« Occupy Gezi » : les journalistes boucs émissaires de la crise

Lire en turc / Türkçe Au moins trois journalistes ont été blessés le 11 juin 2013 en marge des violents affrontements sur la place Taksim d’Istanbul, d’où la police a violemment délogé les manifestants. “Le climat délétère dans lequel travaillent les journalistes couvrant le mouvement de contestation en Turquie nous inquiète de plus en plus. Deux semaines après le début des manifestations antigouvernementales, ils sont à la fois confrontés à la violence policière, aux menaces des autorités et à la suspicion des manifestants. Nous appelons une nouvelle fois toutes les parties à respecter le travail des journalistes et à s’abstenir de les prendre à partie”, a déclaré Reporters sans frontières.

Nouvelle salve de violences

Le correspondant du quotidien islamiste Star, Osman Terkan, a été blessé à la main par une grenade lacrymogène lancée par les forces de l’ordre. Il a un doigt cassé. Jivan Güner, reporter stagiaire de l’agence EPA et étudiante à l’université de Marmama (Istanbul), a été touchée à la tête par un projectile dont la provenance n’a pas pu être confirmée. Elle a quitté l’hôpital de Taksim après avoir subi des points de suture et une radiographie du crâne. Dans la matinée, Mathias Depardon, photographe français indépendant collaborant régulièrement avec Le Monde et Wall Street Journal, a été touché par un projectile tiré par la police, qui a heurté son masque et l’a légèrement blessé à l’épaule. On ignore s’il s’agissait d’une grenade lacrymogène ou d’une balle en caoutchouc. Le journaliste indépendant Ahmet Sik, qui avait été blessé le 31 mai, a de nouveau été atteint à la tête par une grenade lacrymogène le 11 juin. Il n’a pas été blessé cette fois-ci grâce à son casque. “J’ai déjà travaillé dans plusieurs zones de guerre, mais à Taksim c’était terrible. Les forces de l’ordre menaient une véritable chasse à l’homme. Les représentants des médias sont doublement pris pour cible. D’une part, (par) les manifestants qui croient que les journalistes sont du côté du gouvernement et qu’ils ne rapportent pas correctement les événements. D’autre part, (par) les forces de l’ordre qui tirent délibérément sur nous”, a déclaré Ahmet Sik à Reporters sans frontières. L’organisation a par ailleurs appris que l’étudiante en journalisme française violemment interpellée le 4 juin et menacée d’expulsion, Lorraine Klein, a été remise en liberté le 8 juin.

Censure et menaces

L’instance de régulation de l’audiovisuel turc, le Conseil suprême de la radio-télévision (RTÜK), a infligé de fortes amendes à plusieurs chaînes turques particulièrement actives dans la couverture du mouvement “Occupy Gezi” : Halk TV (proche du parti d’opposition CHP), la chaîne nationaliste Ulusal Kanal, la chaîne alévie Cem TV, ainsi que EM TV. Accusées d’avoir “nui au développement physique, moral et mental des enfants et des jeunes” en diffusant des images des affrontements, ces chaînes devront s’acquitter de 11 000 livres turques (environ 4 400 euros) chacune. Elles ont gagné en popularité ces dernières semaines du fait de leur forte couverture des événements, en contraste avec l’attitude d’autres canaux de télévision qui avaient gardé le silence à ce sujet pendant plusieurs jours. D’après le directeur de la publication de Halk TV, Hakan Aygün, cette amende n’a pour but que d’intimider les journalistes de la chaîne et d’imposer la vision du gouvernement sur la répression du mouvement de contestation. Rappelant que les membres du Conseil étaient désignés par les partis politiques et que le gouvernement y jouait un rôle déterminant, il a déclaré à Reporters sans frontières : “Nous avons été sanctionnés par les six membres élus par le parti AKP au pouvoir. Les trois autres membres s’y sont opposés, mais sans pouvoir éviter la sanction.’’ Hakan Aygün a précisé que Halk TV avait l’intention de saisir la Cour européenne des droits humains (CEDH) si la décision du RTÜK n’était pas cassée en appel, ce qui constituerait une première pour les chaînes nationales privées turques. Le premier ministre Recep Tayyip Erdogan continue par ailleurs de s’en prendre verbalement aux médias, qu’il accuse de dramatiser les événements au profit de certains groupes d’intérêts. La semaine dernière, il avait déclaré que Twitter était “un problème”, et le vice-premier ministre Bülent Arinç avait reproché aux médias internationaux de collaborer avec des “forces extérieures” qui viseraient à déstabiliser le pays. La plate-forme “Liberté aux journalistes” (GÖP), regroupant la plupart des associations professionnelles turques, a dénoncé les violences policières dans un communiqué publié le 11 juin. Cinq jours plus tôt, quelques centaines de professionnels des médias avaient déjà manifesté à l’appel du Syndicat turc des journalistes (TGS) pour soutenir le mouvement “Occupy Gezi”. Les journalistes avaient également appelé leurs confrères à respecter l’éthique journalistique et à couvrir les événements de manière équitable. Image : Angelos Tzortzinis / AFP
Publié le
Updated on 20.01.2016