Libéré en l’absence de preuves après trois ans de prison, le journaliste Jesús Lemus Barajas envisage l’exil

Reporters sans frontières salue la libération, le 11 mai 2011, de Jesús Lemus Barajas, directeur et fondateur du quotidien El Tiempo, basé à La Piedad (État du Michoacán, Sud-Ouest) et ancien correspondant du quotidien national La Jornada. L’organisation espère que les autorités s’expliqueront un jour sur ce maintien en détention pendant trois ans malgré l’absence totale de preuves et accèderont à une éventuelle demande de réparation pour le préjudice subi. Jesús Lemus Barajas et sa famille envisagent néanmoins de quitter le pays. Jesús Lemus Barajas avait été placé en détention préventive le 15 mai 2008, à la prison de haute sécurité de Puente Grande (État de Jalisco). Le journaliste avait été arrêté, sur la base d’accusations suspectes de “narcotrafic”, le 7 mai 2008 à Cuerámaro (État de Guanajuato) alors qu’il enquêtait justement sur l’activité des cartels de la drogue dans la région. Reporters sans frontières avait souligné l’absence d’élément matériel prouvant la culpabilité de l’intéressé et les conditions de ses premiers jours de détention où il aurait été frappé, torturé et menacé de mort. La sentence absolutoire du 11 mai dernier établit que “considérant qu'il n'y a aucun élément de jugement ni une minime possibilité de rattachement à des faits de trafic de stupéfiants ou de délinquance organisée, (Jesús Lemus Barajas) est exonéré de toute accusation et une sentence absolutoire est dictée en sa faveur”. L’avocat du journaliste, Gregorio Medina Salazar, a précisé à Reporters sans frontières que, faute d‘éléments probatoires, cette décision venait casser une condamnation à vingt ans de prison prononcée en janvier dernier contre son client par le juge de district (fédéral) de l’État de Guanajuato. “Ce qui m’apparaît clairement, c’est l'hypersensibilité du gouvernement aux critiques et la détermination des autorités à appliquer la force pour entraver la liberté d'expression”, a déclaré à Reporters sans frontières Jesús Lemus Barajas, qui ne voit pas d’autre motif à sa détention que son travail de journaliste. “Mon travail apportait des éclaircissements sur les relations entre les sphères du gouvernement et certains cartels de la drogue”, a-t-il ajouté. Jesús Lemus Barajas a exprimé son intention de déposer une demande d’asile aux États-Unis ou dans un autre pays car “les conditions pour exercer le journalisme ne sont pas réunies au Mexique”, selon lui. “Durant mon procès, les autorités n’ont même pas reconnu ma qualité professionnelle. Alors que je sors de prison, je ne me sens pas en sécurité parce que la persécution de l'État est évidente et j’ai aussi reçu des menaces venant du crime organisé. Je suis au milieu de cette guerre”, a-t-il ajouté. Le Michoacán est, en effet l’un des épicentres de l’offensive fédérale contre le narcotrafic lancée le 15 décembre 2006 au moment de l’investiture du président Felipe Calderón. Cette guerre qui ne dit pas son nom atteint aujourd’hui un bilan humain de plus 40 000 morts en à peine cinq ans Pendant la détention du journaliste, sa famille a également été la cible d’intimidations. Le 31 juillet 2008, une vingtaine des soldats avaient fouillé le domicile de La Piedad sans mandat judiciaire. Une autre perquisition avait suivi 18 août 2010, suscitant un dépôt de plainte devant la Commission interaméricaine des droits de l’homme (CIDH). Le 31 août 2009, les avocats Vladimir Camacho Guzmán, Rubén Emmanuel Castro et Gilberto Estrada, alors en charge de défendre Jesús Lemus Barajas, avaient été assassinés sur une route reliant l’État du Michoacán à celui de Guanajuato. Dans le cadre d’une mission conduite en juillet 2009, Reporters sans frontières avait rencontré l’entourage de Jesús Lemus Barajas et la rédaction d’El Tiempo. Avec cette libération, un mois après celle du dernier journaliste cubain emprisonné, l’Amérique latine compte actuellement, selon nos informations, trois journalistes incarcérés en lien direct avec leur activité professionnelle. Pour deux d’entre eux au Pérou, en Équateur pour le troisième. Lire également le rapport de Reporters sans frontières : “Crime organisé : main basse sur l’information”.
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Updated on 20.01.2016