En novembre 2012, en clôture du forum des leaders des médias africains qui se tenait à Dakar, vous avez déclaré être "convaincu de dépénaliser". "Lorsqu'on dépénalise les délits de presse, cela veut dire qu'il existe des solutions autres que pénales (…) Le niveau de démocratie au Sénégal permet de dépénaliser les délits de presse et de permettre au journaliste de faire ses investigations", aviez-vous affirmé. Pourtant, le 18 décembre dernier, le tribunal correctionnel de Dakar a suspendu le magazine Exclusif et condamné son directeur de publication, El Malick Seck, à six mois de prison ferme et à 100 millions de francs CFA de dommages et intérêts. Les faits incriminés remontaient au mois de juin 2012, dans le numéro 5 du magazine Exclusif, dans lequel un article publié sous la plume de El Malick Seck était intitulé "Sidy Lamine Niasse : un maître chanteur". Le journaliste affirmait que le président du groupe de presse Walfadjri, Sidy Lamine Niasse, avait "tenu le régime sortant en respect" et que le Président d'alors, Abdoulaye Wade, avait "appuyé sur la gâchette financière". Le magazine Exclusif prétendait que 460 millions de francs CFA (plus de 700 000 euros) - et non 400 millions - avaient été versés par le trésor public sur les comptes du groupe Walfadjri. Sans se prononcer sur le fond de cette affaire qui oppose deux confrères, Reporters sans frontières estime regrettable que le Sénégal continue de répondre aux délits de presse par des peines privatives de liberté à l'encontre de leurs auteurs. Comme vous le savez, notre organisation encourage depuis plusieurs années les autorités de Dakar à dépénaliser les délits de presse. En mai 2012, peu de temps après votre accession à la plus haute fonction de l'Etat sénégalais, nous vous avions adressé un courrier pour attirer votre attention sur le nouveau Code de la presse, soumis depuis plusieurs mois à l'Assemblée nationale, et permettant d'assainir le secteur et de mieux protéger les journalistes. Nous vous avions encouragé à user de tout votre poids pour convaincre les députés sénégalais d'adopter ce nouveau Code. Nous vous demandions également de soutenir la dépénalisation des délits de presse prônée par ce texte, pour qu'en cas de délits commis dans l'exercice de leur profession, les journalistes soient frappés de sanctions plus justes et plus adaptées que des peines de prison. Reporters sans frontières salue ainsi vos récentes déclarations en faveur de la dépénalisation des délits de presse, mais vous encourage à traduire cet engagement en actes. Seule l'adoption de ce texte par l'Assemblée nationale dans les meilleurs délais permettra de faire en sorte que vos déclarations ne restent pas vaines. Il est temps pour votre pays de réaliser cette réforme, mise en place depuis quelques années déjà par d'autres pays africains comme le Togo ou la Côte d'Ivoire. Je vous remercie de l'attention que vous voudrez bien accorder à notre requête, et je vous prie d’agréer, Monsieur le Président de la République, l’assurance de ma très haute considération. Christophe Deloire
Secrétaire général
Photo : Le président de la République du Sénégal, Macky Sall (AFP/Seyllou)
Publié le
Updated on 20.01.2016