Manœuvres d’intimidation en cascade contre les médias indépendants nationaux à l’approche de la présidentielle

Reporters sans frontières exprime sa vive préoccupation face à la campagne d’intimidation qui vise les médias indépendants nationaux depuis ces derniers jours en Russie. « Qu’elles découlent d’un changement de stratégie du Kremlin ou d’excès de zèle simultanés, ces manœuvres doivent immédiatement prendre fin. Le coup de semonce imposé à Echo de Moscou par son actionnaire principal est le dernier acte d’une série de remaniements au sein des médias indépendants depuis quelques mois. Mais tout comme la ridicule accusation d’être ‘à la solde de l’étranger’, ces procédés détournés témoignent avant tout de la fébrilité croissante du pouvoir et des milieux qui en sont proches, confrontés pour la première fois à un mouvement de contestation de fond à la veille de l’élection présidentielle du 4 mars 2012. Ils traduisent également un mépris insupportable pour les journalistes, qu’on pense pouvoir faire taire si facilement », a déclaré Reporters sans frontières. Le 16 février 2012, la chaîne de télévision en ligne Dojd a reçu un fax du parquet de Moscou, l’enjoignant de fournir des informations détaillées sur « le financement de la chaîne pour la couverture des manifestations de masse des 10 et 24 décembre 2011 », au cours desquelles d’immenses cortèges avaient défilé dans tout le pays pour protester contre les fraudes électorales. Cette démarche se fonde sur une requête déposée fin décembre par le député Robert Chleguel, du parti au pouvoir « Russie Unie ». Ancien porte-parole du mouvement de jeunesse pro-Kremlin « Nashi », celui-ci a déclaré dans les médias qu’il considérait Dojd comme un « sponsor informationnel » des manifestations d’opposition. Il est important, d’après lui, de vérifier les allégations selon lesquelles les manifestations elles-mêmes, mais aussi leur couverture, auraient été financées « par l’étranger ». La propriétaire de Dojd, Natalia Sindeeva, a annoncé que les avocats de la chaîne s’apprêtaient à répondre aux demandes du parquet, tout en rappelant que celle-ci est financée sur ses fonds propres et ceux de son mari, ainsi que par la publicité. L’avant-veille, la station de radio indépendante Echo de Moscou, figure de proue de l’audiovisuel indépendant en Russie, avait annoncé la dissolution prochaine de son Conseil d’administration sur l’exigence de son actionnaire majoritaire, le géant des hydrocarbures Gazprom, proche du Kremlin. Rachetée par le groupe gazier en 2001 tout comme la chaîne de télévision populaire NTV, Echo de Moscou est jusqu’à maintenant parvenue à préserver son indépendance, comme l'explique à Reporters sans frontières Sergueï Bountman (vidéo ci-dessous). Un remaniement du Conseil d’administration était prévu, mais plus tard. Si Gazprom-Media explique officiellement sa précipitation par le souci de « mettre aux normes le mode de gestion » de l’entreprise « au regard de l’intérêt croissant pour la station ces derniers temps », on ne peut que s’interroger sur le moment choisi : à quelques semaines de l’élection présidentielle du 4 mars, et un mois après que Vladimir Poutine a accusé la station de le « couvrir de merde du matin au soir ». C’est bien ce qu’ont souligné les journalistes de la station, qui ont dénoncé dans un communiqué du 14 février 2012 une forme de pression politique : « Nous comprenons que Gazprom-Media n’a pas pu ne pas réagir aux critiques des plus hautes autorités russes à l’égard de la station », ont-ils déclaré. « Nous demandons instamment à Gazprom-Media d’expliquer pourquoi il était si urgent de remanier le Conseil d’administration de la chaîne, a déclaré Reporters sans frontières. La multiplication des mouvements de personnel dans les médias, deux mois après l’éviction du rédacteur en chef de Kommersant-Vlast, ne peut que renforcer l’impression d’une volonté générale de mise au pas. » Le Conseil d’administration d’Echo de Moscou sera remanié le 29 mars 2012 au profit de Gazprom, qui devrait obtenir 5 sièges sur 9 au lieu de 4 actuellement. Les représentants actuels de la rédaction, dont son rédacteur en chef Alexeï Venediktov, ainsi que les deux « directeurs indépendants », quitteront tous leurs postes au sein du Conseil. Les journalistes se sont mis d’accord sur le nom de leurs remplaçants, et insistent sur le fait que ces changements n’auront aucune incidence sur la ligne éditoriale de la radio. La structure de la rédaction n’est pas modifiée. Gazprom-Media n’a pas donné suite aux offres de la propriétaire de Dojd et du candidat à l’élection présidentielle Mikhaïl Prokhorov, qui ont proposé de lui racheter ses parts de la société « Echo de Moscou » (qu’elle possède à 66%). Le groupe avait déjà décliné à plusieurs reprises des offres similaires émanant des journalistes de la station. Les accusations contre Dojd s’inscrivent dans la droite ligne des déclarations du premier ministre Vladimir Poutine, qui avait publiquement accusé les manifestants d’avoir été encouragés par le Département d’Etat américain. Dojd, qui compte parmi les victimes des cyberattaques ayant visé les sites d’information indépendants à la veille des élections législatives, avait déjà du rendre compte au Service fédéral de surveillance des communications (Roskomnadzor) de sa couverture des rassemblements contestataires des 5 et 6 décembre 2011. Après avoir examiné en détail les images diffusées par la chaîne, l’autorité de régulation avait finalement conclu qu’elles ne contenaient rien de répréhensible. Le premier ministre Vladimir Poutine entend reprendre son ancien poste de président de la Fédération de Russie à l’issue de l’élection du 4 mars 2012.
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Updated on 20.01.2016