Pression inacceptable de l’ambassadeur américain sur le groupe Koha et l’Express

Reporters sans frontières condamne avec la plus grande fermeté la lettre publique adressée le 23 février 2011 par l’ambassadeur américain Christopher Dell à la Commission indépendante des médias du Kosovo (IMC) suite à la publication dans Koha Ditore, Express et Koha Vision TV de photos d’écran de GSM attestant d’un échange de messages entre le futur président du Kosovo, Behgjet Pacolli, et l’ambassadeur américain au cours des 45 minutes de pause qui précédaient le troisième vote crucial de son intronisation par le Parlement.Dans ces SMS adressés à l’ambassadeur Dell par l’entremise de son conseillé Esat Puskar, Behgiet Pacolli prenait conseil pour améliorer ses chances d’être élu dans un scrutin plus qu’incertain et qui, boycoté par l’opposition, aurait pu mener à son éviction et à de nouvelles élections législatives. Nous condamnons fermement les propos tenus par l’ambassadeur américain à l’ encontre des journalistes de Koha Ditore et de l'Express, exigeant « au nom des lecteurs et des auditeurs » des excuses pour un comportement jugé inexcusable, et remettant en cause leur professionnalisme, leur sens de l’éthique et leur déontologie. Nous sommes par ailleurs scandalisés d’entendre Christopher Dell insister sur l’aspect supposément criminel de l’acte en se référant à l’article 170 du code criminel qui prévoit jusqu’à un an d’emprisonnement pour toute personne qui publierait le contenu d’écoutes téléphoniques ou de messages qui ne lui seraient pas adressés. » Les propos repris par l’ambassadeur dans sa lettre ouverte à l’IMC constituent une pression inacceptable sur la presse kosovare qui vit déjà sous celle de ses propres dirigeants et qui devrait au moins compter sur un soutien plus actif de la part d’un pays généralement apprécié pour son implication dans la défense de la liberté de la presse. Face à l’enjeu crucial que consistait l’élection du président, et dans un contexte politique particulièrement tendu, les contacts échangés entre le futur président du Kosovo et l’ambassadeur d’un pays qui jouit encore d’une très grand influence auprès des autorités nationales relève très clairement de l’intérêt public et ne constitue en rien un acte illégal. Les clichés des messages et des captures d’écran publiés dans les médias kosovares ne constituent pas plus une atteinte à la vie privée de l’ambassadeur qui, de son propre aveu, ne traitait dans ces messages que d’affaires politiques. Les photos publiées apportent en revanche les preuves légitimement exigées de ce que les journalistes avançaient dans leur article. Dans sa lettre ouverte Monsieur Dell fait à plusieurs reprises état d’une atteinte à la vie privée et d’une interception de ses messages téléphoniques. Il n’en est rien. La presse n’a publié que les photos des écrans du téléphone du conseiller Esat Puskar. Ces photos ont été prises dans un endroit public. Nul ne pouvait ignorer la présence de la presse dans les tribunes qui lui était réservées et qui surplombaient celles qui accueillaient entre autre les diplomates. Les messages n’ont pas été interceptés électroniquement. Aucune écoute téléphonique n’a été pratiquée par les journalistes qui ont tout simplement bénéficié d’une négligence de la part des diplomates. Si le procédé peut toujours être légitimement débattu, il ne constitue pas pour autant une faute à sanctionner. L’ambassadeur américain ne peut par ailleurs exiger de la part des médias kosovares le respect de principes qui n’ont pas cours au Etats-Unis où de tels échanges auraient également relevés de l’intérêt public et auraient été publiés sans qu’aucune sanction ne soient envisagées. Les standards démocratiques auxquels l’ambassadeur se réfère sont justement là pour permettre à la presse kosovare d’enquêter librement sur les éventuels liens qui pourraient exister entre ses représentants nationaux et les diplomaties en place. Nous préférerions de loin voir l’ambassadeur américain dénoncer plus régulièrement les nombreuses ingérences politiques dans la gestion des médias publics, notamment au sein de la RTK, les assignations orientées qui minent tout le marché publicitaire institutionnel ou privé, les procès injustifiés qui ne visent qu’à l’asphyxie économique des journalistes indépendants, les problèmes de licences dans les médias audio-visuels, les contrôles fiscaux à répétition et les abus administratifs ou encore l’absence d’accès aux données publiques. Dans un contexte toujours très difficile pour la presse kosovare, la lettre ouverte de l’ambassadeur Dell sera perçue par toute la classe politique comme un encouragement à multiplier les recours vers l’IMC et les procès pour diffamation. Autant de démarches qui jouiront d’un soutien moral de fait, certes involontaire et nullement souhaité par les autorités américaines, mais pourtant bien réel si la plainte de l’ambassadeur devait être maintenue.
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Updated on 20.01.2016