Loi anti-terroriste : multiplication des poursuites à l’encontre des journalistes


Reporters sans frontières dénonce l’usage abusif de la Loi anti-terroriste (LAT) par les autorités turques pour condamner et censurer tout journaliste mentionnant la question kurde et certains de ses acteurs politiques. Depuis les amendements apportés à ce texte en 2006, les poursuites se sont multipliées contre les journalistes, notamment en vertu de l’article 7 – alinéa 2. Celui-ci condamne à une peine de prison tout acte de propagande en faveur d’une organisation terroriste. Les notions de « propagande » et d’« organisation terroriste » n’ayant pas été définies, cet article peut être interprété et utilisé à l’envi contre tout journaliste ou média. Reporters sans frontières réitère la condamnation de cette loi qui permet la mise en place d’un véritable régime de censure et de répression de la liberté d’expression en Turquie. Le 21 novembre 2010, le journal Demvrimci Demokrasi, inculpé pour propagande du Parti des Travailleurs du Kurdistan (PKK), a été suspendu pour un mois sur décision de la cour d’assises d’Istanbul. Le 10 novembre, la 11e chambre de la cour d’assises d’Istanbul a ouvert un procès contre la journaliste Nese Düzel du quotidien libéral Taraf, et son rédacteur en chef Adnan Demir. Ils sont accusés d’avoir fait la « propagande d’une organisation terroriste » à travers deux reportages dans lesquels d’anciens dirigeants du PKK, Zübeyir Aydar et Remzi Kartal, avaient été interviewés. Le procureur d’Istanbul prétend que le contenu de l’interview « éveille l’impression que l’usage de la violence est nécessaire et demeure une mesure légitime » et porte atteinte à la sécurité nationale. La journaliste Nese Düzel s’est défendue lors de l’audience en expliquant le sens de son reportage : « Je n’ai pas fait de la propagande d’une organisation terroriste. Au contraire, j’ai fait la propagande de la politique. Or, l’Etat lui-même négocie actuellement avec cette organisation ». Son avocat a également soutenu que le reportage répondait tout à fait aux critères définis par l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme et de la Constitution turque de 1982. En vertu de l’article 7 - alinéa 2 de la Loi anti-terroriste, ils risquent d’être condamnés à 7,5 ans de prison. Le procès se poursuivra le 2 mars 2011. Le 12 novembre, le sociologue Ismail Besikçi et la rédactrice en chef du mensuel juridique Cagimizda Hukuk ve Toplum, Zeycan Balci Simsek, ont comparu devant la Cour d’Assises d’Istanbul. Ismail Besikçi est également poursuivi pour avoir fait la « propagande d’une organisation terroriste » dans sa chronique publiée par Cagimizda Hukuk ve Toplum. L’acte de propagande dénoncé est particulièrement subtil. Ismail Besikçi est accusé d’avoir utilisé la lettre ‘Q’ (qui n’existe pas en turc) pour évoquer la montagne de Qandil, siège du PKK au Kurdistan sud. Le procès continuera le 4 mars prochain. Le 4 juin dernier, le journaliste Irfan Aktan et le rédacteur en chef du mensuel Express, Merve Erol, ont aussi été condamnés sur la base de l’article 7 de la Loi anti-terroriste. Le dossier doit être étudié par la Cour de cassation. Irfan Aktan encoure 15 mois de prison et Merve Erol une amende de 16 000 livres turques (plus de 8000 euros). Reporters sans frontières demande l’acquittement de Nese Düzel, Adnan Demir, Ismail Besikçi, Zeycan Balci Simsek, Irfan Aktan et Merve Erol. Le gouvernement turc prépare actuellement une réforme du Code pénal en matière de liberté de la presse. Les autorités ont entamé des négociations avec des représentants de la profession. Ceux-ci craignent que le gouvernement se contente de réformer quelques articles problématiques sans remettre en cause l’arsenal juridique qui permet la répression de la liberté de la presse. Reporters sans frontières appelle les autorités turques à réaliser une véritable réforme législative, dans un esprit démocratique, afin de protéger la liberté d’expression.
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Updated on 20.01.2016