Premier anniversaire de la mort de Hrant Dink : « Les autorités doivent faire la preuve de leur volonté de poursuivre tous ceux qui sont impliqués dans l'assassinat du journaliste »

“Les autorités doivent poursuivre les recherches pour identifier les responsables, quels qu'ils soient, de ce crime odieux qui avait tout d'une tragédie annoncée. Elles doivent démontrer leur capacité à engager un processus de réforme en profondeur, de la législation et des pratiques de l'Etat”, a déclaré Reporters sans frontières.

Il y a un an, Hrant Dink, rédacteur en chef de l'hebdomadaire bilingue arménien-turc Agos, a été assassiné. Sa mort (par balles), le 19 janvier 2007, devant les locaux de la rédaction à Istanbul (photo), a soulevé une vague de protestations dans la communauté internationale et en Turquie. Reporters sans frontières rend hommage au courage du journaliste,et réitère sa solidarité avec ses proches et collègues, qui défendent sa mémoire. “Les autorités doivent poursuivre les recherches pour identifier les responsables, quels qu'ils soient, de ce crime odieux qui avait tout d'une tragédie annoncée. Elles doivent démontrer leur capacité à endosser leur part de responsabilité dans l'attentat qui a coûté la vie à Hrant Dink, et engager un processus de réforme, en profondeur, de la législation et des pratiques de l'Etat”, a déclaré Reporters sans frontières. “La réforme de l'article 301 du code pénal est une étape incontournable sur cette voie, et nous encourageons les autorités à la réaliser au plus vite”, a conclu Reporters sans frontières. “Ce n'est qu'à cette condition que Hrant Dink sera la dernière victime de la haine. N'oublions pas que près de 100 000 personnes ont accompagné le cercueil de Hrant Dink, le 23 janvier 2007. N'oublions pas que celles-ci scandaient “Nous sommes tous Hrant Dink”, “Nous sommes tous Arméniens”, a ajouté l'organisation.
Le 2 juillet 2007, le procès des assassins de Hrant Dink s'est ouvert devant la 14e chambre de la cour d'assises de Besikta à Istanbul (photo). Il a repris le 1er octobre et la prochaine audience devrait se tenir le 11 février 2008. Il n'y a plus de doute aujourd'hui sur l'identité du tireur, Ogün Samast, et celle de ses complices, Erhan Tuncel et Yasin Hayal, considérés comme les commanditaires du crime. La question fondamentale que soulève ce procès est celle de l'implication des forces de l'ordre, que ce soit à son origine, dans la réalisation de cet attentat ou dans le soutien accordé après le crime aux trois principaux accusés. Les avocats de la famille ont, plus d'une fois, dénoncé les destructions de preuves, mais aussi les refus de la justice à poursuivre des membres de la police ou de la gendarmerie. L'un des exemples les plus criants, est la nature d'une conversation téléphonique entre Mühittin Zenit, un policier de Trabzon, et Erhan Tuncel, l'un des accusés. Cette conversation, qui se serait déroulée une demi-heure après l'assassinat du journaliste, permet d'établir que le policier avait connaissance d'un projet d'assassinat. Pourtant, il a été nommé à la direction du Département du Renseignement. L'avocate de la famille de Hrant Dink, Me Fethiye Cetin, a par ailleurs rappelé que la bande vidéo tournée par une caméra de surveillance à l'extérieur d'une banque près des locaux d'Agos n'a pas pu être visualisée car la police n'a pas réclamé les enregistrements à temps. Le 15 janvier 2008, devant le Parlement, le ministre de l'Intérieur, Besir Atalay a cependant déclaré que "dans l'affaire Dink, la justice fonctionne bien. Aucune dimension de cet événement n'est restée en dehors du champ de la justice". L'un des avocats de la famille Dink, Bahri Bayram Belen, a aussitôt réagi en affirmant que "les enquêtes judiciaires qui devaient être menées à l'encontre des fonctionnaires publics ont été contrecarrées par des décisions administratives inutiles". L'avocat a ajouté que "depuis l'enquête préliminaire, certaines recherches (...) n'ont pas été convenablement menées, faute de participation des forces de l'ordre". Le Parlement turc s'est néanmoins saisi du dossier. Le 4 janvier 2008, une sous-commission d'enquête de la Commission des droits de l'homme a commencé ses travaux pour élucider les circonstances dans lesquelles l'assassinat s'est déroulé. Présidée par un ancien journaliste, Mehmet Ocaktan, elle s'est rendue à Istanbul et à Trabzon (Nord-Est) d'où sont originaires la plupart des dix-neuf accusés. Ces irrégularités sont confirmées par le rapport d'une commission d'enquête parlementaire : "Malgré le fait que les experts du ministère de l'Intérieur ont estimé que les fonctionnaires