Ouzbékistan

Malgré la levée des sanctions par l’Union européenne fin 2009, le régime n'a pas relâché son emprise sur le Net, bien au contraire. Cet Etat policier continue de limiter la diffusion de l'information en ligne et d’empêcher toute tentative d’ébauche d’une société civile – virtuelle ou non.

Un meilleur accès à Internet ? Les coûts d'accès à Internet diminuent graduellement et le nombre d'internautes augmenterait ainsi de 2 à 3 % tous les trois mois. Les abonnements mensuels débutent à 14 dollars pour une connexion limitée et 20 dollars pour une connexion illimitée. Les internautes consultent principalement les sites de divertissement. Parmi les sites d'informations, le plus populaire est Gazeta.uz. Les réseaux sociaux en russe ont la faveur des internautes ouzbèkes. Odnoklassniki.ru (“Camarades de classe”) et My World (my.mail.ru) sont plus populaires que Facebook et Twitter. Big brother à l'affût pour affiner la censure Le Centre pour la surveillance des communications de masse (CMMC) surveille de près le contenu des sites Internet et des médias audiovisuels. Placé sous l'autorité de l'Agence ouzbèke pour les communications et l'information, il propose le blocage de sites ou d'articles jugés indésirables. Parmi les sites bloqués : l’agence d’information Ferghana.ru et Nezavissimaya Gazeta (www.ng.ru). Le site d’informations régionales Centrasia.ru est partiellement bloqué, la majorité des pages restant consultables. En tentant d’accéder aux articles défendus, les internautes sont redirigés vers la page d’accueil. Le site Central Asian News Service www.ca-news.org est partiellement bloqué. La BBC en ouzbèke est inaccessible, la version en russe l’est périodiquement. Les réseaux sociaux tels que LiveJournal, MySpace,Facebook, Twitter, Blogger, Flickr et la plateforme de blogs la plus populaire en Ouzbekistan, kloop.kg, sont bloqués de manière irrégulière. Les sujets sensibles concernent les critiques du gouvernement, les informations sur l’état réel de l'économie, les droits de l’homme et la situation sociale. Il ne fait pas bon discuter des affaires de la famille du président Islam Karimov, de la vie personnelle de ses filles ou du travail forcé des enfants dans les champs de coton. Il est risqué d’évoquer les problèmes d'approvisionnement en essence, l'inflation, l'appauvrissement de la population, et les manifestations. Toute référence au massacre d'Andijan, survenu en 2005, est purement éradiquée. La population a renoncé depuis longtemps à aborder le sujet en public, parfois même en privé. L'autocensure est généralisée. La politique de censure, à géométrie variable, s’adapte à l'actualité. Lors de la visite du président Karimov en Russie, les 19 et 20 avril 2010, des articles du site Ria Novosti ont été rendus inaccessibles. Les fournisseurs d'accès bloquent parfois les articles sur l'Ouzbekistan publiés sur les sites des agences comme lenta.ru ou newsru.com. Officiellement, le gouvernement dément censurer le Net. En mars 2010, interrogé par l'ONG Forum 18 sur le blocage de sites come Ferghana.ru ou Rferl.org, Elbek Dalimov, responsable du service de presse de l'Agence ouzbèke des communications et de l'information, assurait que son organisme ne bloquait aucun site. Il reconnaissait toutefois que des accords avec les fournisseurs d'accès à Internet prévoyaient de rendre inaccessibles des sites “terroristes” ou “pornographiques”. Facebook bloqué quelques heures Le blocage de Facebook a été bloqué pendant quelques heures, le 21 octobre 2010, de manière inégale dans le pays. D'après le site Neweurasia.net, une source chez le principal fournisseur d'accès à Internet, TshTT, a confirmé qu'un ordre avait été donné de bloquer Facebook pour quelques jours seulement. Certains fournisseurs d'accès à Internet l'ont appliqué, d'autres pas. Les protestations des utilisateurs – demandant à Facebook de contacter les fournisseurs locaux d’accès à Internet pour savoir ce qui se passait – auraient permis la levée du blocage. Certains utilisateurs saluent la présence, sur les pages Facebook, de publicités pour des sites bloqués, comme ferghana.ru, Uznews.net et neweurasia, ce qui leur permet d'avoir accès auxdits sites. En revanche, le réseau social demeurait accessible depuis les téléphones portables. Les opérateurs de téléphonie mobile – comme MTS-Uzbekistan - n'appartiennent pas au gouvernement. Cette tentative de blocage des réseaux sociaux a été interprétée par les internautes ouzbèkes comme une manière pour le gouvernement d’empêcher la diffusion de l'information, et un test pour la mise en place future de restrictions plus drastiques. Un journaliste en ligne condamné puis grâcié Vladimir Berezovsky, directeur russe du site d'informations Vesti, basé à Tashkent, accusé de diffamation et insulte envers le peuple ouzbèke et le gouvernement, a finalement été grâcié à l’occasion du 19e anniversaire de l’indépendance du pays. Ces accusations avaient vu le jour après la publication, par