Loi liberticide, agressions et condamnations : la liberté de l’information plus que jamais en danger depuis la Révolution

Reporters sans frontières exprime son extrême inquiétude face aux récents développements survenus en Libye contre les médias et les pro fessionnels de l’information, dont la sécurité est chaque jour en jeu. Un tel environnement est particulièrement hostile à l’établissement d’un Etat démocratique. Le 22 janvier 2014, le Congrès général national (GNC), autorité législative de transition, a passé le décret 05/2014 intitulé “Au sujet de l’arrêt et de l’interdiction de la diffusion de certaines chaînes satellitaires”, sommant dans son premier article les ministères des Affaires étrangères, des Communications et de l’Information de “prendre les mesures nécessaires” pour interdire la diffusion de toute chaîne satellitaire dont les programmes seraient contre la “Révolution du 17 février”, déstabiliseraient le pays ou provoqueraient des dissensions au sein du peuple libyen. Reporters sans frontières demande le retrait de ce texte jugé liberticide. Ce décret a été adopté à la veille du troisième anniversaire de la Révolution libyenne, dans un contexte politico-sécuritaire particulièrement instable. De graves tensions perturbent le sud et l’ouest du pays depuis plusieurs semaines, conséquence d’une apparente résurgence des partisans de Mouammar Kadhafi. En outre, certaines chaînes satellitaires auraient en effet diffusé des messages faisant la promotion de l’ancien homme fort de la Libye et visant à restaurer l’ancien régime. Certaines déclarations constitueraient des incitations à la haine et à la violence contre ceux soutenant l’établissement du nouvel Etat libyen. Reporters sans frontières rappelle que si le droit international autorise certaines limitations à la liberté d'expression, notamment pour permettre la sauvegarde de la sécurité nationale ou de l'ordre public, ces limitations doivent être strictement nécessaires et proportionnelles à cet objectif. L’interdiction totale, par décret, de la diffusion sur un réseau satellitaire ou local, ne correspond à aucun de ces critères et constitue une mesure disproportionnée. L’organisation souligne que, selon le Comité des droits de l'homme des Nations unies, "les lois qui criminalisent l’expression d’opinions concernant des faits historiques sont incompatibles avec le Pacte international relatif aux droits civils et politiques en ce qui concerne le respect de la liberté d’opinion et de la liberté d’expression. Le Pacte (auquel la Libye est partie) ne permet pas les interdictions générales de l’expression d’une opinion erronée ou d’une interprétation incorrecte d’événements du passé". Reporters sans frontières est également profondément inquiète du caractère vague et imprécis du décret 05/2014, dont l’intention est en réalité de sanctionner toute personne ou tout média critiquant le pouvoir en place et la politique menée par le gouvernement. Christophe Deloire, Secrétaire général, réitère à cet égard "l’importance fondamentale de la liberté d’exprimer ses opinions pacifiquement au sein de toute société démocratique, y compris celles venant contrer l’opinion générale et/ou les autorités publiques. Le système judiciaire et les personnes publiques doivent tolérer une large critique, leur place au cœur de la vie publique suscitant par nature des sujets d’intérêt général. Le nouvel Etat libyen se doit donc d’abroger ce décret au plus vite." Le 25 janvier dernier, le journaliste freelance Ahmed Abdel Hakim a été menacé de mort par téléphone s’il ne retirait pas la plainte déposée auprès du Procureur général contre le Major-général de la brigade Al-Qa’qa’a. Cette plainte faisait suite à sa détention entre septembre 2012 et juillet 2013 par cette milice, conséquence de sa couverture des affrontements survenus entre les tribus de Zintan et de Mashashia le 14 juin 2012. Neuf mois au cours desquels le journaliste déclare, preuves à l’appui, avoir été gravement maltraité et torturé. Le 31 décembre 2013, un activiste de renom et ancien prisonnier politique, Jamal Al-Hajji, poursuivi pour “diffamation”, a été condamné à huit mois de prison et à verser 400 000 dinars libyens (240 000€) de dommages et intérêts. Ce verdict survient suite à la diffusion d’un programme sur la chaîne publique Al-Wataniya le 13 février 2013, où il avait ouvertement critiqué le ministre des Affaires étrangères et de la Coopération, Mohamed Abdelazziz, ainsi que Mahmoud Jibril, président du parti de l’Alliance des forces nationales et plusieurs autres personnalités publiques et politiques, les accusant d’avoir conspiré contre la Révolution libyenne. En matière de liberté de l’information et d’expression, Reporters sans frontières souligne que le Comité des droits de l’homme des Nations unies a rappelé dans son observation générale n°34 que “les États parties devraient envisager de dépénaliser la diffamation” et que “l’emprisonnement ne constitue jamais une peine appropriée”. Ces menaces et condamnations constituent des violations de la Déclaration constitutionnelle libyenne, ratifiée le 3 août 2011, et notamment de son article 14 qui stipule que “l’Etat devra assurer la liberté d’opinion, la liberté d’expression pour les individus et les groupes, la liberté de recherche scientifique, la liberté de communication, la liberté de la presse, des médias, d’impression et de distribution, la liberté de mouvement et la liberté de rassemblement, de manifestation et de pacifiques sit-in, tant que ceci n’est pas contraire à l’ordre public”. La nouvelle Libye ne doit pas passer outre ses engagements démocratiques et sa détermination à établir un Etat de droit où l’impunité et la censure ne devraient en aucun cas prévaloir.
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Updated on 20.01.2016