L'indépendance des médias publics menacée, malgré les affirmations officielles

Reporters sans frontières appelle le président taiwanais Ma Ying-jeou à honorer les engagements qu'il a pris auprès de l'organisation de respecter l'indépendance des médias publics. Dans une lettre adressée au secrétaire général de Reporters sans frontières, le chef de l'Etat a déclaré : "Nous pensons que les accusations d'ingérence de notre administration dans les médias de Taiwan reposent sur de fausses informations ou des incompréhensions." Mais l'organisation a obtenu des rapports préoccupants sur certaines décisions du parti majoritaire, le Kuomintang, qui portent atteinte à l'indépendance de ces médias publics. "Taiwan doit être un modèle de liberté de la presse en Asie, et l'indépendance des médias publics est l'une des composantes essentielles d'un système de presse libre et pluraliste. Nous voulons croire aux engagements du président Ma Ying-jeou, mais cela doit se traduire dans les faits. Nous sommes conscients que les pressions politiques sur les médias publics ne sont pas nouvelles, et qu'elles ont existé sous le gouvernement précédent. Au-delà des débats partisans, il est essentiel que l'environnement légal et politique soit favorable aux médias. Nous demandons au chef de l'Etat d'ordonner une enquête sur les différentes accusations d'ingérence et de mettre en place des mécanismes qui garantissent l'indépendance de ces médias", a affirmé l'organisation. En réponse à une lettre adressée par Jean-François Julliard, nouveau secrétaire général de Reporters sans frontières, le président Ma Ying-jeou a affirmé dans un courrier que le gouvernement "ne tentera jamais de contrôler ou d'interférer dans les activités des médias". Le chef de l'Etat précise : "Le gouvernement de la ROC est conscient du rôle indispensable de la liberté de la presse qui a joué un rôle crucial dans la consolidation de notre démocratie. (...) Le parti au pouvoir et l'opposition à Taiwan sont très attachés à la liberté accordée au peuple." Jean-François Julliard avait demandé fin octobre des explications sur les récentes affaires de pressions politiques envers les médias d'Etat, notamment Radio Taiwan International (RTI) et Central News Agency (CNA). Le secrétaire général de l'organisation avait écrit : "Selon des témoignages recueillis par Reporters sans frontières, certains officiels avaient l'habitude d'appeler les journalistes pour leur demander de réécrire des articles. À présent, les mêmes tentent d'exercer un contrôle plus global en nommant à la direction des institutions médiatiques publiques des personnalités favorables au gouvernement." Le 10 décembre 2008, une dizaine de hauts responsables, dont le président de la Public Television Service Foundation (PTFS), en charge des opérations du Public Television Service (PTS), ont publié un communiqué dans lequel ils dénoncent les tentatives de contrôle exercées par le parti au pouvoir, le Kuomintang. Ils demandent des garanties pour l'indépendance de la PTFS qui chapote la PTS, Hakka Television, Indigenous Television et le China Television Service. La campagne menée par le Kuomintang pour reprendre de l'influence sur la ligne des chaînes publiques semble s'être accélérée après que le Parlement a bloqué la moitié des crédits alloués à la PTFS. Au même moment, deux comités du Parlement ont décidé que les programmes de Hakka Television, Taiwan Macroview Television Service et Indigenous Television devraient être revus par les administrations concernées. Les députés du Kuomintang au sein de ces deux comités ont également demandé que le budget alloué au PTS soit conditionné à un accord du Government Information Office (GIO) sur leur contenu. Des députés influents du Kuomintang ont également proposé la révision de la loi sur les télévisions publiques, afin d'obtenir un Conseil de supervision contrôlé par le parti majoritaire. Selon plusieurs sources, le député Lin Yi-shih aurait déclaré vouloir supprimer le talk-show "PTS News Talk" jugé trop critique. En octobre, le Parlement, où le Kuomintang est majoritaire, avait décidé de nommer quatre nouveaux membres au sein du Conseil de supervision de la PTS. Après l'élection de Ma Ying-jeou, le président de la RTI avait démissionné pour protester contre les interférences du GIO. Et Chuang Geng-chia, le rédacteur en chef adjoint de l'agence de presse publique, avait également démissionné après avoir dénoncé une censure interne sur des sujets comme celui concernant le président chinois. Il a déclaré à Reporters sans frontières que l'agence "appartient au pays et non pas au Kuomintang". Quelques jours auparavant, l'ancien directeur de campagne du président Ma Ying-jeou avait été nommé président adjoint de CNA. Dans une lettre adressée à Jean-François Julliard, le directeur du Département de l'information internationale du GIO, Manfred Peng, avait réfuté toute ingérence, accusant les responsables démissionnaires de la RTI et de la CNA de manipulations sur les raisons de leur démission. Selon Manfred Peng, le GIO n'a fait que transférer des commentaires d'auditeurs de la RTI à la direction de la radio, sans émettre aucune directive sur le contenu. Interrogée par l'organisation, Chen Hsiao-yi, de l'Association des journalistes taiwanais, a déclaré que les "interférences ont toujours existé et les partis tentent toujours de placer leurs amis aux postes de direction des médias d'Etat". Dans le passé, RTI et CNA ont été directement contrôlés par le Kuomintang. Mais l'ancien président Lee Teng-hui avait décidé d'accorder aux médias publics leur indépendance éditoriale. Leur financement est assuré dans le cadre du budget du GIO. Et l'article 11 de la loi sur la télévision publique précise que celle-ci "appartient à l'ensemble des citoyens et ses opérations doivent être indépendantes et autonomes et libres de toute interférence".
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Updated on 20.01.2016