Livrée à la répression, une région coupée du monde

« Le strict contrôle de l’information que les autorités kazakhes tentent de maintenir est intolérable. Si elles veulent prouver qu’elles sont aussi ‘ouvertes’ et ‘transparentes’ qu’elles le proclament, elles doivent immédiatement lever les multiples restrictions imposées au travail des journalistes, tout faire pour rétablir les communications avec la région de Mangistau et mettre un terme à la censure de l’Internet. La communauté internationale ne doit pas rester indifférente face à des pratiques inacceptables de la part d’un Etat qui a assumé la présidence tournante de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) en 2010 », a déclaré Reporters sans frontières. Trois jours après le déclenchement de troubles meurtriers dans la région de Mangistau (ouest du Kazakhstan), il reste très difficile d’obtenir des informations sur ce qui s’est réellement passé et sur la situation actuelle. L’épicentre de la contestation, Janaozen, et les villes environnantes restent totalement coupées du monde, privées d’Internet et de télécommunications. Officiellement, le problème serait dû à des câbles endommagés. Kazis Toguzbaev, correspondant de Radio Azattyk (le service en langue kazakhe de Radio Free Europe/ Radio Liberty), a précisé à Reporters sans frontières que toutes les connexions étaient coupées approximativement à partir de Jetybaï, à 65 km de Janaozen. Dans le reste de la région, et notamment dans la ville d’Aktau (capitale régionale) où se tiennent aujourd’hui des rassemblements très tendus, il est impossible d’envoyer ou de recevoir des SMS, ou d’accéder à Internet à partir d’un mobile. Twitter a été rétabli le 17 décembre 2011 après avoir été suspendu dans tout le pays au premier jour des émeutes. Mais plusieurs sites d’information de référence restent inaccessibles, comme le site Guljan.org, l’agence de presse citoyenne russe Ridus.ru, ou le portail du journal d’opposition Respublika. Plusieurs témoignages mentionnent un blocage partiel de Youtube ce week-end, visant notamment le compte de la chaîne satellitaire indépendante K+. Le président Nursultan Nazarbaïev a décrété l’état d’urgence et le couvre-feu à Janaozen pour une durée de 20 jours. Des checkpoints ont été établis tout autour de la ville et d’Aktau. La presse ne peut se rendre à Janaozen qu’à condition d’obtenir une accréditation auprès de l’administration régionale. Les premiers journalistes parvenus sur place, accompagnés partout par une escorte militaire, dépeignent une ville déserte, quadrillée d’hommes lourdement armés. Il est très difficile dans ces conditions de parler librement avec les habitants, qui pour beaucoup gardent le silence. « Quelques femmes se risquent dans les rues, mais très peu d’hommes, ils sont immédiatement interpellés et fouillés, témoigne un journaliste présent sur place. Les militaires ont accepté de nous laisser visiter l’hôpital et la morgue. Mais pas de nous laisser couvrir les funérailles des personnes abattues. (...) A Aktau, les représentants des forces spéciales postés face aux manifestants refusent de répondre à nos questions. Nous voudrions savoir pourquoi ils sont équipés d’armes automatiques et non d’armes non léthales, comme des canons à eau par exemple. » Les autorités cherchent désormais à contrôler la presse plutôt que de l’entraver comme les jours précédents. Le 18 décembre, l’envoyé spécial du journal russe Kommersant, Vladimir Solovyev, le photographe Vassili Chapochnikov et le correspondant de Lenta.ru, Ilia Azar, ont été retenus plusieurs heures au poste de police de Janaozen pour « violation de l’état d’urgence ». Le contenu de leurs ordinateurs, clés USB et dictaphones a été passé au peigne fin. Le même jour, des journalistes de Stan TV, Radio Azattyk, Associated Press (AP) et Al-Jazeera qui tentaient de rendre compte des événements à la gare de Chetpe, où des affrontements avaient fait un mort et onze blessés la veille, ont vu leur liberté de mouvement considérablement restreinte par les forces spéciales. Alors qu’il filmait un contrôle de police, le blogueur Murat Tungichbaev a été violemment agressé. « Deux officiers des forces spéciales m’ont demandé d’effacer mes enregistrements, a-t-il raconté à Reporters sans frontières. Devant mon refus, ils m’ont plaqué au sol et m’ont appliqué un pistolet sur la tempe. Ils m’ont frappé et m’ont confisqué mes papiers d’identité ». Ceux-ci ont fini par lui être rendus plus tard dans la journée. Le 16 décembre 2011, les célébrations du 20e anniversaire de l’indépendance du Kazakhstan ont été perturbées par des salariés en grève depuis plusieurs mois à Janaozen. Dans des circonstances encore floues, la police a tiré à balles réelles sur la foule et l’émeute s’est étendue à toute la ville, où la plupart des bâtiments officiels ont été incendiés. Le bilan est officiellement d’au moins 13 morts, mais des sources alternatives font état de chiffres plus élevés. Le lendemain, de violents affrontements ont eu lieu à la gare de Chetpe, où des grévistes tentaient de bloquer la voie ferrée, et dans d’autres villages environnants. L’ambiance est extrêmement tendue dans la grande ville voisine d’Aktau, où se tiennent depuis deux jours des rassemblements de soutien aux grévistes. La situation de la liberté de la presse s’est considérablement dégradée cette année au Kazakhstan, en proie à une déstabilisation rampante. Les conflits sociaux de la région de Mangistau durent depuis plus de six mois malgré une violente répression. Le harcèlement croissant des médias indépendants est en bonne partie lié à la volonté du pouvoir autocratique d’Astana de limiter le flux d’information à ce sujet. (Photo: Vassili Chapochnikov/ Kommersant/ AFP)
Publié le
Updated on 20.01.2016