de la Direction de la sécurité à Istanbul, des plus gradés aux moins gradés, pouvaient être considérés responsables pour n'avoir pas accompli leur devoir de contrôle (avant l'assassinat), seule une enquête judiciaire à l'encontre du chef du service de renseignements de la police d'Istanbul, A. Ilhan Güler, a été autorisée". Quant aux services du Premier ministre, ils ont annoncé avoir achevé leur rapport après huit mois d'investigation. Le chef du gouvernement avait accepté d'ouvrir une enquête en avril dernier après avoir reçu une lettre de la femme du journaliste, Rakel Dink, qui mentionnait de nombreuses irrégularités et exprimait ses craintes que la justice ne soit jamais rendue. Autre développement récent, le principal accusé, Ogün Samast, pourrait être plus âgé que ces papiers ne le laissent croire. Les résultats des examens médicaux réalisés en mai 2007 concluent que celui-ci pourrait être dans sa 19e et non dans sa 18e année. Il appartiendra au tribunal de trancher cette question qui pourrait avoir un impact déterminant sur le procès. S'il considère qu'Ogün Samast est majeur, le procès devrait alors être ouvert au public. Le jeune homme risquerait également une peine de prison à perpétuité, alors qu'il encourt actuellement une peine maximum de vingt ans de réclusion. Hrant Dink a été la victime d'un nationalisme officialisé qui interdit notamment de mentionner différents volets de l'histoire turque, dont le génocide des Arméniens sous l'empire ottoman. Ce nationalisme s'exprime dans l'article 301 du code pénal, intitulé "Humiliation de l'identité turque, de la République, des institutions ou organes d'Etat". Il sanctionne de six mois à trois ans de prison "quiconque humilie ouvertement le gouvernement, les organes de justice de l'Etat, les structures militaire ou policière". Hrant Dink avait été poursuivi en vertu de cet article. Son fils, Arat Dink, a été condamné à un an de prison avec sursis, le 11 octobre 2007, pour avoir imprimé dans les colonnes d'Agos un entretien donné par son père à l'agence Reuters où il rappelait que les massacres d'Arméniens commis entre 1915 et 1917 étaient un génocide. Depuis son entrée en vigueur en 2005, 120 personnes ont été poursuivies en vertu de cet article, qui s'est révélé un outil de répression de la liberté d'expression. A plusieurs reprises, les autorités ont annoncé leur intention de le réformer. Le 6 novembre 2007, le ministre turc de la Justice, Mehmet Ali Sahin, a déclaré à l'agence de presse Anatolie que le gouvernement était décidé à amender l'article 301. Il avait précisé que le Conseil des ministres examinerait “à la première occasion“ les différents projets préparés. Début janvier 2008, le ministère de la Justice a terminé ses travaux et a soumis une proposition de loi à la Commission des lois de l'Assemblée, qui devra ensuite l'examiner. Ce projet propose de remplacer le terme "humiliation de l'identité turque" par "humiliation du Peuple turc " et l'expression "humiliation de la République" par "humiliation de la République turque". L'alinéa 4 de l'article qui stipule que "toute expression de la pensée sous forme de critique ne peut être sanctionnée" devrait être supprimé. En outre, le gouvernement propose de réduire à deux ans la peine maximale encourue, au lieu des trois ans actuellement prévus. Pour qu'un procès puisse être engagé en vertu de cet article, l'autorisation du ministère de la Justice serait désormais requise. Mais le nouveau vice-Premier ministre Cemil Ciçek, ancien ministre de la Justice, est plutôt favorable à ce que cette autorisation soit accordée non pas directement par ce ministère, mais par une commission. Enfin, l'alinéa 3 qui stipule que “Si un citoyen turc vivant à l'étranger humilie l'identité turque, la peine se verra accroître d'un tiers” devrait être supprimé. Ce projet est loin de satisfaire Reporters sans frontières qui demande son abrogation pure et simple, puisqu'il n'apporte aucune solution au problème de l'application arbitraire de l'article 301 par des magistrats. De nombreuses commémorations en hommage à Hrant Dink vont se dérouler dans le monde entier. A Istanbul, un rassemblement aura lieu le 19 janvier, à 15h00, devant le journal Agos. A Paris, le Conseil de coordination des organisations arméniennes de France (CCAF) organise dimanche 20 janvier, à 11h00, une Messe de Requiem en la Cathédrale Arménienne de Paris, suivie à 13 heures d'une cérémonie du souvenir devant la statue de Komitas (Place du Canada, Cours Albert 1er 75008). Chronologie des évènements
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Mise à jour le 20.01.2016