Vesti, d'un article critiquant la décision des autorités de renommer une rue de la capitale, qui portait le nom d'un Ouzbèke d’origine russe. Renforcement des mesures législatives pour les publications en ligne L'accès à Internet est encadré par l'article 29 de la Constitution qui interdit de chercher, recevoir et disséminer des informations contraires à l'ordre constitutionnel existant, ainsi qu'au secret d'Etat et aux informations commerciales confidentielles. La loi de 2002 sur les principes et garanties d’accès à l’information autorise le gouvernement à restreindre cette liberté d’information quand il s’avère nécessaire de protéger tout individu contre “l’influence psychologique de l’information négative”. Le décret n°216 de 2004 interdit aux fournisseurs d’accès à Internet et aux opérateurs de diffuser certains types d’informations. Une interprétation large du contenu ciblé est faite par l’opérateur national UzbekTelecom. La loi sur les médias de 2007 rend les éditeurs et les journalistes responsables de “l’objectivité” de leurs publications et s’applique aux médias en ligne. Des modifications de cette loi en date de janvier 2010 obligent désormais les sites Internet, comme les autres médias, à s'enregistrer, à fournir des informations sur leurs employés et des copies de leurs articles au gouvernement. Le service de sécurité nationale (SNB) est chargé de surveiller Internet et de s’assurer que ces règles sont appliquées par les fournisseurs d’accès et les cybercafés. Internautes sous surveillance Le millier de cybercafés que compte le pays sont pourtant soumis à une surveillance inégale. L’utilisation de logiciels espions est répandue. Des tests réalisés par Reporters sans frontières ont montré que certains gérants réagissaient à l’installation d’un logiciel anti-espion sur l’un de leurs ordinateurs, tandis que cette manipulation passait inaperçue dans d’autres cybercafés. Des logiciels de contournement de la censure ont pu être utilisés dans certains cafés mais pas dans d’autres. Des chercheurs de l’OpenNet Initiative ont été interpellés, en 2007, alors qu’ils testaient le filtrage de sites. Les emails sont également surveillés, ainsi que les chats, notamment les services de ICQ et Mail.ru Agent. Plusieurs personnes auraient été arrêtées en janvier 2010 pour leur participation présumée à des organisations religieuses extrémistes. Elles auraient été repérées grâce à leurs conversations surMail.ru Agent. Une nouvelle loi, en vigueur depuis le 18 mai 2010, est destinée à “améliorer le comportement des jeunes” pour les empêcher de “se livrer à des activités criminelles”. Pour ce faire, le gouvernement a décrété que les jeunes âgés de moins de dix-huit ans ne pouvaient se rendre, de nuit, et non-accompagnés d'un tuteur, dans des cafés Internet. Une manière de contrôler l'information à laquelle les jeunes ont accès, en les privant d’un accès au Web. Visiblement, cette loi serait ignorée par les principaux intéressés. En mai 2010, des membres du Parlement et des représentants du gouvernement ont évoqué la possibilité de restreindre l'utilisation, par les jeunes, de leurs téléphones portables, par exemple dans les écoles et les universités. Que fait la communauté internationale ? En septembre 2010, Dunja Mijatovic, représentante pour la liberté des médias de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), a fait part de son inquiétude quant aux pressions judiciaires qui pèsent sur les journalistes indépendants en Ouzbékistan. De son côté, la secrétaire d'Etat américaine Hillary Clinton a, lors de sa visite à Tachkent, début décembre 2010, demandé au président Karimov de “respecter ses engagements en prenant une série de mesures afin d'assurer que les droits de l'homme et les libertés fondamentales soient réellement protégées”. Les déclarations de ce genre restent isolées. En octobre 2009, l'Union européenne a levé ses dernières sanctions contre l'Ouzbékistan, pour encourager "les autorités ouzbèkes à prendre de nouvelles mesures importantes pour améliorer l'Etat de droit et la situation des droits de l'homme". La démocratie et les droits de l'homme ont alors été sacrifiés sur l'autel de la coopération énergétique et militaire. Le gouvernement se sait en position de force. Alors qu’il tente de sortir de son isolement en attirant des investisseurs étrangers, il est conforté dans ses positions par les délégations d’entreprises étrangères qui continuent de le courtiser. L’Ouzbékistan est un lieu de transit important pour le ravitaillement des forces occidentales déployées en Afghanistan. Le pays possède également d’importantes ressources énergétiques. Alors que les autorités montrent une volonté croissante de contrôler le Net, et qu'il n'existe pas de société civile véritablement capable de leur résister, même en ligne, ni de véritables pressions internationales, les perspectives pour la liberté d'expression en ligne en Ouzbékistan paraissent des plus sombres.
Publié le
Updated on 20.01.2016